Aux origines de la lèpre


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Enfant lèpre

La fresque chronologique de la lèpre s’étend de l’antiquité à nos jours. Cette maladie très tôt mondialisée a provoqué un rejet social dans toutes les civilisations. Dans une dimension religieuse la lèpre était considérée comme le châtiment divin d’une corruption de l’âme. Aussi les nombreuses passions qu’a suscitées la lèpre dans les esprits et les imaginations méritent de revenir sur son récit historique.

« Sois mort au monde et revis en Dieu ». Tels étaient les paroles du prélat qui venait de jeter trois fois de suite de la terre sur la tête du lépreux dans sa fosse. La lèpre, symbole du châtiment divin pour qui a transgressé l’interdit, est au fil du temps et dans toutes les civilisations, une cause de discrimination sociétale. Appelée aussi maladie de Hansen, du nom du chercheur norvégien qui a mis en évidence la bactérie bacille Mycobacterium leprae responsable de la lèpre chez l’homme, la maladie est connue depuis l’antiquité par les civilisations égyptienne, chinoise et indienne.

Premières traces signalées en Asie

Déjà en 2000 avant Jésus Christ (J.C) la civilisation chinoise signale la maladie infectieuse. Elle l’interprète comme une punition des péchés de l’Homme. Entre 1800 et 1300 avant J.C les Vedas, les plus anciens livres sacrés en sanscrit de l’hindouisme, décrivent avec précision la maladie. Idem pour les écritures cunéiformes assyro-babyloniennes, antérieures au Ier millénaire avant J.C qui évoqueraient la lèpre, tout comme dans des papyrus de l’Egypte ancienne. Hérodote, historien grec du 5ème siècle avant notre ère, affirme que la lèpre sévissait en Perse il y a plus de 2500 ans sous le nom de « pisaga ». Les lépreux étaient mis au ban de la communauté et ne pouvaient communiquer avec les autres Perses. Quant aux lépreux étrangers ils étaient tout bonnement chassés du pays.

Au premier siècle de l’ère chrétienne la maladie infectieuse se propage en Grèce et en Italie. Et de manière plus accentuée au 3ème et 4ème siècle par le truchement de contacts et de brassages humains entre ces pays méditerranéens et le Moyen-Orient. La contagion à partir de l’Italie s’est opérée vers le nord par la conquête des Gaules. Galien, médecin de l’Antiquité, 131 ap. J.C, affirme que la lèpre aurait quitté les foyers méditerranéens vers 180 post-J.C pour s’installer en Espagne, en France et en Germanie.

L’Afrique berceau de la lèpre

L’Egypte aurait joué un rôle majeur dans cette progression vers l’Europe. Car dans l’antiquité le pays des pharaons était pour les pays euro-méditerranéens et l’Afrique subsaharienne le carrefour commercial esclavagiste. Il était par ailleurs une zone d’affrontements entre l’Europe et l’Asie. Les plus importants foyers de lèpre sont situés en Afrique. Willy Hansen et Jean Freney, dans leur livre Des bactéries et des hommes, expliquent que « les foyers de la lèpre les plus denses étant en Afrique, l’hypothèse a effectivement été émise que le berceau de la maladie se trouverait en Afrique et plus précisément au Soudan et en Ethiopie ».

Au Moyen âge la lèpre s’est répandue de façon notoire en Occident. Les expéditions de Charlemagne, l’invasion barbare, les guerres, l’interaction des peuples et des commerces, les pèlerinages vers l’Espagne sont à l’origine de la diffusion de la maladie. Le retour des croisés entre 1095 et 1270 a également largement contribué à l’européanisation de la lèpre.

