La vengeance du lion


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Solomon-linda

« Le lion est mort ce soir » est un tube mondial depuis les années 50. Il a été composé par un chanteur sud-africain mort en 1962 dans la misère. Aujourd’hui, ses héritiers demandent compensation. Première action : ils attaquent en justice Walt Disney qui a utilisé quelques mesures du titre dans son dessin animé sorti en 1994, Le Roi lion. La chasse aux royalties est ouverte.

Dans la jungle, terrible jungle des producteurs de disques… il existe une histoire triste comme le début de Bambi. Mais qui pourrait se terminer aussi bien que La Belle au bois dormant. Vous connaissez sûrement le tube interplanétaire « Le lion est mort ce soir ». Ce qui est moins sûr, c’est que vous connaissiez son auteur. Et pour cause, le Sud-africain Solomon Linda a enregistré la première version de la chanson avec son groupe, en 1939, en échange de 10 schillings. Le musicien est mort dans la misère en 1962 sans avoir jamais touché un sou des royalties phénoménales qu’aurait dû lui rapporter sa chanson.

Ses trois filles ont engagé, mardi 6 juillet, une procédure contre Walt Disney, qui a utilisé quelques mesures du titre dans son dessin animé sorti en 1994, Le Roi lion. C’est Owen Dean, spécialiste sud-africain des questions de droit d’auteur, avocat des ayants-droits de Solomon Linda, qui a choisi de s’attaquer en premier à la société américaine, réclamant 10 millions de rands (1,3 millions d’euros) de dommages et intérêts. « Ce n’est en aucun cas une vengeance contre Disney », explique l’avocat. « Mais s’il le faut, nous prendrons Mickey, Donald et Winnie l’ourson en otage. » Il a également expliqué que l’action en justice, lancée devant la Haute Cour de Pretoria, était un coup d’essai qui pourrait être suivi par d’autres procédures aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Australie et au Canada…

Solomon Linda and the Evening Birds

Car, depuis sa naissance, le « lion » de Solomon a essaimé dans le monde entier et connu plus de 160 versions. Destin extraordinaire pour une composition qui a vu le jour par hasard. Solomon Linda, né en 1909 à Msinga, au sud-est de Johannesbourg, au cœur du pays zoulou, commence à chanter à 20 ans avec un groupe d’amis. Ils écument les mariages et les fêtes locales en interprétant des chansons du répertoire zoulou. Au milieu des années trente, ils tentent l’aventure à Jo’burg. Tout en étant commis ou garçon de cuisine, Solomon Linda and the Evening Birds (c’est le nom du groupe) chantent leur vie quotidienne et la difficulté d’être noirs. Ils seront à l’origine du courant musical « isicathamiya » (dérivé de l’expression zouloue « Cothoza, bafana ! », « marchez sur la pointe des pieds, les gars ! »).

En 1939, ils enregistrent, dans l’unique studio sud-africain, « Mbube » (« lion » en zoulou) pour le producteur Eric Gallo. C’est un simple morceau à trois cordes avec des paroles inspirées d’une chasse aux lions que les membres du groupe ont vécu dans leur jeunesse. Alors qu’il n’avait rien préparé ni écrit, devant le micro, Solomon prend une large respiration, ouvre la bouche et improvise la mélodie qui fera le tour du monde : « Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir… »

Le « lion » fait le tour du monde

A l’époque, aucun artiste ne touche de royalties et le copyright n’existe pas. Solomon Linda ne signe même pas de contrat. Il cède son trait de génie à Gallo pour une poignée de shillings et retrouve son emploi de domestique. Jusqu’à ce qu’il tombe gravement malade, en 1962, il continuera à se produire le week-end, devenant une légende de la culture zoulou. Car le succès est au rendez-vous de « Mbube » : 100 000 exemplaires du disque sont vendus en Afrique du Sud, entre 1939 et 1948. Gallo flaire l’affaire et envoie une copie aux Etats-Unis.

En 1952, le chanteur Pete Seeger et son groupe les Weavers adaptent la chanson et la baptisent « Wimoweh ». Puis le compositeur américain George Weiss s’y intéresse, lui ajoutant un refrain en anglais et l’enregistre sous copyright, comme une « composition originale » de son crû. Il l’appelle « Le lion est mort ce soir ». Cette version va générer plus de 72 millions de dollars de royalties jusqu’à nos jours, enterrant définitivement la voix de Solomon Linda sous plusieurs couches d’influence pop-rock. Dans les années 60, la chanteuse sud-africaine Miriam Makeba la reprend et Henri Salvador signe une version française. Dans les années 70, le titre poursuit son chemin, repris notamment par Brian Eno en 1975. Des musiciens africains s’en inspireront aussi comme Salif Keïta, Mori Kanté et Manu Dibango. En 1982, le groupe R.E.M est premier au box-office anglais avec sa version. La chanson arrive au Japon en 1992, revient en France en 1993 avec le groupe vocal masculin Pow Wow… Elle sera « samplée » par un groupe de rap américain en 1997, transformée en marche militaire par l’orchestre de l’armée néo-zélandaise ou en tube heavy metal en Allemagne…

Les filles demandent justice

La musique sera aussi utilisée dans plus de 30 films, dans la série Friends, dans une demi-douzaine de spots publicitaires et sera bien sûr le thème principal du spectacle musical Le Roi lion, lancé en 1997 et qui tiendra l’affiche pendant trois ans sur Broadway. C’est en 1990, qu’elle se retrouve pour la première fois mêlée à la justice. A New-York, la maison de production des Weavers, The Richmond Organization (TRO) et George Weiss se disputent la propriété du juteux copyriht. Le juge décide que l’adaption de Weiss est une composition personnelle à part entière. Et que TRO doit continuer à faire ce qu’il est censé faire depuis des années, à savoir verser des royalties de « Mbube » et « Wimoweh » à la famille de Linda. En fait, les filles de Solomon n’auraient perçu en tout que 15 000 dollars. Elles vivent misérablement à Soweto et tentent aujourd’hui de se faire entendre. Rappelant qu’à la mort de leur père, leur mère n’avait même pas eu de quoi payer une pierre tombale à Solomon.

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