
Au Burkina Faso, l’Assemblée législative de transition a approuvé, mardi, la suppression de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Une décision qui rebat les cartes du processus de retour à l’ordre constitutionnel et interroge sur les intentions du pouvoir de transition.
Après la suppression de la CENI au Burkina Faso, le pays va-t-il retourner l’organisation des élections au gouvernement ? Cette décision suscite une série de questionnements qui auront leurs réponses peut-être dans les mois à venir.
Fin de parcours pour la CENI
C’est une étape institutionnelle majeur au Burkina Faso. Mardi, l’Assemblée législative de transition a approuvé la dissolution de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), actant ainsi un projet de loi déjà adopté par le gouvernement du capitaine Ibrahim Traoré.
Créée il y a plus de deux décennies, la CENI avait pour mission d’organiser et de superviser les élections, qu’il s’agisse des scrutins présidentiels, législatifs ou locaux. Mais pour les autorités militaires, cette institution, censée garantir la transparence électorale, était devenue un organe « inefficace, infiltré et budgétivore ».
« La CENI n’était plus indépendante. Elle était sujette aux influences extérieures », ont dénoncé les proches du pouvoir de transition. En filigrane, une critique récurrente : celle d’un appareil électoral perçu comme le prolongement de l’ancien système politique, accusé d’avoir favorisé la corruption et l’instabilité avant les coups d’État de 2022.
Un vide institutionnel avant la refonte
La dissolution de la CENI crée un vide juridique et opérationnel dans la gestion du futur processus électoral, s’il devait y en avoir. L’institution devait en principe préparer les élections censées marquer le retour des civils au pouvoir, initialement prévu en 2024. Mais ce calendrier est désormais caduc. En septembre dernier, le capitaine Ibrahim Traoré a annoncé une prolongation de cinq ans de la transition, repoussant tout scrutin jusqu’à au moins 2029. Dans ce contexte, la disparition de la CENI pourrait traduire la volonté du pouvoir de repenser en profondeur le système électoral, voire de le placer sous un contrôle direct de l’exécutif.
Selon plusieurs observateurs, le risque est grand de voir se substituer à la CENI une « autorité électorale nationale » plus centralisée, dépendant du ministère de l’Administration territoriale ou du Conseil de transition lui-même.
Un symbole politique fort
Au-delà de la justification technique, la suppression de la CENI apparaît comme un signal politique. En mettant fin à une institution clé de l’ère démocratique burkinabè, le pouvoir de transition affirme son rejet des mécanismes hérités du pluralisme électoral des années 1990. Cette décision s’inscrit dans une série de réformes structurelles menées depuis deux ans : révision du code électoral, réorganisation des partis politiques, redéfinition du rôle de la société civile et contrôle accru de la presse.
Pour certains analystes, la manœuvre vise à resserrer l’emprise du pouvoir militaire sur l’appareil d’État avant toute perspective de retour à un régime civil. « Le démantèlement de la CENI, c’est la fin d’un symbole : celui d’une démocratie électorale, même imparfaite, mais vivante », estime un politologue de l’Université de Ouagadougou sous couvert d’anonymat.
Entre souveraineté et verrouillage politique
Les partisans du capitaine Traoré défendent toutefois une autre lecture. Ils affirment que la dissolution de la CENI s’inscrit dans une démarche de « refondation souveraine » du pays, visant à libérer les institutions de l’influence occidentale. Dans cette perspective, la nouvelle architecture électorale devrait être élaborée « par et pour les Burkinabè », dans le cadre du processus de « refondation nationale » en cours.
Mais pour de nombreux acteurs politiques et observateurs internationaux, la question essentielle demeure : sans CENI, qui garantira demain la sincérité et la transparence des scrutins au Burkina Faso ?
Et maintenant ?
À ce stade, aucune feuille de route n’a été rendue publique quant à la création d’un nouvel organe électoral. L’Assemblée de transition évoque la mise en place prochaine d’une « commission de réforme électorale », chargée de proposer un nouveau cadre institutionnel.
Cependant, l’incertitude reste totale sur le calendrier et la nature du futur dispositif. En l’absence d’une autorité indépendante, les conditions d’un retour crédible à la démocratie paraissent plus éloignées que jamais.




