Agonies en Françafrique : un livre sur « la guerre de Brazzaville »


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Epoustouflant. Explosif. Viril… Les superlatifs abondent pour qualifier le dernier livre de Dina Mahoungou, Congolais vivant en France depuis plus de 30 ans. Dans Agonies en Françafrique (L’Harmattan), l’auteur juxtapose les souvenirs de « la guerre de Brazzaville », laquelle avait opposé trois milices –les Cobras, les Zoulous et les Ninjas – aux apparences mafieuses. Un carnet dans lequel des Congolais de Paris racontent leur quotidien…

Dina Mahoungou est connu dans les milieux congolais de Paris comme un amateur de bière et de la bonne table. Les uns le considèrent comme un « Sapeur » ; les autres comme un « Congolais à la mode ». Mais ce que les Congolais de Paris ne savent peut-être pas, c’est que Dina Mahoungou écrit. En 1980, il publia Le Mémorial juvénile et, deux ans plus tard, Le superbe de l’émotion. Après tant d’années d’absence, il revient avec un roman puissant. « J’aime l’aventure », reconnaît-il. Et d’ajouter : « Ecrire, c’est se lancer dans l’inconnue : on ne sait pas ce que l’on va découvrir. » Agonies en Françafrique, son dernier livre, est loin d’être agonisant; il se détache de la banalité actuelle du livre congolais. L’actualité aidant, imaginez Laurent Gabgbo sur le point d’être chassé du pouvoir, il brade les richesses de son pays aux Américains, aux Coréens… Imaginez Mouammar Kadhafi sur le point d’être chassé du pouvoir, il brade les richesses de son pays, aux Chinois, aux Brésiliens… Les protagonistes, de leur côté, font de même. Les intérêts de la France en pâtissent. Et si pour Venance Konan, la Françafrique ressemble à « un gros village où tout le monde est copain, où on se rend des services, on se fâche parfois, mais jamais pour longtemps », pour Dina Mahoungou, « c’est une brillante démonstration de haine » moribonde… Le pillage des richesses des pays francophones…

Certes, le roman fourmille de clichés immondes – tripots, sexe, drogue, Sapelogues, HLM, « quartiers sensibles », etc, pour les Congolais de France. Mais Agonies en Françafrique sont un « fleuve en crue », aux débordements tentaculaires, emportant tout sur son passage. Et si ces clichés sur la vie des Congolais de France, par exemple, ne reflétaient que la réalité? Et si Brazzaville avait été le théâtre des obus dans le but de sauver les intérêts de la France? Un ex-dirigeant de la multinationale pétrolière n’avait-il pas avoué: « Le Congo est une propriété française »?

C’est dans un style mordant, sublimé par un vocabulaire richissime, que Dina Mahoungou évoque les « années de plomb » durant lesquelles « trois professionnels des embrouilles de réputation établie, munis de leurs milices partisanes, avaient mis le petit Congo à feu et à sang. » Et bradé les richesses du pays. Un carnet dans lequel les Congolais de Paris racontent leur vie. Dina Mahoungou n’épargne pas non plus « les Congolais, un ramassis de chiens couchants, craintifs et apprivoisés. Une défaillance nerveuse, une dignité qui dégringole devant soi jusqu’au bas de la côte ». Des « mollassons soumis aux pressions et irritations des milices (…) et de la police politique ».

Le roman, sans véritable narrateur, est scindé en trois parties (1996 ;2010 ;2000), avec des flash-back. Une architecture réussie : à Brazzaville, la belle vie, mais à quel prix ? A Paris, les humiliations, « les quartiers sensibles »… La construction est quasi inexistante: les histoires et les personnages s’enchaînent sans aucune logique ; on passe du pétrole au bois, de la Sape aux « quartiers sensibles » sans transition. Il y a dans Agonies en Françafrique quelque chose de Verre cassé d’Alain Mabanckou : outre l’humour et la puissance des mots, on savoure la galerie de portraits aussi vrais que natures.

Une noria de personnages

Oui, il y a L’as à sous, le « général de classe exceptionnelle, le parrain des Cobras, surnommé partout dans le monde des affaires : Tala N’Gayi c’est-à-dire « Type connu » ou encore « Regardez-moi », « un installé à demeure dans la haine, commettant, à chaque instant, un attentat au citoyen contre lui-même. »

Il y a « le grand chaman, « un sorcier survivaliste », devenu par le hasard des choses député-maire de la ville, le chef des Ninjas. Mais, « après avoir été chef d’un parti politique, député-maire de la ville de Brazzaville, voire premier ministre éphémère de l’académicien, le voilà, quelques années plus tard habitant dans une case en banco et en terre battue, sans climatiseur, autour de la ville mosquée de Djénné, dans un climat de type sahélien avec 40 degrés à l’ombre ».

Il y a « le sage professeur, l’émérite, le protecteur des Zoulous, un mandarin accompli, qu’on appelait l’Académicien ». Hélas ! Il se révéla « narcoleptique et schizophrène ». « Il entendait des voix qui lui disaient d’aller lécher la cuvette des water-closets. « Je suis un oisillon, je veux voler de mes propres ailes, je suis un planeur, moitié-papillon moitié-hirondelle, je vais monter du côté des anges », chantait-il, dans sa douce folie.

Il y a « l’archevêque Ernest Lekabri, prélat de tous les bestiaires du Haut-Congo. Un belliqueux, « un triste voyeur »…

Il y a Marie Koka Yaka, « une virage tonitruante de la goutte d’or » ; Ma Léonie Wa N’Dzénga les hautes fesse ; Mat Sup, un vieil Anglais gras et gâteux ; Matouba-Touba, docteur d’Etat en Droits de l’homme, ancien Procureur à Brazzaville devenu vigile à Paris…

En fait, il n’y a pas de sujet majeur dans Agonies en Françafrique: l’auteur aborde une pelletée de sujets. Comme dans Les faux-monnayeurs d’André Gide. Et c’est ce qui fait la beauté de ce livre.

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