Afrique du Sud : l’épineuse question de la redistribution des terres refait surface


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Le Congrès national africain (ANC), au pouvoir en Afrique du Sud, a tenu, dimanche, à Johannesburg, son dernier meeting avant les élections législatives de mercredi. L’une des promesses du parti de Nelson Mandela, vainqueur annoncé de ces élections, est la redistribution de 30% des terres cultivables en faveur des communautés noires, à l’horizon 2014. Cet objectif, déjà fixé au lendemain de la fin de l’Apartheid, en 1994, est difficilement atteignable, estiment certains experts.

Mercredi 15 avril, en pleine campagne électorale, des Noirs sud-Africains armés de couteaux et de machettes prenaient d’assaut une ferme agricole de la province de Mpumalanga, dans l’est du pays. Ils protestaient ainsi contre la lenteur du processus de redistribution des terres aux fermiers noirs prévu depuis l’abolition de l’Apartheid. A la fin du régime de ségrégation raciale, en 1994, en Afrique du Sud, une réforme agraire prévoyait la redistribution des terres en faveur des populations noires. Une loi instaurée en 1913 avait spolié celles-ci des surfaces agricoles dont 90% étaient revenus aux fermiers blancs.

La redistribution et la restitution des terres aux Noirs étaient donc l’une des missions que s’était fixé le Congrès national africain (ANC) lors de son accession au pouvoir en 1994. Quinze années après, il apparaît que la grande majorité de ces terres reste toujours aux mains des fermiers Blancs. Seulement 5% des surfaces agricoles ont été redistribuées en quinze ans. Conséquence : la question de la réforme agraire a été très présente lors de la campagne pour les élections générales de mercredi prochain. Le parti de Nelson Mandela, aux affaires depuis les premières élections multiraciales, promet une accélération de ces réformes pour atteindre la redistribution de 30% des surfaces cultivables d’ici 2014. Un objectif qui était déjà fixé au lendemain de la fin de l’Apartheid.

Redistribuer en maintenant la production

Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Iris (Institut des relations internationales et stratégiques), interrogé par Afrik.com, estime que cette promesse du Congrès national africain (ANC) sera difficilement réalisable. D’après lui, les réformes prévues au lendemain de l’Apartheid ont eu de mal à être mises œuvre pour plusieurs raisons. D’une part, le rapport de force reste favorable à la population blanche en raison de son rôle important dans la population agricole nationale, explique le spécialiste. Deuxième raison: l’Etat sud-africain s’était engagé à racheter les propriétés au prix du marché pour les redistribuer. Mais longtemps exclu de la propriété des terres, les communautés noires n’ont pas de tradition agricole et donc pas d’expérience des exploitations agricoles. Le processus a donc pris du retard par souci de maintenir la dynamique de la production. Les cas de transferts de terres qui ont été réalisés ont montré une sous-exploitation de la majorité des surfaces concernées. « Le défi majeur des autorités sud-africaines, résume M. Hugon, est d’assurer la redistribution des terres tout en maintenant un niveau suffisant de production ». Le cas du Zimbabwe voisin, où la réforme agraire a conduit à des expropriations massives des fermiers blancs, et les conséquences qui en ont découlé, interpellent également.

Par ailleurs, le budget alloué au rachat et à la restitution des surfaces agricoles semble insuffisant. Il serait, selon les spécialistes, 5 fois moindre que la somme estimée nécessaire, soit un peu plus d’un milliard d’euros.

Encourager la paysannerie moyenne

Redistribuer 30% des terres à l’horizon 2014 semble donc irréaliste, sinon impossible. A moins de recourir à des expropriations massives comme au Zimbabwe. Mais là aussi, une loi dans ce sens, votée par le Parlement en 2008, a été suspendue face à la réticence des grands propriétaires. Il serait plus réaliste en Afrique du Sud, selon Philippe Hugon, c’est de recourir à une redistribution progressive avec un encadrement et la formation des communautés noires aux techniques d’exploitations, mais aussi la mise à leur disposition des moyens financiers. Les exploitations familiales doivent être encouragées et devraient venir en complément de la production industrielle selon le modèle capitaliste pratiqué jusque-là. Pour ce faire, une solution doit être trouvée à l’interdiction de diviser les grandes propriétés, comme le prévoit une loi instaurée en 1970 et qui est toujours en vigueur.

En somme, il s’agit d’organiser un système de paysannerie moyenne parallèlement au système de production industrielle pour éviter de casser la dynamique de la production agricole du pays. Il faut certes accélérer la réforme agraire concède Philippe Hugon, mais cette réforme ne doit pas se faire dans la précipitation.

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