Bruno Ben Moubamba : « Le bongoïsme, c’est le management de la misère ! »


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Bruno Ben Moubamba
Bruno Ben Moubamba

Candidat gabonais à l’élection présidentielle du 30 août, Bruno Ben Moubamba revient sur sa campagne. Il évoque son engagement contre les divisions ethniques et contre la Françafrique. Et malgré les tentatives d’étouffement de l’opposition, il refuse de sombrer dans le pessimisme. Ali Bongo est bien seul, selon lui, et il est condamné à l’échec.

Bruno Ben Moubamba a pris part à l’élection présidentielle gabonaise du 30 août, dont Ali Bongo est officiellement sorti vainqueur. Le score modeste du candidat indépendant ne l’a pas empêché de bénéficier d’une tribune importante dans les médias internationaux, notamment par une communication Internet très développée. Il fait partie du Front du refus, dont il dit avoir eu l’initiative, avec le candidat Eric Moreau Nguéma. Bruno Ben Moubamba refuse de reconnaître la décision de la Cour constitutionnelle, le 12 octobre, qui a confirmé Ali Bongo à son poste de président et entend continuer la lutte contre un « chef de l’exécutif » qu’il juge illégitime. Il a pour l’instant quitté le pays pour la France, par mesure de précaution.

Afrik.com : Vous avez été un « candidat de la société civile ». Qu’est-ce qui vous a mené à vous présenter à la présidentielle ?

Bruno Ben Moubamba : Je me suis impliqué au Gabon dans l’humanitaire à partir de 1999, en finançant la construction d’une école à Sindara. C’est un besoin que j’ai eu, comme Gabonais de la diaspora, et qui m’a amené à me rendre sur place un trimestre par an. La pauvreté des enfants m’a choqué, surtout comparée aux richesses qui sortent chaque jour du pays. Je me suis donc impliqué dans la société civile et j’ai finalement écrit une lettre ouverte, qui m’a directement menée sur la scène politique.

Afrik.com : Justement, l’intellectuel et militant des droits de l’Homme Grégory Ngbwa Mintsa est interdit de sortie de territoire et a vu son salaire suspendu dans l’affaire qui entoure cette lettre. Il s’est étonné au début de la semaine de votre capacité à entrer et sortir du pays librement…

Bruno Ben Moubamba : J’ai rédigé fin 2008 une lettre ouverte à feu Omar Bongo, intitulée « Vous avez trompé le peuple gabonais ». Quatre journaux ont refusé de la publier mais l’un d’eux a prévenu André Mba Obame, alors ministre de l’Intérieur. Avec Ali Bongo, dont il était encore proche, il a cherché à me tendre un piège pour que je la publie et sois arrêté. Mais j’ai eu vent de la chose. J’ai donc rencontré les ambassadeurs français et américain, pour les informer que je voulais quitter le pays. Le lendemain, j’ai miraculeusement réussi à prendre place dans un avion pour quitter le pays. Certains diront que j’ai été aidé, mais dans ce cas, je ne sais pas par qui. J’ai finalement publié la lettre sur Internet, à mon arrivée en France. Ceux qui ont eu la lettre entre les mains ont ensuite été arrêtés, mais je n’ai pas bénéficié d’un traitement de faveur, j’ai été inculpé pour « tentative d’insurrection », avec les autres. Grégory est stressé, je pense, et je condamne la persécution dont il est l’objet [Grégory Ngbwa Mintsa est revenu sur ses propos mercredi, le lendemain de la réalisation de l’interview, ndlr].

Afrik.com : Mais vous êtes tout de même retourné au pays pour vous présenter, avant de repartir à nouveau en France…

Bruno Ben Moubamba : Après les arrestations, j’ai compris que l’humanitaire ne suffisait plus, je suis donc revenu me présenter comme candidat, en témoin pour l’Histoire. Et je suis reparti après l’élection parce que je savais que j’étais devenu une cible prioritaire pour Ali Bongo. J’ai choisi de partir un dimanche matin, car je sais que le samedi soir, l’alcool et les prostituées sont au menu des soirées des gradés. J’ai simplement profité des ambiguïtés et j’ai bluffé.

Afrik.com : Vous avez obtenu 0,28% des voix officiellement. Est-ce pour vous un échec ou bien un encouragement à continuer ?

