Agonie de l’industrie musicale malienne


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Seydoni et Mali K7, les deux principales maisons de production musicale et de pressage de cassettes au Mali, ont mis, depuis mercredi dernier, leur personnel en chômage technique. Leur principale revendication : demander au gouvernement de faire respecter les lois contre la contrefaçon. La piraterie leur fait perdre les 9/10è de leur chiffre d’affaires estimé à près de deux milliards de F CFA.

Les salariés de Seydoni et Mali K7, les deux entreprises qui assurent la majorité de la production musicale au Mali sont, depuis le 16 mars dernier, en chômage technique. La raison : leurs employeurs ne sont plus en mesure de leur payer leurs salaires à cause des pirates. « Le problème actuellement, c’est qu’il y a des commerçants au marché qui nous laissent (Mali K7 et Seydoni, ndlr) produire les artistes, investir dans leur promotion et presser leurs cassettes…bref faire tout le travail et réaliser tout l’investissement. Et puis deux semaines après la sortie des cassettes, ils nous en achètent quelques exemplaires qu’ils dupliquent en Asie en des milliers d’autres. Ils les revendent bien évidemment moins cher réalisant ainsi d’importants bénéfices puisqu’ils ne payent pas de royalties, de TVA, pas de droits d’auteurs…Ils tuent le marché et depuis un an nous avons du mal à payer notre personnel. Si je vous disais que nous représentons – Mali K7 et Seydoni – 98% de la production musicale mais seulement 5% de la distribution, me croiriez-vous ? Et pourtant c’est vrai », explique Fousseni Traoré, directeur de Seydoni.Le reste du marché étant aux mains des pirates. Les patrons de Mali K7 et de Seydoni attendent que le gouvernement prenne ses responsabilités et sanctionnent les pirates. Une condition sine qua non pour reprendre leurs activités. « Autrement, pour Fousseni Traoré, les pirates auront gagné ».

La piraterie : une perte sèche qui se chiffre à des milliards de F CFA

Le prix normal d’une cassette légale est de 1 000 F CFA (1,5 euros), sa contrefaçon coûte quant à elle 700 F CFA. Le Mali en consommerait entre 8 et 10 millions, alors que seulement 600 000 cassettes sont légalement fabriquées par Seydoni et Mali K7, qui assurent la production et la diffusion de près de 2 000 artistes en terre malienne. Alors que le marché total est estimé à 2 milliards de F CFA, les deux principales maisons de production ne réalisent qu’un chiffre d’affaires qui se situe entre 240 et 300 millions. Pour le patron de Seydoni, il est donc impératif que le gouvernement applique la loi.

Car « il y a une loi qui dit que la piraterie est un crime au Mali. Pourquoi arrête-t-on les gens que l’on surprend en possession d’objets prohibés et qu’on ne fait rien quand il s’agit des cassettes ? Surtout qu’on les connaît », s’indigne M. Traoré. Dans la même optique, l’Etat devrait également, selon lui, lutter contre les importations des cassettes pirates. Ce qui risque certainement de mettre en cause un système où la corruption règne sans partage. Comparer à d’autres pays de la sous-région, le cas malien semble néanmoins quelque peu alarmant. Ainsi, selon le patron de Seydoni, le marché ghanéen est composé à 80% de cassettes légales contre 90% pour la Côte d’Ivoire avant la crise. Cependant à Abidjan, encore aujourd’hui, 100% des cassettes sont légales. Et dans ce pays, un producteur a le droit de faire interpeller un vendeur qu’il surprend avec une cassette pirate.

La musique malienne en crise

Quel avenir pour la musique malienne dans ces conditions ? « Sur le plan économique, ce sont des milliards de recettes fiscales qui échappent à l’Etat, mais aussi aux producteurs et à leurs artistes. Sur chaque cassette vendue, nous reversons 90 francs de droits d’auteurs et 112 francs de TVA. C’est également de l’argent qui échappe au Mali puisque, en Asie, les pirates paient en espèces pour les cassettes dupliquées. D’un point de vue artistique, nous ne serons plus en mesure de faire découvrir de nouveaux talents. Et là on verra bien ce que feront les pirates quand il n’auront plus rien à contrefaire », dixit Fousseni Traoré.

Dans un mois, si rien n’est fait, ce sont un peu plus de 150 personnes, sans compter les petits revendeurs, qui seront licenciées et privées de ressources.Mais le plus grand perdant risque d’être la musique malienne dans son ensemble. C’est pour cela que les musiciens ont commencé à se mobiliser. Les jeunes rappeurs se sont ainsi rendus au marché, jeudi dernier, pour saisir toutes les cassettes piratées. Le patron de Seydoni est également en contact avec de grands artistes maliens comme Salif Keita, Ali Farka Touré ou encore Oumou Sangaré pour trouver les moyens de sensibiliser un gouvernement malien qui jusqu’ici n’a pas réagi. Alors que l’industrie de la musique dont la cassette est le support majoritaire connaît une crise sans précédent.

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