Ce que la poésie nous apprend aujourd’hui


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Recueil
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Patricia Houéfa Grange est une artiste inclassable et complète aux influences multiples. Intellectuelle, poétesse, diseuse à haute voix, griot, traductrice, dessinatrice et rêveuse, elle est influencée par plusieurs continents et se constitue progressivement une solide réputation dans le Sud-Ouest de la France. La sortie de son dernier recueil de poèmes est l’occasion pour elle de se faire connaître au-delà de sa région d’adoption. AFRIK.COM a rencontré pour vous cette dame métissée au message universel, qui n’entend pas se laisser enfermer dans des cases et dont la plume compte bien demeurer libre.

AFRIK.COM : Patricia Houéfa Grange, nous vous laissons le soin de vous présenter librement à nos lecteurs…

Patricia Houéfa Grange : Tout d’abord, merci à Afrik.com de m’offrir cet espace d’expression. Bonjour à vous, vos lectrices et lecteurs. Je m’appelle Patricia Houéfa Grange. Je suis poète, diseuse à haute voix et traductrice littéraire. Il m’arrive également de m’exprimer à travers le dessin et les arts plastiques.
Je suis Afropéenne, du Bénin, de la France et du Cap Vert. Je suis née et j’ai grandi au Bénin, mais je vis en France, en région bordelaise, depuis 19 ans maintenant.

AFRIK.COM : Vous avez publié des recueils et vous faites des traductions, pouvez-vous nous en parler davantage ?

Patricia Houéfa Grange  : La poésie m’accompagne constamment et il est vital pour moi d’en écrire. Elle me fait énormément de bien, me permet de rester debout, de continuer à croire en la beauté du monde, en l’humanité, et même de participer à la création de cette beauté humaine, à mon petit niveau de colibri.

Avec des mots, on peut réinventer le monde, le réenchanter, ne serait-ce que l’instant d’une parenthèse salutaire. Et j’ai découvert, petit à petit, que la poésie pouvait aussi faire du bien aux autres, par mon intermédiaire.
J’ai également découvert que je prenais plaisir à la partager. Autant en la donnant à lire ou entendre qu’en invitant des artistes plasticiens à illustrer mon travail, ou au contraire, en illustrant leurs œuvres avec mes mots. Le résultat donne des recueils de poèmes singuliers mêlant textes et images, pour lesquels il n’est pas toujours aisé de trouver un éditeur.

J’ai donc commencé, il y a une dizaine d’années, à auto-éditer mon travail de création poétique, souvent en collaboration avec des artistes. Le tout sous le sceau de la maison de micro-édition associative que j’ai créée pour diffuser mon travail : Mariposa, Editions du Papillon.

Aujourd’hui, je suis heureuse d’annoncer la parution de mon premier recueil de poèmes « officiel », publié par Ngo Editions, dans sa collection poésie Esprit Mwènè, dirigée par Gabriel Mwènè Okoundji.

Quant à la traduction, c’est l’activité dont je vis. Je suis traductrice commerciale/juridique/technique dans un cabinet bordelais depuis 10 ans.
Mais étant poète, il y a quelques années, j’ai décidé de me lancer également en traduction littéraire, activité dans laquelle je m’épanouis de plus en plus et que je souhaite développer au maximum. Mes premières traductions, depuis l’anglais et le portugais, de plusieurs poèmes et d’une nouvelle, ont été publiées dans les numéros 4 « Cartes et Territoires », 5 « Woks et Marmites » et 6 « Amours et Sensualités » de Jentayu, une revue de littératures d’Asie, en traduction française. Mes traductions de poèmes et de pantouns ont également été publiés par le site littéraire Lettres de Malaisie et la revue Pantouns du groupe Pantun Sayang – Amis Francophones du Pantoun.

AFRIK.COM : Qui vous a poussé vers la poésie ?

Patricia Houéfa Grange : Je ne dirais pas qu’on m’a poussée vers la poésie. Je dirais plutôt qu’on me l’a révélée. Je pense qu’elle a toujours fait partie de moi. J’ai eu la chance d’avoir sur ma route des professeurs de lettres et un professeur de philosophie qui, non seulement m’ont appris à aimer la poésie mais qui m’ont aussi donné envie d’en écrire, puis m’y ont vivement encouragée.

