Cameroun: Mila Assouté manipule-t-il les médias ?


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Dans un essai paru cet automne aux éditions Ccinia, l’écrivaine camerounaise Régine Mfoumou analyse plusieurs textes publiés sur Internet au sujet de Pierre Mila Assouté. Pour elle, c’est à coup de mensonge et de manipulation qu’il se construit une image d’opposant modèle au président camerounais. Mila Assouté s’en défend, soupçonnant la capitale camerounaise d’avoir inspiré le livre dont il pointe les insuffisances.

Pierre Mila Assouté escroc de la politique ? C’est la thèse que défend l’écrivaine camerounaise Régine Mfoumou dans un essai de cent pages, paru en octobre aux éditions Ccinia Communication. Intitulé Pierre Mila Assouté le caméléon, ce livre se donne pour ambition de démonter pièce par pièce la construction médiatique de personnage politique de premier plan de l’ancien membre du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) au pouvoir à Yaoundé, passé dans l’opposition et exilé en France d’où il a annoncé sa candidature pour la présidentielle de 2011.

Présentée sur la toile comme traductrice nantie d’un Doctorat en Littérature anglaise du 18e siècle, Régine Mfoumou soutient que Chief Mila Assouté, comme le désigne avec respect ses sujets du village de Santchou dont il est roi traditionnel à l’ouest du Cameroun, est loin de l’image d’opposant sincère et à la critique acerbe à l’égard de Paul Biya qu’il a aujourd’hui. Il ne serait en réalité qu’un imposteur, profitant de l’accueil généreux que lui réservent les médias en Occident pour se construire une image factice de grand homme. Elle souhaite donc, dans son essai à charge, démontrer son imposture.

Analyse du discours

Pour cela, elle a adopté la démarche universitaire d’analyse du discours et s’est constitué un corpus de 31 articles, interviews et textes publiés sur Internet, notamment sur Camer.be et sur le site officiel du Rassemblement démocratique pour la modernité du Cameroun (RDMC), le parti sous la bannière duquel Mila Assouté souhaite se lancer dans l’arène électorale, lors de la prochaine élection présidentielle au Cameroun.

Dans ses sorties médiatiques, « Mila Assouté-le-caméléon », comme le désigne l’auteure, userait volontiers du mensonge, de la dissimulation ou de l’omission volontaire. Il en est ainsi des vraies motivations de son exil et de son statut administratif au regard de la loi française. Pour Régine Mfoumou, Mila Assouté, qui avait déclaré l’année dernière à Afrik.com avoir quitté le Cameroun pour sauver sa vie après avoir échappé à une tentative d’assassinat, ne serait en réalité qu’un exilé volontaire n’affirmant qu’à demi-mots et seulement lorsqu’il y trouve intérêt qu’il bénéficie du droit d’asile. Ses rapports avec le monde universitaire ne seraient pas plus clairs. C’est seulement au prix de duperie et de tricherie qu’il aurait réussi à se faire élever au rang de professeur honoris causa par un institut universitaire russe, lors de ses voyages de cette année à Moscou. Titre qu’il n’a pu obtenir, indique l’auteure, qu’en mentant au sujet de son véritable grade auprès des universités françaises. « Aussi, sans ce titre, son titre de « professeur honoris » lui ayant été accordé en tant que « Lecteur/Professeur de l’université de Paris 10 », où il n’a jamais exercé en tant que tel, devient lui aussi usurpé » (P 43).

Dissimulation d’informations défavorables ?

Lorsqu’il remporte une victoire dans ses assauts contre l’Etat camerounais, Pierre Mila Assouté se lancerait dans une campagne médiatique effrénée. Par contre lorsqu’il échoue, il observerait un silence de cimetière. C’est le cas, pense Régine Mfoumou, dans une affaire pendante devant la justice française, et dans laquelle il réclame à la chancellerie de Yaoundé des commissions de près de 2 millions d’euros, pour avoir facilité une transaction financière au profit de Camair, la défunte compagnie aérienne nationale. Lorsque dans un premier temps, affirme-t-elle, le juge français accède à sa demande de saisir un compte du Cameroun domicilié à Paris, il en fait une large publicité dans les médias. Mais en appel, le blocage du compte est levé et Mila Assouté condamné à payer 20 000 euros de dommages-intérêts à l’Etat du Cameroun. Il n’en fait mention nulle part. Cette même stratégie de communication opportuniste entoure, selon l’auteure, la gestion de la crise interne au RDMC, ou une frange de cadres lui dispute le leadership. Et pour s’imposer sur la scène internationale comme un opposant d’envergure, Mila Assouté se serait attelé à salir les images du Cameroun et de son président, Paul Biya, note Régine Mfoumou.

