
En Afrique du Sud, une nouvelle loi sur l’équité en emploi suscite une levée de boucliers dans le camp de l’Alliance démocratique, principal parti d’opposition, et membre du gouvernement d’union nationale formé au lendemain des dernières élections. Une fois de plus, les désaccords profonds entre deux partis que tout oppose refont surface.
Trente ans après la fin de l’Apartheid, l’Afrique du Sud reste en proie à de profondes inégalités raciales dans le monde du travail. Une nouvelle réforme de la législation sur l’équité en emploi, entrée en vigueur en janvier 2025, entend y remédier en imposant des objectifs chiffrés de représentation des groupes historiquement marginalisés – Noirs, femmes, personnes handicapées – dans certains secteurs professionnels. Mais la loi, portée par le ministère du Travail, divise profondément le pays et menace l’équilibre déjà fragile du gouvernement d’union nationale.
Une réforme controversée
Au cœur de la controverse se trouve l’article 15A de la loi modifiée sur l’équité en emploi. Il accorde au ministre du Travail le pouvoir de fixer, par secteur, des objectifs obligatoires de représentation raciale et de genre pour les entreprises de plus de 50 employés qui souhaitent faire affaire avec l’État. Si ces objectifs ne sont pas atteints, des amendes sont prévues.
L’objectif affiché est clair : corriger les déséquilibres historiques encore visibles dans l’économie. Selon les statistiques officielles, alors que les Blancs représentent moins de 10 % de la population, ils occupent toujours 66% des postes de direction dans le secteur privé. En revanche, les Sud-Africains noirs, majoritaires, continuent de souffrir d’un taux de chômage de plus de 32 %, aggravé par une précarité endémique. « Ce n’est pas une question de quotas, mais de justice », a martelé Mahlengi Bhengu-Motsiri, porte-parole de l’ANC (Congrès national africain). « Il s’agit de corriger les déséquilibres structurels de l’économie et de garantir à tous les Sud-Africains des chances égales ».
L’opposition saisit la justice
Face à cette réforme, l’Alliance Démocratique (DA), deuxième force politique du pays et partenaire de l’ANC dans le gouvernement d’union nationale formé après les élections de 2024, a déposé un recours devant la Haute Cour de Pretoria. Pour la DA, cette loi serait inconstitutionnelle, car fondée sur des critères raciaux perçus comme discriminatoires.
« Nous défendons le droit de chaque Sud-Africain à être jugé sur ses compétences, pas sur sa couleur de peau », a déclaré Helen Zille, présidente fédérale de la DA. Elle qualifie la loi de « draconienne » et « totalitaire », estimant qu’elle risque d’aggraver le chômage, de décourager l’investissement étranger et de créer une nouvelle forme de discrimination inversée. La DA souligne que la loi cible tous les groupes non noirs, sans prendre en compte les inégalités économiques transversales : certains Blancs, notamment parmi les jeunes ou les classes populaires, subissent également la pauvreté et le chômage, argumente-t-elle.
Fractures dans le gouvernement d’union nationale
Cette opposition frontale a ravivé les tensions au sein du gouvernement. Depuis la perte de sa majorité parlementaire en 2024, l’ANC gouverne avec plusieurs partis, dont la DA, dans une coalition fragile et conflictuelle. La réforme de l’équité en emploi, comme avant elle le projet avorté d’augmentation de la TVA, met en lumière les divergences idéologiques profondes entre les alliés.
Des voix s’élèvent désormais au sein même de l’ANC pour exclure la DA du gouvernement d’union, l’accusant de remettre en cause les fondements de la transformation post-Apartheid. Pour ses détracteurs, le recours judiciaire de la DA trahit une volonté de protéger les privilèges économiques de la minorité blanche sous couvert de méritocratie.
Une question d’équilibre entre justice sociale et efficacité économique
Le débat dépasse les clivages partisans et touche au cœur du projet sud-africain : comment réparer les injustices du passé sans créer de nouvelles fractures ? Les défenseurs de la réforme estiment que des décennies de « discrimination positive » n’ont pas suffi à renverser les héritages de l’Apartheid. Les opposants, eux, rappellent les risques d’un interventionnisme étatique trop poussé dans un contexte de croissance molle et de fuite des capitaux. La réaction internationale illustre aussi la portée de cette réforme. L’administration Trump a notamment critiqué ce type de lois qu’elle qualifie de « racistes », et a réduit son aide financière à l’Afrique du Sud, tout en soutenant la relocalisation de familles afrikaners vers l’Amérique du Nord.
Alors que la justice sud-africaine examine le recours de la DA, le pays est suspendu à une décision qui pourrait faire jurisprudence et redéfinir les contours de la politique d’équité raciale en Afrique du Sud. En toile de fond, c’est aussi l’avenir de la coalition au pouvoir qui est en jeu, avec des risques de délitement politique à l’horizon. Trente ans après l’avènement de la démocratie, l’Afrique du Sud reste confrontée à un dilemme de taille : comment bâtir une société équitable sans briser le tissu social et économique ? Le débat autour de la réforme de l’équité en emploi en est le reflet brûlant.