Afrique du Sud : S’bu Zikode, le porte-parole des bidonvilles


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S'bu Zikode

S’bu Zikode est le leader du « mouvement des habitants de cabanes de bidonvilles », né en février dernier. Une association structurée, agissant principalement à Durban, qui a pour objectif de faire valoir les droits « des plus pauvres des pauvres » et de pousser les autorités à prendre leurs responsabilités envers ces nécessiteux. Interview.

Les habitants des bidonvilles d’Afrique du Sud ont un chef : S’bu Zikode. Ce jeune homme de 30 ans a monté en février dernier à Durban, où il habite, Abahlali base mjondolo, qui signifie en zulu le « mouvement des habitants de cabanes de bidonvilles ». Parce qu’il vit lui-même, avec sa famille, dans l’une des cabanes que l’on trouve dans les bidonvilles, S’bu Zikode sait de quoi il parle. Le manque d’hygiène, d’éducation, de sécurité ou de santé, il connaît. Ce qui lui permet d’avoir les mots justes pour sensibiliser à la détresse de ses voisins, qui est aussi la sienne. Le président du « mouvement des habitants de cabanes de bidonvilles » a confié avec dignité à Afrik quel est le quotidien des gens dont il défend les droits et ce qu’ils attendent des autorités.

Afrik.com : Pourquoi avoir créé ce mouvement ?

S’bu Zikode :
Le mouvement a commencé à Kennedy Road, lorsque les gens ont réalisé qu’ils ne pouvaient pas agir seuls et qu’il n’y avait personne pour les aider. J’ai créé ce mouvement parce qu’il y avait un réel besoin pour nous de nous rassembler afin de faire entendre nos voix. Notre force, c’est notre unité et notre nombre. L’objectif était que les pauvres puissent dire qui ils sont, quels sont leurs besoins, ce dont ils souffrent et que tous les problèmes soient soulevés par le mouvement. Car il n’y a personne pour représenter les plus pauvres des pauvres.

Afrik.com : Le mouvement est-il national ?

S’bu Zikode :
Pour le moment, il y a 14 installations (groupes de cabanes de bidonvilles, ndlr) à Durban qui forment le mouvement. Mais nous avons vocation à étendre notre action à tous les endroits du pays où il y a des habitations pauvres.

Afrik.com : Vous vivez donc vous-même dans une cabane de bidonville ?

S’bu Zikode :
Oui. Tous nos membres vivent dans une de ces cabanes. J’y vis depuis environ 10 ans, mais la plupart des gens sont là depuis près de 30 ans.

Afrik.com : Vous êtes le président du mouvement. Comment avez-vous été élu ? Quand aura lieu la prochaine élection ?

S’bu Zikode :
Les représentants des 14 installations se sont réunis et ont voté. La prochaine élection devrait avoir lieu fin 2006.

Afrik.com : Pour vous faire entendre, vous avez mené plusieurs manifestations. Quelles sont vos revendications ? Dans quel climat se déroulent les marches de protestation ?

S’bu Zikode :
Nous ne demandons que des choses basiques : de l’eau, des toilettes, de l’électricité, de la terre et des logements. Nous ne demandons pas la lune ! Nous avons fait six manifestations. La première a réuni 7 000 personnes, la seconde 5 000… Celle où nous avons été le plus nombreux est la quatrième, où nous étions 10 000. Lors de la dernière manifestation, le 14 octobre dernier, la police a emprisonné et harcelé plusieurs de nos membres. Elle a confisqué des téléphones, des appareils photos et certains ont eu des dents cassées. Selon eux, notre manifestation était illégale, mais c’est faux puisque nous avons rempli toute la procédure. Ce n’était pas la première manifestation que nous faisions ! Nous savions précisément qui prévenir et la police et la mairie étaient au courant. Ce n’était pas la première fois que la police était violente avec nous.

Afrik.com : Pouvez-vous nous raconter la vie dans les bidonvilles ?

