Basile Djédjé : « J’écris pour soigner la blessure de l’exil »


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Basile Djédjé, 46 ans, a dû quitter la Côte d’Ivoire à 20 ans à la suite d’un accident qui l’a rendu paraplégique. Laisser Abidjan a été une véritable blessure qu’il a soignée en écrivant. Son deuxième recueil, l’œuvre poétique Les Rides du fleuve, est mis en scène dimanche à Paris au cours d’une lecture publique en musique. L’auteur revient pour Afrik sur sa thérapie littéraire et sur ce qu’elle lui a appris sur la vie et les hommes.

Ecrire pour soigner l’exil. C’est ce que Basile Djédjé a choisi de faire pour calmer le feu dévorant de la nostalgie d’une Côte d’Ivoire qu’il a quittée à 20 ans à cause d’un accident qui lui a fait perdre l’usage de ses jambes. A 46 ans, il guérit son âme en écrivant. A la lisière du roman et de la nouvelle, Les Rides du fleuve, son deuxième ouvrage de récit poétique est adapté ce dimanche à Paris à travers une lecture publique, avec Vincent Byrd-Le Sage et Nathalie Vairac sous la direction musicale de Toups Bebey. Au centre de l’œuvre, un thème central : l’exil. Encore et toujours. L’auteur nous explique son parcours intérieur depuis la déchirure et partage avec nous sa vision de la vie.

Afrik.com : Pourquoi l’exil est le thème récurrent de votre oeuvre ?

Basile Djédjé :
L’écriture est pour moi une thérapie. J’étais d’une nostalgie maladive par rapport à ma terre natale. D’autant que mon exil est involontaire. J’ai quitté la Côte d’Ivoire, à 20 ans, à la faveur d’un rapatriement sanitaire pour venir me faire opérer en France après l’accident de football qui m’a paralysé. J’avais fais trois mois de coma et il me fallait une intervention de neurochirurgie. L’Europe ne m’était jamais apparue comme une destination.

Afrik.com : Plus de 25 ans après avoir quitté la Côte d’Ivoire, avez-vous toujours la même nostalgie et la même douleur ?

Basile Djédjé :
Je ne suis plus dans une position de nostalgie rêveuse, mais plutôt dans une nostalgie constructive. « Que vais-je faire un jour pour le Continent pour ne pas avoir à regretter tout le temps que j’ai passé ici (en France, ndlr) ».

Afrik.com : Etes-vous souvent retourné à Abidjan depuis ?

Basile Djédjé :
Je ne pouvais pas passer six mois sans aller à Abidjan ou me rendre en Afrique. Ce qui m’a causé quelques difficultés dans mon parcours scolaire. Mais il fallait que je sente l’Afrique, que je voie ses couleurs. Pourtant à chaque fois que je retournais à Abidjan, il me manquait quelque chose de ma ville. Je ne retrouvais plus mes repères. L’Abidjan que je connais est installé dans ma mémoire du passé.

Afrik.com : Pensez-vous que l’on puisse établir un parallèle avec les personnes qui ont quitté leur pays pour d’autres raisons que les vôtres ?

Basile Djédjé :
Avec mon travail, j’ai compris pourquoi les gens restaient plus longtemps qu’ils ne le voulaient quand ils quittaient leur pays. C’est l’échec du retour. Il s’agit plus d’un échec affectif qu’un échec matériel. Cela s’exprime à travers des phrases courantes comme : « Là-bas ce n’est plus la même chose ». Chaque fois qu’on revient, on est un étranger parmi les siens parce qu’on ne se reconnaît plus dans ces lieux que nous avions quittés. Quand on retrouve ses amis d’enfance, on n’a rien à se dire. Les mots restent muets. Alors par désespoir, on préfère être étranger à l’étranger.

Afrik.com : Que vous apportez votre handicap dans votre vision de la vie ?

