Alassane Ouattara et Ali Mahaman Lamine Zeine : une poignée de main pas comme les autres


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Alassane Ouattara et Ali Mahaman Lamine Zeine
Alassane Ouattara et Ali Mahaman Lamine Zeine

En temps normal, il s’agit d’un geste ordinaire entre hommes d’État. Sauf que la poignée de main entre le Premier ministre du Niger, Ali Mahaman Lamine Zeine, et le Président ivoirien, Alassane Ouattara, ce 27 mai 2025, n’a rien d’ordinaire.

Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire est sous les feux de la rampe depuis ce 27 mai 2025, date de l’ouverture des Assemblées annuelles de la BAD édition 2025. Plusieurs chefs d’État sont présents dans la métropole ivoirienne à l’occasion de ce grand rendez-vous. Le Niger s’est fait représenter par son Premier ministre, Ali Mahaman Lamine Zeine, un homme qui connaît bien la BAD. Il a été le représentant résident de l’institution non seulement en Côte d’Ivoire, mais également au Tchad et au Gabon. Mais cette fois-ci, le Nigérien est en terre ivoirienne en qualité de Premier ministre de son pays. Un pays en froid avec la Côte d’Ivoire depuis le putsch du 26 juillet 2023.

Des relations refroidies par le coup d’État du 26 juillet

Au lendemain du renversement du Président Mohamed Bazoum, la position ferme de la CEDEAO soutenue et portée par les Présidents béninois, Patrice Talon, ivoirien, Alassane Ouattara, et sénégalais, Macky Sall, surtout qui représentaient l’aile dure des tenants d’une intervention militaire de l’organisation sous-régionale au Niger, avait valu à ces dirigeants et par ricochet à leur pays l’inimitié des militaires au pouvoir au Niger. Pendant que les pays qui s’étaient montrés moins portés vers une politique interventionniste comme le Togo de Faure Gnassingbé s’étaient attiré la sympathie des nouveaux dirigeants nigériens.

Dans la foulée, des accusations de soutien aux terroristes pour la déstabilisation du Niger avaient commencé à fuser de toutes parts, visant surtout le Bénin et la Côte d’Ivoire. Le premier responsable nigérien qui a porté ces accusations notamment contre le Bénin face à la presse était justement Ali Mahaman Lamine Zeine. En mai 2024, le Premier ministre nigérien a donné une conférence de presse pour accuser le Bénin d’abriter des bases françaises où des terroristes seraient entraînés avec la mission de déstabiliser le Niger. Les mêmes accusations ont été renouvelées en juin 2024.

Quelques mois plus tard, en décembre 2024, c’est le général Abdourahamane Tiani, président de la Transition au Niger, lui-même, qui accuse le Bénin d’avoir acquis une centaine de drones de fabrication chinoise qui ont été distribués à des terroristes qui opèrent dans la région avec l’appui de la France. Au même moment, le Nigeria et la Côte d’Ivoire avaient été accusés de soutenir des terroristes dont la mission est de déstabiliser le Nigeria avec le soutien de la France. Chaque pays visé avait rapidement réagi pour démontrer le caractère incongru des accusations nigériennes. Côté nigérian, on a dénoncé des accusations « sans fondement ».

Alassane Ouattara et Ali Mahaman Lamine Zeine
Alassane Ouattara et Ali Mahaman Lamine Zeine

En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, c’est le chef d’état-major des armées, le général Lassina Doumbia qui a publié un communiqué pour balayer les accusations nigériennes, appelant les autorités de Niamey à se concentrer sur leurs défis sécuritaires internes, qui, selon lui, demeurent non résolus. Le Bénin, pour sa part, a réagi par son ministre des Affaires étrangères qui a non seulement convoqué la chargée d’affaires de l’ambassade du Niger au Bénin pour lui faire part des vives protestations du Bénin face aux accusations proférées par le général Tiani contre son pays, mais a également adressé un courrier à son homologue nigérien pour protester contre des accusations « fantaisistes », « injustifiées » et « dénuées de tout fondement objectif ».

Ces différentes accusations ont sérieusement refroidi entre le Niger et ces pays des relations qui ont pris un coup dur avec le coup d’État du 26 juillet.

Un geste d’apaisement ?

C’est à l’aune de ce contexte tendu qu’il faut analyser et apprécier l’audience accordée par Alassane Ouattara à Ali Mahaman Lamine Zeine et surtout la poignée de main entre le Président ivoirien son hôte nigérien. Au-delà du formalisme cérémoniel, la poignée de main entre les deux hommes pourrait bien être un signe annonciateur d’un renouveau dans les relations entre les deux pays.

Même si rien n’a filtré des échanges entre le Président ivoirien et le Premier ministre nigérien, il faut bien apprécier la beauté du geste qui, au-delà de toute considération, démontre une capacité des dirigeants à transcender à un moment donné les différends entre leur pays et à faire place à la fraternité. Une fraternité que les peuples souhaitent sincère et durable. Surtout que les pays sont condamnés à exister côte à côte, qu’ils soient membres de l’AES ou de la CEDEAO. En cela, l’édition 2025 des Assemblées annuelles de la BAD aura servi de pont pour rapprocher deux pays frères séparés depuis quelques années par un mur.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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