Condamnation biblique

La lèpre trouve une partie de sa stigmatisation sociale dans la Bible (chapitre 13 du Lévitique (le pentateuque est l’ensemble des cinq premiers livres de la Bible : le Livre de la Genèse, le Livre de l’Exode, le Livre du Lévitique, le Livre des Nombres et le Livre du Deutéronome). Ce mot, traduit de l’hébreu « Zaraath » désigne une impureté au sens large du terme. Chapitre 13 du Lévitique verset 40 à 46 : « Si un homme perd les cheveux de son crâne, c’est la calvitie du crâne, il est pur. Si c’est sur le devant de la tête qu’il perd ses cheveux, c’est une calvitie du front, il est pur. Mais s’il y a au crâne ou au front un mal blanc-rougeâtre, c’est qu’une lèpre prolifère sur le crâne ou le front de cet homme. Le prêtre l’examinera et, s’il constate au crâne ou au front une tumeur blanc-rougeâtre, de même aspect que la lèpre de la peau, c’est que l’homme est lépreux ; il est impur. Le prêtre devra le déclarer impur, il est atteint de lèpre à la tête. Le lépreux atteint de ce mal portera ses vêtements déchirés et ses cheveux dénoués ; il se couvrira la moustache et il criera : ‘Impur ! Impur !’ Tant que durera son mal, il sera impur et, étant impur, il demeurera à part : sa demeure sera hors du camp ». Le forclos vivra en paria car il est bannit de la société.

Les Cagots sont un exemple de cette pratique d’exclusion. Ils étaient une communauté ladre vivant en repli dans le Sud Ouest de la France. Le terme « cagot » trouve vraisemblablement ses origines dans le mot béarnais qui veut dire lépreux. Ce phénomène né vers l’an mille s’est estompé au 17ème siècle pour disparaître au 19ème. Alors dénoncé comme un racisme populaire, l’excommunication était à cette époque localement bien ancrée.

La lèpre et les léproseries

L’empereur Constantin 1er le Grand aurait fondé les premières léproseries autour de Rome au 4ème siècle. Ces lieux composés d’une multitude de cabanes pour lépreux portaient aussi le nom de borde. Au Moyen âge, l’extension de la carte de la lèpre a entraîné une extension des léproseries. Elles étaient placées extra-muros dans des endroits difficiles d’accès près d’un cours d’eau, l’époque considérant les bains comme salutaires, et en aval de la Cité pour que l’air impur l’épargne. Un chanoine ou un prêtre dirigeait la léproserie. La toponymie témoigne de cette époque. Des hameaux, ruisseaux ou lieux-dits s’appellent encore aujourd’hui La Maladière.

Lire ausdi notre dossier sur la lèpre en Afrique

En ce temps, seules les professions infamantes sont autorisées à être exercées par les lépreux, équarrisseur, fossoyeur, cordier (si les cordes servent aux pendaisons) ou encore charpentier (les planches réalisées par un lépreux doivent servir à la fabrication du cercueil d’un condamné à mort). La comparaison avec les « intouchables » en Inde est pertinente. Les médecins n’auront accès aux léproseries qu’au 14ème siècle. A cette époque la pandémie s’étiole et d’autres maladies infectieuses apparaissent dans les ladreries.

La lèpre représentait la punition de la transgression de l’interdit sexuel. Des mesures ont donc été prises par différents rois de France pour limiter son extension, en particulier Pépin le Bref, son fils aîné Charlemagne et beaucoup plus tard Henri IV. Vœu de chasteté, interdiction du mariage et encadrement par la suite des lépreux.

Le recul de l’endémie au 14ème et sa disparition au 17ème siècle vide les léproseries des vrais lépreux. Les faux lépreux établissent, ici, leur repère de vices et d’orgies. Le mot borde progressivement devient « bordel ». François 1er puis Henri IV prennent des mesures pour juguler les déviances. Beaucoup de ladreries ferment au cours des 15ème et 16ème siècle. A partir de 1789 les quelques lépreux subsistant en France sont accueillis dans les hôpitaux. Bien qu’elle ait disparu des pays du Nord la lèpre persiste encore aujourd’hui notoirement en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Chaque année 700 000 nouveaux cas sont enregistrés dans le monde.

Prévalence et détection

En 2004 (pays ayant communiqué leurs chiffres), selon le site Internet de la fondation Raoul Follereau :

Régions OMS Cas enregistrés (au début de 2005) Cas détectés
Afrique 47 596 46 918
Amériques 36 877 52 662
Est Méditerrannée 5 398 3 392
Asie du Sud-Est 186 182 298 603
Pacifique Ouest 10 010 6 216
Total 286 063 407 791

Par Morad Ouasti

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