Bruno Ben Moubamba : On ne saura jamais la réalité des résultats, mais je reste le premier des petits candidats [Bruno Ben Moubamba est septième au décompte officiel, ndlr], devant plusieurs leaders historiques ou anciens ministres. Je pense donc avoir fait une campagne efficace. Mais les citoyens ont pour beaucoup voté « utile », dans une élection à un seul tour. Ils ont voté selon une logique régionale et ethnique, ce qui est le signe d’un échec du bongoïsme. Il existe un risque d’« ivoirisation » du Gabon, qui pointe jusque parmi les élites intellectuelles. Dans ce cadre, mon positionnement catholique se veut fédérateur, du fait de la majorité chrétienne du Gabon. Mais je suis victime d’une campagne calomnieuse parce que je vais à contre-courant.

Afrik.com : Vous affirmez par ailleurs une francophilie désabusée, face aux ravages de la Françafrique…

Bruno Ben Moubamba : La Françafrique est l’héritière du pétainisme et de l’extrême droite. Elle est un racisme géopolitique, qui voit les Noirs comme des êtres inférieurs et l’Afrique comme un territoire à exploiter. Je suis francophile mais traumatisé. Sarkozy, comme les autres, a fait une erreur : suivre les intérêts de grands groupes qui le désinforment.

Afrik.com : Vous parlez de manière assez directe. Un opposant historique comme Pierre Mamboundou s’exprime par exemple avec beaucoup plus de prudence verbale. Cherchiez-vous dans la campagne une tribune ou bien ambitionnez-vous véritablement d’accéder à la présidence ?

Bruno Ben Moubamba : Je suis tombé dans l’arène politique pour exercer le pouvoir. Je n’ai pas envie de demander à Claude Guéant d’autorisation pour cela. La liberté est aussi pour les Noirs ! J’ai décidé de consacrer ma vie à lutter contre la Françafrique, quel qu’en soit le prix. Quant à Pierre Mamboundou, j’éprouve pour lui de l’admiration et du respect. Je sais qu’il a été persécuté au cours de ses longues années de lutte. On m’a conseillé, au sein du Front contre le coup d’Etat électoral d’adopter un ton plus mesuré, mais je rejette la langue de bois. Comprenez que je suis né en même temps que le système Bongo et que je trouve insupportable l’idée d’en reprendre pour 30 ou 40 ans.

Afrik.com : Le Front du refus n’est-il justement pas en train de se diviser ?

Bruno Ben Moubamba : Je fais tout pour éviter que la coalition ne se lézarde. J’adopte sans manichéisme une attitude prudente vis-à-vis des anciens ministres. Il faut leur reconnaître une chose : par leur défection, ils ont rendu difficile et peu crédible l’accession au pouvoir d’Ali. Le pouvoir a de son côté tout intérêt à ce que le Front explose, à ce que certains reconnaissent l’élection, à présent que la Cour constitutionnelle a rendu son avis, voire acceptent de participer au gouvernement. Ali Bongo nous a clairement menacés de représailles si nous ne nous plions pas à sa volonté. De plus, le bongoïsme cherche à infiltrer tout ce qui naît. Jean-Félix Mouloungui, ancien représentant à Paris de l’Union du peuple gabonais [parti de Pierre Mamboundou, ndlr], est désormais ministre des PME et l’un des snipers les plus violents à mon encontre. Le pouvoir a été jusqu’à acheter des gens de ma propre famille ! Le bongoïsme, c’est le management de la misère !

Afrik.com : Vous dénoncez par ailleurs le « ménage » effectué dans l’administration…

Bruno Ben Moubamba : Tous les hauts fonctionnaires qui ont soutenu un autre candidat qu’Ali Bongo, voire qui ne l’ont pas assez soutenu, ont été éjectés. Officiellement, le régime parle de « volonté de réforme ». Dans l’armée, plusieurs généraux et des dizaines d’officiers ont également été arrêtés sans explication, comme le général Ntumpa, ancien responsable de la sécurité nationale.

Afrik.com : Et maintenant, qu’allez-vous faire ?

Bruno Ben Moubamba : Le « chef de l’exécutif » – puisque je refuse de l’appeler « président » –, multiplie les erreurs et est condamné à tomber. Il n’est soutenu par les siens que par défaut et n’est pas apprécié dans la sous-région. Il n’est pas intégré au tissu national et n’arrivera pas à acheter l’amour du peuple. Je suis prêt à travailler avec tous les vrais opposants, comme Pierre Mamboundou, tant qu’ils resteront dans une approche de refus du bongoïsme.

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