Basile Djédjé :
Je n’ai plus le même regard candide sur l’Humanité. Je ne fais plus le procès de l’Homme pour juger s’il est bon ou mauvais. Je le prends tel qu’il est. Je reconnais intimement à l’être humain le droit de faillir. C’est en voyant les personnes mourir à l’hôpital, autour de moi, que j’ai appris à aimer l’Homme. Et puis je me suis rendu compte de l’incroyable fragilité de la vie. Mon handicap me fait vivre l’instant présent avec d’autant plus d’intensité. J’ai développé un instinct de survie quasi animal qui fait que je m’adapte à n’importe quelle circonstance. Je me suis également rendu compte de la fragilité du temps, d’autant que nous n’avons aucun contrôle sur lui.

Afrik.com : Si écrire avait avant tout une fonction thérapeutique, pourquoi avez-vous décidé de rendre vos œuvres publiques ?

Basile Djédjé :
J’avais un recueil dans mes tiroirs quand un ami m’a convaincu qu’il fallait que « j’apprenne à partager ». Emu par mon travail, il a décidé de proposer mon manuscrit à un éditeur.

Afrik.com : Vos textes sont l’objet de lectures publiques. Quel effet cela vous a-t-il fait d’entendre vos œuvres adaptées de la sorte ?

Basile Djédjé :
Je redécouvre mon travail, qui à l’origine était pour moi de l’ordre de l’évidence, vu que j’écris naturellement. Je me suis rendu compte de la vraie douleur qu’avait engendré l’exil. Au début je relisais mes ouvrages pour voir si c’était vraiment moi qui avais écrit ce que j’avais entendu. Les mots sont parfois si forts. Il y en a qui sont récurrents, comme patrie, absence, déchirure, sanglots, bruissement, souffle et la couleur ébène. Des mots simples mais qui finissent par devenir très durs dans mes récits. Mais mes sensations sont à chaque fois différentes. Ce qui me montre à quel point la blessure était profonde.

Afrik.com : Deux compteurs vont lire, dimanche, une partie de votre œuvre. Ils seront accompagnés par le musicien Toubs Bebey. Qu’apporte la musique à la mise en scène ?

Basile Djédjé :
La musique est le véhicule qui va porter les mots, les éclairer. En fait, il y a cinq acteurs dans la mise en scène. Trois sur scène : la force vocale de Vincent, la souplesse de Nathalie et l’enveloppe musicale de Toubs. En ce qui me concerne, j’ai participé à coordonner les choses. Et c’est le tout qui va donner vie aux mots pour que le texte devienne humain.

Afrik.com : Vos textes sont très forts. A-t-il été facile aux compteurs de se les approprier pour les faire partager au public ?

Basile Djédjé :
Les premières personnes avec qui je devais travailler ont craqué. L’émotion était trop forte. Elles ne s’étaient pas posé les questions que je développe dans mes œuvres. Les larmes ont coulées. Il y en a une qui m’a confié : «Je n’aurai jamais la force de dire ça sur scène ».

Afrik.com : Les Rides du fleuve est votre deuxième recueil après Les larmes du fleuve. Deux ouvrages complémentaires dans votre quête intérieure. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Basile Djédjé :
Il s’agit en fait d’une trilogie. Le troisième ouvrage est d’ailleurs presque fini. J’en ai fait un sur le regard que je porte sur la patrie, un autre sur comment je vis mon exil. Le dernier est sur le retour. France ou Côte d’Ivoire ? Je suis aujourd’hui entre les deux. Je ne rêve plus à long terme, je rêve de l’instant présent pour vivre une vie sans regret. Je vis ici (en France, ndlr) comme si j’étais là bas et je vis là bas comme si j’étais ici. Pour ne pas rater le plaisir d’aujourd’hui.

 Les Rides du fleuve. Discussions musicales d’après l’oeuvre poétique de Basil Djédjé. Avec Vincent Byrd-Le Sage et Nathalie Vairac, Direction musicale Toups Bebey dans une mise en scène de l’auteur. Dimanche 24 octobre 2004 à 18 h 00 à l’Entrepôt.7-9, rue Francis de Pressensé – Paris 14e – M° Pernety. Entrée gratuite.

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