Afrique du Sud : le pouvoir fort source de corruption


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« Le pouvoir corrompt mais le pouvoir absolu corrompt absolument » déclarait Lord Acton. C’est toujours vrai aujourd’hui. Lorsque les lois sont floues et laissent un trop gros pouvoir d’interprétation aux fonctionnaires, c’est la porte ouverte à tous les excès.

Dans son article, Martin van Staden, s’insurge contre le pouvoir discrétionnaire dont disposent certains fonctionnaires. Selon lui, c’est une source importante de corruption puisque les décisions reposent sur le ressenti des hommes et non sur la loi. Il souligne que c’est un moyen désolant de freiner l’investissement car le flou n’est pas favorable à la réalisation d’un business plan crédible.

A la racine de la corruption, de l’incertitude, et par ricochet du désinvestissement qui règne en Afrique du Sud, se trouve le pouvoir discrétionnaire placé entre les mains des politiciens et des fonctionnaires. L’Afrique du Sud a déjà le cadre juridique nécessaire pour opérer son virage vers le développement et retrouver le chemin vers la prospérité. L’état de droit, un principe inscrit clairement à la section 1(c) de la Constitution, stipule que le pouvoir discrétionnaire devrait être effectivement circonscrit et limité.

Pouvoir illimité pour les fonctionnaires

Les fonctionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire excessif lorsqu’ils peuvent prendre des décisions sur la base de leurs propres interprétations subjectives des faits, lesquelles sont influencées par leurs opinions ou leur sentiments. Inévitablement, leur intérêt personnel, consciemment ou inconsciemment, influence la façon dont ils exercent leur pouvoir. Un fonctionnaire responsable de l’octroi des licences peut avoir tendance à favoriser les personnes avec lesquelles il a une bonne relation par rapport aux autres.

Un exemple de discrétion illimitée est donné par le texte portant loi sur les écoles. L’article 46 prévoit qu’une école privée ne peut être enregistrée que si un membre du conseil exécutif (MEC) pour l’éducation «est convaincu» que les conditions d’inscription, telles que déterminées par ce MEC, ont été remplies par l’école. En d’autres termes, le MEC est habilité à fonder son acceptation ou son refus d’enregistrement d’une école sur son seul jugement subjectif. Aucun critère n’est inclus dans la Loi sur les écoles pour guider ou limiter le MEC dans sa prise de décision, ce qui signifie qu’il peut freiner discrétionnairement la création d’une école privée. En outre, les écoles indépendantes enregistrées doivent prendre soin de maintenir de bonnes relations avec les MEC de sorte que ces derniers ne soient pas tentés de remettre en cause leur instruction initiale du dossier, ce qui entraînerait le retrait de la licence de l’école. Toutefois, l’article 29 de la Constitution donne aux Sud-Africains le droit d’établir leurs propres établissements d’enseignement indépendants et déclare que si ces institutions ne font pas de discrimination raciale, et que leur niveau d’éducation est équivalent à celui des institutions publiques, elles doivent être enregistrées. Il existe de nombreux autres exemples en droit sud-africain où c’est la règle de l’homme qui domine la règle de droit.

Interprétation abusive de la notion d’intérêt général

Le pouvoir discrétionnaire doit être circonscrit avec des critères objectifs et limité uniquement aux cas où il est absolument nécessaire. L’expression «intérêt général» devrait être exclue en tant que critère principal car chaque tyran et chaque petit fonctionnaire ont leur propre conception de ce qui est l’intérêt général. A titre d’illustration, le ministre sud-africain des Finances semble convaincu qu’il est dans l’intérêt général de la compagnie aérienne nationale, South African Airways, de recevoir régulièrement de généreux renflouages de plusieurs milliards de rand. Les lois de l’économie, et tout simplement le bon sens, montrent clairement que ce siphonage des caisses du Trésor public, remplis par des contribuables travaillant dur, ne sert en aucun cas l’intérêt général.

Si des critères objectifs étaient en vigueur, un ministre ne serait en mesure de renflouer une entreprise d’État qu’après qu’une évaluation d’impact socio-économique avait été menée par un organe indépendant et ait déterminé que ce renflouage était susceptible d’aider cette entreprise à recommencer à générer du profit suite à un sauvetage unique. Autrement, le ministre devrait être habilité à liquider l’entreprise d’État.

Impacts négatifs sur l’investissement

Un pouvoir excessif est source d’instabilité car il conduit à modifier la politique ou ses modalités d’application au gré des circonstances ou à chaque changement de ministre ou de fonctionnaire. Les investisseurs se détournent des secteurs où ce type d’incertitude prévaut car ils n’ont ni visibilité ni sécurité.

Les conséquences négatives du pouvoir discrétionnaire ne découlent pas seulement du pouvoir discrétionnaire autorisé, mais aussi du comportement des politiciens qui en profitent. Par exemple, le ministre des Affaires étrangères a récemment accordé l’immunité diplomatique à la Première Dame du Zimbabwe, qui est soupçonnée en Afrique du Sud d’avoir commis une agression avec l’intention préméditée causer de graves lésions corporelles. Selon le ministre, sa préoccupation première était d’accorder l’immunité diplomatique pour sauvegarder l’intérêt général de l’Afrique du Sud.

Entrave majeure à l’Etat de droit

Il s’agit d’une infraction grave et, avec une telle amnistie d’un suspect, le gouvernement sud-africain a envoyé un signal aux investisseurs étrangers et aux migrants potentiels, selon lequel la loi en Afrique du Sud n’est pas appliquée de manière égale, mais selon des considérations politiques. S’il y avait plus de rigueur, par exemple pour permettre à un tribunal de déterminer si une poursuite réussie était possible avant que l’immunité diplomatique puisse être accordée, le ministre aurait dû respecter les principes de l’état de droit.

On dit souvent que l’Afrique du Sud dispose de bonnes lois, mais une application stricte de ces lois fait défaut. Il y a une différence majeure entre la théorie et la pratique. La législation ou, pire encore, les règlementations court-circuitent le processus parlementaire, accordant ainsi un pouvoir discrétionnaire excessif et dangereux aux fonctionnaires et aux politiciens. La corruption et la faible croissance en sont les conséquences naturelles. La Constitution engage l’Afrique du Sud à respecter l’état de droit. Malheureusement nous manquons largement à cet engagement.

Martin van Staden, Directeur des programmes académique des Students For Libery et analyste pour The Free Market Foundation.

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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