Cameroun : au cœur du commerce de la foi


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5 août 2013, le sous-préfet de Yaoundé I ferme deux églises réveillées. Quelques jours plus tard, c’est au tour du préfet du Wouri, dans le littoral, d’en faire autant. Cette mesure se répand partout dans le pays. Pour les autres églises clandestines encore ouvertes, fini le grand tapage habituel pendant les jours de prières. Il n’est plus question d’utiliser les puissants matériels de sonorisation.

(De notre correspondant à Yaoundé)

« On peut dorénavant faire la grasse matinée le dimanche », constate Paul, voisin d’une église au quartier Biyem-Assi, à Yaoundé . Pendant que pour certains, cette situation représente un soulagement, d’autres y voient un moyen adopté par le gouvernement pour museler la liberté d’association. Sur le coup, le ministre de la Communication tente une sortie pour rassurer. Mais en vain. Les fermetures se poursuivent apprend-on.

« Les born again »

Le jour vient à peine de se lever dans la capitale politique camerounaise, ce dimanche 31 août. Pierre, la trentaine sonnée, se prépare pour aller assister au culte dominical. Quelques pas plus loin, Sandrine, une jeune adolescente met les dernières touches de maquillage avant de prendre la route qui mène à l’église. Ces deux chrétiens ont la particularité d’être des « born again », ce qui signifie des chrétiens nés de nouveau à travers l’acceptation du Christ comme sauveur, nous apprendra plus tard Sandrine. Pour se rendre à leur lieu de culte, les deux croyants n’ont qu’une rigole à franchir. Dans cette salle de quelques mètres carrés qui visiblement servait d’habitation il y a encore peu, ils y retrouvent une vingtaine « de frères en Christ » déjà en train de chanter des cantiques d’adoration. Ces chants sont accompagnés d’une batterie d’instruments musicaux tels que piano, amplificateurs microphones, guitares etc. C’est donc dans une ambiance surchauffée que le pasteur a fait son entrée, ce dimanche. Dans l’assistance, des fidèles, mains levées vers le ciel et bible posée sur le cœur, entrent en transe. C’est alors que le célébrant s’approche d’eux et leur impose ses mains en prononçant des versets bibliques et ordonne au mauvais esprit de quitter le corps du fidèle.

« L’argent et l’or m’appartiennent »

Face à un spectacle aussi bruyant, les populations vivant dans le voisinage de ces églises ne peuvent que se tourner vers le gouvernement afin qu’il trouve une solution pour que les choses changent. Et la solution, selon le gouvernement, réside sans aucun doute à la fermeture de ces maisons de cultes. En réponse aux actions du gouvernement, le prophète Efy demande que soient d’abord fermés les bars qui diffusent la musique mondaine à longueur de journée, avant d’empêcher aux hommes d’église de louer Dieu.
« Avez-vous déjà rencontré un pasteur d’une église se réveiller pauvre ? Non et non, ça n’existe pas », lance Lazare, un ancien adepte des églises dites de réveil qui a décidé de rompre le silence. « Lorsque j’étais dans l’église du prophète T, tous les mois, je partais déclarer mes revenus avec tout ce que je percevais comme primes et autres. Je reversais automatiquement 1/10 de ces revenus à mon pasteur pour la dîme. C’était une exigence de ce dernier, puisqu’il dit que c’est biblique. En plus, je participais à toutes les autres cotisations qu’il décidait chaque mois, tout mon salaire et celui de ma femme allaient à l’église », se souvient avec regret ce quadragénaire. « Paradoxalement, malgré les nombreuses homélies sur la modestie, ces pasteurs vivent dans une certaine opulence. Ils ont tous de grosses cylindrées et ne justifient jamais l’usage des fonds qu’ils collectent », ajoute-il avant de poursuivre : « certaines églises sont devenues de véritables entreprises, tous les outils utilisés pour les délivrances sont achetés sur place, une bouteille d’eau minérale qui coûte 400 FCFA sur le marché est vendue à 1 000 FCFA à l’église », conclut-il.

Espaces publicitaires pris d’assaut : d’où vient le financement ?

Nous sommes au lieu dit Poste centrale, dans la ville de Yaoundé. Un regard panoramique lancé sur cet endroit, et l’on peut apercevoir quatre grandes affiches véhiculant des messages religieux avec en plein centre, l’image du prometteur de l’église qui veut faire passer le message. Ces affiches annoncent pour la plupart du temps des campagnes d’évangélisation et de délivrance ou des veillées de prières. Pour Njifon Ayouba, spécialiste de la publicité, « il faut débourser au moins 3 à 4 millions FCFA pour faire imprimer de telles affiches tous les mois ». Interrogé sur l’origine des fonds pour ces campagnes, Prohet Olefei de la Holy church of Cameroon répond : « Ce sont les fidèles qui organisent ces campagnes d’évangélisation. Et comme toute église, nous vivons aussi des legs et autres dons ».
Depuis le début du mois d’août, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation a ordonné la fermeture de plus d’une centaine de lieux de cultes pour des raisons diverses : non détention d’autorisation d’ouverture ou alors nuisance sonore entre autres. « Mais avant de fermer définitivement ces lieux, les chrétiens seront déjà complètement ruinés », conclut Lazare

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