Afrique, développement, démocratie : pas de progrès en 2016 !


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Culture de la Démocratie et création des richesses : que nous enseigne l’expérience africaine ? C’est la question à laquelle nous avons soumis Emmanuel OKAMBA, Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion, qui a commenté pour AFRIK.COM le Rapport 2016 de l’Agence anglaise The Economist Group sur le niveau démocratique des pays africains.

La Conditionnalité de la Démocratie fixée par la France pour octroyer son Aide Publique au Développement, aux pays des 37 Chefs d’Etat africains participants, à la 16e Conférence France-Afrique de La Baule, le 20 juin 1990, a renforcé l’idée de l’existence possible d’un lien entre la Démocratie et la création des richesses. Elle a favorisé la promotion de la Démocratie en Afrique et a stimulé la croissance économique, au rythme de 4,9 % l’an entre 2000 et 2008, avant de ralentir à 3,3 % l’an entre 2010 et 2016.

En cause, la résurgence du déficit de Démocratie qui repousse l’échéance de l’émergence économique de 2025 aux calendes grecques.

En effet, depuis 2006, l’agence britannique The Economist Group, évalue le niveau de Démocratie de 167 pays du monde, dont 44 pays d’Afrique subsaharienne, par un score allant de 0 (très faible) à 10 (parfait), sur la base de 60 critères appartenant à 5 catégories de facteurs : le processus électoral et le pluralisme, les libertés civiles, le fonctionnement du Gouvernement, la participation politique et la culture de la Démocratie.

Ses rapports de 2006 et 2017 montrent que la note moyenne de l’Afrique dans les 4 régimes politiques évalués, est passée de 4,24% à 4,37%, contre 5,62% à 5,52% pour le reste du monde. Ces notes sont en résonance avec les notes des 4 régimes économiques attribuées par la Banque Mondiale :

1) la Pleine Démocratie, régime fondé sur le respect des libertés politiques, économiques et de presse, la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif, le Législatif et le Judiciaire et la bonne gouvernance, a une note comprise entre 8 et 10. Elle représente 16,67% des régimes mondiaux en 2006 contre 11,38% en 2016, mais est stable en Afrique à 2,27%. L’Ile Maurice, 18e mondial avec une note de 8,04 en 2006 et 8,28 en 2016, est l’unique Etat africain à ce niveau. L’évolution de son taux de croissance de 3,2% en 2010 et 4% en 2016, en fera probablement le premier Nouveau Pays Industrialisé d’Afrique, selon la Banque Mondiale ;

2) la Démocratie Imparfaite caractérisée par des élections libres et équitables, le respect des libertés civiles et des déficits structurels de gouvernance. Notée entre 6 et 8, elle représente 32,34% des régimes en 2006 contre 34,13% en 2016, et stable en Afrique à18,18%. Ce régime existe au Cap vert (7,92 en 2006 et 7,94 en 2016), au Botswana (7,60 et 7,87), en Afrique du Sud (7,91 et 7,42), au Ghana (5,35 et 6,75), au Lesotho (6,48 et 6,59), en Namibie (6,54 et 6,32), en Tanzanie et au Sénégal (5,37 et 6,2). Ces 7 Lions d’Afrique, économies à forte croissance ont stabilisé leur taux d’investissement comme en Afrique du Sud à 19,9% en 2004 et 19,5% en 2015, et au Sénégal de 26,3% à 26,2% ; ou le développent comme au Ghana de 22% à 25,9%. Leur émergence dépendra des réformes de gouvernance ;

3) le Régime Hybride, marqué par des irrégularités importantes dans l’organisation des élections qui les empêchent d’être libres et équitables. La corruption est généralisée et la primauté du Droit est faible. Noté entre 4 et 6, il est passé de 17,96% des régimes mondiaux en 2006 à 23,95% en 2016, et reste stable à 27,27% en Afrique. Il s’observe au Zambie (5,68 et 5,99), en Tanzanie (5,18 et 5,76), au Mali (6,01 et 5,70), au Bénin (6,17 et 5,67), au Malawi (5,84 et 5,55), au Kenya (4,71 et 5,33), au Libéria (5,02 et 5,31), en Ouganda (5,05 et 5,26), à Madagascar (3,94 à 5,07), au Burkina Faso (3,59 et 4,70), en Sierra Leone (4,51 et 4,55), Mozambique (5,28 et 4,02) et au Nigéria (3,47 et 4,02). Ce dernier pays voit son taux d’investissement baissé de 16% en 2004 à 15,2% à 2015, quand celui du Kenya passe de 17,2% à 20,7%. Ces 13 Lionceaux d’Afrique ou économies à croissance moyenne, peuvent émerger, moyennant des réformes institutionnelles et éthiques profondes ;

4) le Régime Autoritaire, se distingue par l’absence du pluralisme politique ou par sa forte circonscription. Les institutions formelles de la Démocratie y existent, mais n’ont pas de substance réelle, à cause des rapports antagonistes entre les valeurs héritées des états traditionnels (royaume, empire, chefferie) des régimes à vie et les valeurs de l’alternance politique de la République, où règnent les crimes de confusion sociale (corruption, abus de pouvoir, détournements des derniers publics, clientélisme et népotisme) désorganisent l’Etat. Avec une note inférieure à 4, il représente 32,93% des régimes mondiaux en 2006 contre 30,54% en 2016.

Il est stable en Afrique à 52,27%, où il s’observe dans 23 pays dont le Tchad (1,65 et 1,50), la RDC (2,75 et 1,95), le Zimbabwe (2,62 et 3,05), la Côte d’Ivoire (3,38 et 3,81), le Congo (3,19 et 2,91) et ailleurs. L’émergence de ces économies qualifiées de moins avancées est incertaine. Elles risquent de s’enfoncer davantage dans le sous-développement si une synthèse des valeurs traditionnelles et des valeurs modernes ne s’opère dans les assemblées constituantes ou conférences nationales pour pourvoir des réformes institutionnelles réelles.

Ainsi, dans un monde dominé par la Démocratie Imparfaite, l’Afrique ne décolle pas du Régime Autoritaire, et sombre dans le déficit de Démocratie qui affecte son sentier de la croissance. La consolidation continue de la Démocratie, à travers une synthèse des valeurs des Etats traditionnels et des valeurs des Etats modernes, est nécessaire en Afrique pour améliorer la croissance économique et favoriser l’émergence.

Par Emmanuel OKAMBA

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