Lorsqu’après avoir péniblement enjambé les trop nombreuses coquilles qui peuplent les cent pages de l’essai et les extrapolations qu’empruntent l’auteure pour tirer ses conclusions, on se pose la question de l’opportunité de cette publication, à quelques mois d’une élection présidentielle au Cameroun. « Je n’ai travaillé que trois mois sur le livre. J’ai voulu ouvrir une porte en montrant à d’autres qu’on peut analyser le discours des hommes politiques camerounais et en tirer des ouvrages. Au départ, le livre n’était pas conçu sur la personne de Mila Assouté. Ma démarche a changé seulement quand j’ai découvert certaines choses », se défend Régime Mfoumou. Elle dément également avoir voulu rendre service à Paul Biya, qui pourrait tirer des dividendes d’un livre hostile à l’un de ses détracteurs et qui le présente comme une victime des nuisances médiatiques de celui-ci. Lorsqu’on l’interroge sur l’absence d’antithèse dans son essai qu’elle voulait proche d’un travail académique, elle répond que ses diverses tentatives pour s’entretenir avec de Mila Assouté sont restées infructueuses.

Pierre Mila Assouté dit soupçonner une machination

De son côté, l’intéressé ne voit pas du tout l’affaire sous la même lucarne. Pour Pierre Mila Assouté, Régine Mfoumou n’a en réalité servi que de porte-flingue à des réseaux tapis dans l’entourage présidentiel camerounais et qui chercheraient à tout faire pour le discréditer. Pour ce faire, explique-t-il, ceux-ci se seraient ligués avec des camerounais opportunistes de la diaspora, qui ne jurent que par Paul Biya. Il rappelle ainsi dans une interview parue le 7 septembre dans Cameroon Tribune, le quotidien d’Etat camerounais, sous le titre « Une nouvelle entente existe entre la diaspora et le gouvernement camerounais », que l’invité du journal, un certain Evariste Abessolo, présenté comme le président de l’Association pour le soutien de la démocratie camerounaise (ASDECA), avait annoncé de nombreuses mesures destinées à contrer la « grande campagne de diffamation qui a été engagé contre le chef de l’Etat ». Parmi elles, la publication d’un « pamphlet » qui s’intitulerait : « Analyses et critiques comparatives du projet de société de M. Pierre Mila Assouté. » De là à faire un lien avec l’essai de Régime Mfoumou, il n’y a qu’un pas que l’opposant n’hésite pas à franchir.

Cependant, il se dit déçu par le contenu de l’essai à cause de ce qu’il appelle « le manque de professionnalisme de son auteur. » « Je pensais qu’il s’agissait vraiment d’un livre. Mais après lecture, je constate qu’il est tout simplement bon pour la poubelle. Je ne veux pas descendre à leur niveau », rigole-t-il. S’il reconnaît avoir été contacté par Régime Mfoumou et lui avoir opposé une fin de non-recevoir lorsqu’elle lui a proposé de faire son « autobiographie », il estime cependant qu’un travail plus fouillé aurait permis à l’auteure de mieux documenter son travail pour éviter certaines erreurs. « Comme elle conteste mon titre de professeur honoraire, elle aurait dû produire une lettre de l’université attestant que je n’a pas eu ce diplôme. Il lui aurait suffi pour cela d’écrire à cette université», estime-t-il. « Si elle s’était approchée de la justice française, elle aurait appris que ma condamnation à payer des dommages-intérêts a été levée, après que mon avocat eût plaidé que je ne pouvais pas être tenu responsable de la publication dans la presse d’une décision de justice rendue en public. Elle aurait su la décision contestée ne portait pas sur le fond de l’affaire qui est toujours pendante devant la justice française. Elle aurait appris que je conserve toujours mon droit à saisir le compte du Cameroun pour me faire payer mon argent » , ajoute-t-il.

Et de poursuivre : « Elle remet en cause le nom du recteur de l’université moscovite qui m’a délivré mon diplôme, en citant des textes pris sur Internet. Depuis quand des noms publiés sur des journaux virtuels sont-ils considérés comme des évidences permettant de condamner quelqu’un ? Je peux prouver que j’ai donné des conférences dans des universités françaises. Je peux aussi prouver que je suis en formation continue dans les mêmes universités. Je n’ai pas besoin de tout ça pour être candidat à l’élection. Et pour ce qui est de ternir l’image du Cameroun, les autorités de Yaoundé n’ont qu’à s’en prendre à leur propre gestion gabégique. »

En début de cette semaine, Régine Mfoumou s’est rendue au Cameroun en compagnie de son éditeur pour faire la promotion de son essai.

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