Ben Ali, de Naima Kéfi à Leïla Trabelsi


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Couverture du magazine Matalana n°12

Le second président tunisien, Zine el-Abidine Ben Ali, a poursuivi la voie tracée par le fondateur de la Tunisie moderne vis-à-vis des femmes et comme son prédécesseur accordé à son épouse un rôle important dans la vie politique. Un article extrait du magazine Matalana n°12, actuellement en kiosque, consacré aux « amours présidentielles » au Maghreb.

Par Khaled A. Nasri

Habib Bourguiba restera comme le libérateur de la femme tunisienne. Mais Zine el-Abidine Ben Ali, son successeur, au pouvoir depuis le 7 novembre 1987, est le continuateur de cette oeuvre. Car, s’il n’est pas à l’origine du Code du statut personnel (CSP), il est directement responsable de plusieurs de ses améliorations, notamment un amendement, remontant à 1993, très important sur le plan symbolique : celui consistant à donner la possibilité à la femme de transmettre la nationalité tunisienne à sa progéniture, chose jusqu’alors impossible dans le monde arabe.

Mais le plus grand des mérites de Zine el-Abidine Ben Ali est sans doute celui… de n’avoir pas abrogé, pour raisons de convenances personnelles, ce fameux CSP en réintroduisant la bigamie ! Une hypothèse pas si farfelue que cela. Explication : en 1988 : les islamistes, qui constituaient une force politique puissante, réclamaient à cor et à cris son abrogation. Et le tout nouveau président, qui était à l’époque déchiré entre deux femmes, son épouse légitime et sa maîtresse, aurait pu… couper la poire en deux, et, sans rétablir la polygamie, pour ne pas donner l’impression de renier entièrement Habib Bourguiba, autoriser, à titre exceptionnel la bigamie. Il ne l’a donc pas fait.

Zine el-Abidine Ben Ali, né le 3 septembre 1936, à Hammam Sousse, est entré dans l’armée immédiatement après l’indépendance. Avec d’autres jeunes recrues, il est envoyé en France parfaire sa formation militaire, et, à son retour en Tunisie, est affecté au service du général Kéfi, un des plus hauts gradés de l’armée. Une épaisse zone d’ombre entoure les circonstances de sa rencontre avec Naïma, la fille de son patron. Toujours est-il qu’il finit par l’épouser en 1964. Trois filles, aujourd’hui toutes les trois mariées à des hommes d’affaires en vue, naissent de cette union : Ghazoua, Dorsaf (qui a épousé Slim Chiboub, longtemps le grand manitou du football tunisien en tant que président de l’Espérance sportive de Tunis), et Cyrine. Pour Zine el-Abidine Ben Ali, c’est un mariage presque inespéré, qui donne un coup d’accélérateur à sa carrière. Le jeune sous-officier devient, la même année, directeur du renseignement militaire. Son destin de « super-flic » est tracé.

Au milieu des années 1980, Zine el-Abidine Ben Ali, qui est entre-temps devenu général, rencontre Leïla Trabelsi. Cette dernière est une fille du peuple, issue d’une famille nombreuse (elle a dix frères) et exerce la profession de coiffeuse. C’est, dit-on, une femme de moeurs légères, qui multiplie les conquêtes masculines. Pulpeuse, elle subjugue son amant, qui, parvenu au pouvoir, choisit finalement de divorcer d’avec Naima, en 1988, avant de l’épouser en 1992. Là encore, comme dans le cas d’Habib Bourguiba, les épousailles s’assimilent d’abord à une opération de régularisation : leur première fille, Nesrine, est née en 1986, à Bruxelles. Elle est aujourd’hui mariée avec Sakher el-Materi, rejeton d’une grande famille tunisoise et fils d’un ancien putschiste impliqué (à un degré mineur, il est vrai) dans le complot de 1962 contre Habib Bourguiba. Moncef el-Materi, le père de Sakher, avait été condamné à mort et n’avait eu la vie sauve qu’après l’intercession de Wassila Ben Ammar, la femme d’Habib Bourguiba…