Que soient ici remerciés Messieurs Patrick Breton, Jacques Martinot et Franck Chanedieras qui ont été mes professeurs à l’Etablissement Français d’Enseignement Montaigne de Cotonou. J’ai également eu la chance de croiser et d’échanger avec des écrivains comme le regretté Jean Pliya, qui a lu mes premiers poèmes avec bienveillance et a pris de son temps pour me donner des conseils et me guider ; mais aussi le poète Nouréini Tidjani-Serpos. J’ai enfin la chance d’avoir des parents qui nous ont toujours incité à lire, et qui me soutiennent dans tout ce que j’entreprends.

AFRIK.COM : Si vous deviez citer vos trois poètes préférés, qui seraient-ils ? Pour quelles raisons ?

Patricia Houéfa Grange  : Je ne dirais pas « préférés », je n’en ai pas. Mes lectures poétiques dépendent du moment, du besoin ou de l’envie de l’instant. Je peux cependant citer des poètes qui ont marqué mon parcours jusque là :

Charles Baudelaire qui, avec ses Fleurs du mal, a imprégné toute mon adolescence. Mes tout premiers poèmes sont très classiques et très influencés par Baudelaire, mais aussi Verlaine, Rimbaud ou encore Hugo.

Aimé Césaire ou la révélation du vers libre, de la plongée en négritude aux racines de mon identité, de la force tellurique du mot, de la puissance et de la portée de la poésie en tant qu’arme miraculeuse

Gabriel Mwènè Okoundji et la poésie en tant que quête, éternel apprentissage, exploration perpétuelle de la parole comme clé potentielle des énigmes de l’existence, de l’être au monde, du rapport au monde. Une poésie apaisée, sereine, sage.
Sinon, en ce moment, je lis régulièrement Andrée Marik, Shizue Ogawa, Maram al-Masri, Kamau Daa’ood ou encore Melizarani T. Selva.

AFRIK.COM : Quels sont vos liens avec le Bénin et les Béninois ?

Patricia Houéfa Grange  : Le premier lien que j’ai avec ce pays coule dans mes veines ! Le Bénin fait partie de mon identité, d’autant plus que c’est le pays où je suis née et où j’ai grandi, celui où j’ai été forgée en quelque sorte. Le pays de l’enfance marque pour la vie, quelle que soit la distance pouvant nous en « séparer » par la suite.

Le Bénin, pour moi, ce sont d’abord des liens affectifs. Ma famille et le tout premier cycle de ma vie. Les couleurs, les lumières, les sons, les odeurs, les goûts du matin de mon existence. La toile de fond, plus ou moins présente, sur laquelle je tisse mes chemins.

Lors de mon dernier séjour, en octobre/novembre 2016, cela faisait neuf ans que je n’y étais pas retournée. Ce fut une expérience très forte. D’autant plus que je suis montée sur scène pour la toute première fois là-bas dans le cadre des Rencontres Internationales des Arts de l’Oralité (RIAO) organisées par l’association Katoulati de Patrice Tonakpon Toton. Ce séjour a donné naissance à mon recueil Pantouns & autres poèmes du retour.

Ce ne fut pas toujours un retour émotionnellement simple, mais je suis heureuse d’avoir fait ce voyage et je ne laisserai plus neuf ans passer avant d’y retourner. Jusqu’à ce retour à l’automne dernier, je ne regardais plus ce pays que de loin, dans une vision brouillée par mes souvenirs. Désormais, je le suis d’un peu plus près.

AFRIK.COM : Dans « Nid d’Ici Née Ailleurs », vous évoquez votre métissage. Pourquoi était-ce important à vos yeux de le mettre en poème ?

Patricia Houéfa Grange : J’évoque mon métissage dans le poème Nid d’ici Née ailleurs, mais aussi dans l’ensemble du recueil Métisse. Et alors ? dont il est extrait.

J’ai eu besoin d’écrire ce texte et ce recueil parce que j’entendais tout et n’importe quoi sur ce mot « métis ». Cela allait d’un certain dénigrement de la part des personnes qui estiment qu’un(e) métis(se) est acculturé, à ceux qui font l’apologie du métissage dans des discours qui peuvent frôler une certaine forme de racisme, et je ne parle même pas de ceux qui veulent supprimer la possibilité d’être bi-national(e) ! C’est donc un recueil écrit en réponse et en réaction à tout cela.