S’bu Zikode :
Il n’y a pas que le problème de la terre et du logement : le taux de chômage est très élevé. Je travaille dans une station service pour nourrir ma femme et mes quatre enfants. Mais pour beaucoup c’est vraiment difficile de manger. L’environnement est empoisonné à cause des déchets qui ne sont pas ramassés, des usines qui sont à côté… Il y a un lycée technique pas très loin, mais les enfants ne peuvent pas y aller parce que nous n’avons pas les moyens de payer les frais de scolarité. Il n’y a aucune sécurité. Vous ne pouvez pas savoir le nombre de gens victimes de crime et de viol. Des criminels viennent se cacher ici et personne ne peut les identifier étant donné la configuration de nos habitations. Les taux de personnes atteintes de sida, qui ont un cancer et de femmes qui font des fausses couches sont très importants en raison de tous les problèmes que nous connaissions. Mais personne ne s’en occupe et ne s’intéresse aux gens qui vivent dans les bidonvilles. Tout ça est inacceptable. C’est tellement inhumain ! C’est pour cela que nous devons nous lever et dire que trop, c’est trop. Nous ne sommes pas considérés comme des êtres humains, personne ne sait ce que nous vivons. Nous voulons qu’un responsable de Pretoria vienne passer une semaine à nos côtés pour sentir ce que nous sentons, inhaler ce que nous inhalons (les poisons), toucher ce que nous touchons et voir ce que nous voyons.

Afrik.com : Pensez-vous que les manifestations soient une arme efficace de revendication ?

S’bu Zikode :
Oui, une arme très forte ! C’est pour ça que nous encourageons les gens à manifester et manifester encore. Lorsque les autorités voient des milliers de personnes dans les rues, elles commencent à trembler et à s’occuper des problèmes.

Afrik.com : Les autorités répondent-elles à vos besoins ?

S’bu Zikode :
Elles font beaucoup de promesses en public pour montrer un visage vertueux, mais rien ne se passe. Le maire de Durban a promis plusieurs fois de venir nous voir, mais il ne l’a jamais fait. Combien de temps faudra-t-il que nous parlions pour être entendus ? Un garçon d’un an est mort brûlé en octobre dans l’une de nos maisons. Combien faut-il de morts avant qu’ils réagissent ? Lorsqu’on demande aux autorités combien de maisons vont être construites, quand et où et qu’on leur demande pourquoi nous devrions les croire lorsqu’elles nous parlent de leurs projets, elles sont incapables de répondre. Nous avons besoin d’être sûrs de ce qu’ils nous promettent. Nous ne pouvons plus souffrir de cette façon.

Afrik.com : Il n’y a pas eu de victoires ?

S’bu Zikode :
Si, la première fois que nous avons rencontré le maire, que nous nous sommes assis avec lui et que nous avons parlé de nos problèmes. Les gens commencent à comprendre que nous ne sommes pas stupides, que nous cherchons à atteindre un but. Mais il reste un long chemin à parcourir avant de restaurer la dignité des habitants des maisons de bidonvilles.

Afrik.com : Vous avez expliqué dans la presse que vous vous sentez trahi par l’ANC (Congrès national africain). Pourquoi ?

S’bu Zikode :
Parce que nous avons tous voté pour l’ANC. Certains des membres du mouvement sont membres de l’ANC. Nous leur avons donné le pouvoir pour qu’ils nous aident et il n’y a aucun retour.

Afrik.com : Conseilleriez-vous aux Zimbabwéens dont les maisons ont été rasées dans une opération de démolitions des bidonvilles de former un mouvement comme le vôtre dans leur pays ?

S’bu Zikode :
Je suis au courant de ce qui se passe au Zimbabwe. Je pense que les gens ont besoin d’un mouvement comme le nôtre : il n’y a pas de honte à parler de pauvreté. Les Zimbabwéens devraient se lever et ne pas juste compter sur le gouvernement. Ils doivent trouver une alternative à leurs problèmes puis s’appuyer sur le gouvernement et les entreprises.

Afrik.com : Pensez-vous que ce que vous vivez est une nouvelle forme d’Apartheid, où les riches excluent les pauvres ?

S’bu Zikode :
Les riches deviennent plus riches, et les pauvres plus pauvres. Le fossé s’agrandit. Mais je pense que nous sommes sensés partager : ceux qui ont de l’argent à ne plus savoir qu’en faire doivent aider ceux qui n’ont rien, c’est ça la démocratie. Les gens doivent apprendre à partager.

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