Au coeur des luttes d’influences

Leïla, devenue « présidente », ne tarde pas à prendre ses marques. L’empire qu’elle exerce sur son mari est indéniable. A l’instar de Wassila Ben Ammar, quoique moins ouvertement, elle se transforme en acteur politique de premier plan. Ses ennemis la disent manipulatrice. Une chose est sûre en attendant : mieux vaut aujourd’hui avoir les faveurs de la Première dame pour espérer durer au gouvernement. Et les observateurs croient de plus en plus discerner sa patte derrière les promotions et les disgrâces. Abdelwaheb Abdallah, le ministre des Affaires étrangères, une des éminences grises du Président, doit sa longévité à l’amitié qu’il a su forger avec Leïla et son clan. A l’inverse, tous ceux qui étaient proches de la première épouse du Président ou de ses premières filles ont fini par se retrouver éjectés du sérail. La Première dame est aujourd’hui au coeur des luttes d’influences qui ont redoublé depuis que la rumeur de la maladie du président a pris naissance, il y a un peu plus de quatre ans.

Leïla Ben Ali Trabelsi est maintenant doublement incontournable. Le 20 février 2005, elle a donné un fils à son mari, fils aussitôt prénommé Mohamed Zine el-Abidine. Mais surtout, elle est au sommet de la pyramide de l’entreprenant clan des Trablelsi, qui a littéralement fait main basse sur tout ce que la Tunisie compte de secteurs rentables. Belhassen, le frère aîné de Leïla, est aujourd’hui le « capitaine d’industrie » le plus en vue du pays. Il dirige la compagnie aérienne Karthago et vient de faire une entrée fracassante au conseil d’administration de la Banque de Tunisie, plus ancienne et plus prospère des banques privées du pays. Imed et Moez, ses neveux, âgés d’une trentaine d’années, qui ont grandi dans un inquiétant sentiment d’impunité, sont sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par un juge français d’Ajaccio pour vol et recel. Le yacht de Bruno Roger, président-directeur général de la banque Lazard, ami intime de Jacques Chirac et proche de Nicolas Sarkozy, dérobé à Saint-Tropez, a, en effet, été retrouvé amarré à Sidi-Bou-Saïd, maquillé et immatriculé au nom d’Imed Trablesi.

La mansuétude du chef de l’Etat pour sa belle-famille s’explique difficilement. Sans doute, a-t-il au début encouragé les Trabelsi et leurs affidés dans leurs entreprises pour s’affranchir de l’establishment traditionnel des affaires et constituer une nouvelle bourgeoisie, entièrement dépendante de lui. Et sans doute, à l’instar du docteur Frankenstein, a-t-il fini par être dépassé par ses créatures et par devenir l’otage des clans. Grande, élégante, pulpeuse, s’habillant chez les plus grands couturiers de Paris et plus encore de Milan, Leïla, elle, est en quête de respectabilité. Elle reste la cible des railleries et des moqueries du petit peuple, qui l’appelle encore « la coiffeuse » et continue à se délecter de blagues à son sujet.

Mais elle n’a plus grand-chose à voir avec la femme qu’elle était à la fin des années 1980. Ses activités à la tête de l’association caritative Basma sont très médiatisées. Ses prises de paroles plus fréquentes et plus assurées. Elle est maintenant présente à toutes les cérémonies officielles et lit parfois des discours à la place de son mari. Ceux qui l’ont rencontrée l’assurent : elle est intelligente, douée et apprend vite. Elle est maintenant bardée de diplômes : le baccalauréat, qu’elle a passé par correspondance, au début des années 2000, et une maîtrise en droit de la faculté de Toulouse, passée toujours par correspondance. De là à dire qu’elle vise plus haut et pourquoi pas la présidence, il n’y a qu’un pas. Que la vox populi s’est depuis longtemps empressée de franchir.

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