Mais ce recueil est également le résultat temporaire de ma propre quête identitaire, toujours fluctuante, toujours en mouvement. Le résultat d’un processus qui m’a permis d’habiter pleinement cette identité métisse, malgré les origines racistes de ce mot. Je sais que la plupart des métis ont vécu ou vivent la même chose que moi et que ce recueil leur parle.

C’est un recueil qui est souvent acheté par les aînés pour les offrir aux plus jeunes, qui traversent une adolescence pénible taraudée par des questionnements identitaires, d’autant plus exacerbés que souvent ces jeunes ne connaissent pas vraiment leur pays d’origine.

AFRIK.COM : Vous êtes « partenaire » du site AFROpoésie, est-ce important pour vous de participer à ce projet ?

Patricia Houéfa Grange : Je suis devenue partenaire d’AFROpoésie dans le même mouvement que celui de mon retour au Bénin à l’automne dernier. Il est important pour moi de maintenir vives mes racines africaines et de participer autant que je peux à la promotion des lettres, arts et cultures d’Afrique ou des Afriques. Les littératures d’Afrique, et la poésie notamment, sont encore peu connues, et peu visibles, du grand public. Et je pense que c’est en agissant ensemble qu’on pourra faire évoluer les choses à ce niveau-là. Dans l’esprit de la parabole de la jarre percée du roi Guézo.

AFRIK.COM : Pourriez-vous nous présenter rapidement votre blog « Papillons de mots » ?

Patricia Houéfa Grange : J’envisage mon blog, Papillons de mots, tout à la fois comme un atelier-résidence de création où je fais part de mes tâtonnements et projets en cours ; un cabaret-labothéâtre où je propose des mises en voix, sons, images ; et un boudoir-cercle où je partage mes lectures. Au-delà, ce blog est également et avant tout un espace d’expression où je publie et relaie tout ce qui me touche et me tient à cœur.

AFRIK.COM : Quels sont vos projets pour les prochains mois ?

Patricia Houéfa Grange  : Je vais largement me consacrer à la promotion de mes deux derniers recueils, Le dit de la Cueilleuse (Ngo Editions) et Pantouns & autres poèmes du retour (Mariposa, éditions du Papillon).
Une première présentation accompagnée de lectures et mises en voix du dit de la Cueilleuse aura d’ailleurs lieu le 22 septembre à 20h30 à La Causerie des Chartrons à Bordeaux.

D’autre part, je prépare deux projets collectifs pour le mois de novembre :

Avec un collectif de femmes, nous présenterons, à partir du 8 novembre au Zig-Zag à Bordeaux, une exposition multidisciplinaire féminine et féministe autour du thème #Révoltées.

Avec le groupe Pantun Sayang – Amis Francophones du Pantoun, nous organisons une rencontre autour du pantoun à Bordeaux fin novembre. Dans ce cadre, j’exposerai les dessins originaux que j’ai réalisés pour plusieurs des publications du groupe ; il y aura des lectures dont une mise en voix des pantouns de mon recueil Pantouns & autres poèmes du retour ; la présentation de notre revue et de nos diverses publications et la remise du prix de notre concours annuel. Ce sera du 24 au 26 novembre prochains, à nouveau à La Causerie des Chartrons à Bordeaux.

Enfin, en mai 2016, j’ai déambulé pendant près de trois semaines sur la côte ouest de la Malaisie et j’en ai rapporté des carnets de voyage en prose et pantouns, ainsi que des photos, des dessins, des créations plastiques. L’ensemble constitue un projet qui cherche son éditeur.

Et pour finir, je traduis actuellement mon premier ouvrage intégral. Il s’agit de Blood, le premier recueil de nouvelles de l’auteur philippine Noelle Q. de Jesus. Ma traduction de la nouvelle Passport extraite de ce recueil a précédemment été publiée dans le numéro 4 « Cartes & Territoires » de la revue Jentayu. La traduction française de l’intégralité de l’œuvre cherche désormais aussi un éditeur.

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