Afrique – Corée du Nord : histoire de destins croisés


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Plus d’un mois après les fastueuses célébrations qui ont illuminé la place Kim Il-sung de Pyongyang pour célébrer le centenaire de la naissance du père fondateur de la République Populaire et Démocratique de Corée (RPDC, Corée du Nord), l’heure est au bilan pour ce petit Etat d’Asie du Nord-Est. Après un décollage économique certain dans le contexte du Tiers-mondisme et des soutiens aux indépendances africaines, que reste-t-il aujourd’hui des amitiés liant le continent noir avec le régime communiste ? Après la douche froide qu’a été la disparition de l’URSS, il importe de voir quelles ont été les fortunes des liens tissés durant les émancipations postcoloniales.

S’il est pertinent de souligner les liens entre la Corée du Nord et l’Afrique, c’est parce ces deux entités furent (partiellement dans le cas de l’Afrique) toutes deux des parties prenantes du Tiers-mondisme. Contrairement à la croyance populaire, la RPDC ne s’est jamais considérée comme un pays du « bloc socialiste » stricto sensu. Gardant à l’époque ses distances à la fois avec Moscou et avec la Chine, elle a toujours compté sur ses propres forces, sur la base du principe du Juche (mot coréen signifiant à la fois « indépendance », « autonomie » et « autosuffisance »). Autrement dit, la Corée, au milieu du XXème siècle, venait de se débarrasser de l’impérialisme japonais et cherchait à se reconstruire sur une base nationaliste, souveraine et indépendante. Ce discours trouve à l’époque un large écho dans les pays d’Afrique encore soumis à la colonisation occidentale.

L’attirance de la RPDC pour les régimes progressistes d’Afrique est indubitable. Même si le déploiement diplomatique nord-coréen n’est plus ce qu’il était (par manque de moyens financiers) la Corée du Nord possède tout de même vingt-et-une ambassades sur le continent africain (elle reconnait presque tous les Etats africains, le dernier étant le Soudan du Sud). La localisation de ces ambassades en dit long sur la politique africaine de la Corée. On y trouve en effet la presque totalité des pays d’Afrique ayant connu la vague progressiste d’après les indépendances. Parmi ceux-ci le Benin, l’Ethiopie, le Ghana, Madagascar, le Mali, la Tanzanie, l’Angola, l’Egypte… Kim Il-sung était à l’acmé de sa gloire politique dans les années 1960-1970 pendant la période des indépendances africaines. La RPDC connaissant alors un décollage économique sans précédent (grâce à l’aide soviétique tout en étant très attachée à la souveraineté de la Corée vis-à-vis des deux blocs). C’est dans ce contexte qu’Afrique et Corée du Nord se découvrent des intérêts communs : indépendance (politique et économique) et émancipation.

La RPDC aux côtés de l’Afrique

La politique de coopération africaine de la RPDC prend plusieurs formes tout au long de la seconde moitié du XXème siècle jusqu’a très récemment avec par exemple le dévoilement en 2010 de la statue de la Renaissance Africaine, ouvrage ô combien symbolique de Dakar réalisé par des artistes nord-coréens sur commande du président Abdoulaye Wade (en photo). La Corée du nord décide donc de soutenir politiquement et diplomatiquement des régimes fraichement indépendants (l’un des premiers est l’Egypte de Nasser). Mais Pyongyang n’hésite pas non plus à déployer sa force militaire (en l’occurrence ses avions de chasse) pour soutenir le Caire contre Israël en 1973 lors de la guerre du Kippour. Elle envoie aussi ses conseillers économiques au Mali de Modibo Keita. Symbole nord-coréen de cette période de coopération poussée, le mausolée dans lequel repose le corps de Kim Il-sung, et de son récemment défunt fils Kim Jong-il, est orné des portraits de certains des plus connus dirigeants africains comme Mouammar Kadhafi ou Moktar Ould Daddah, président de la Mauritanie indépendante.

Si l’action de coopération nord-coréenne fut modeste dans l’absolu, à la mesure des moyens d’un pays d’une vingtaine de millions d’habitants, certains Etats comme le Zimbabwe avec qui la RPDC entretient une solide amitié de trente ans, y voient un coup de pouce décisif. Ainsi, Robert Mugabe dira même, non sans emphase, que « tout au Zimbabwe est lié aux exploits du président Kim Il-sung », reconnaissant explicitement la doctrine du Juche comme une source d’inspiration politique pour le Zimbabwe. Pyongyang et Harare, toutes deux considérées comme des parias par l’Occident et subissant un embargo commercial, sont d’ailleurs d’autant plus proches (ultime effet pervers des sanctions diplomatiques) qu’elles sont isolées sur la scène internationale.

Les liens sont loin d’être rompus

Si l’on devait dessiner une tendance pour la fortune des relations africano-nord-coréennes, elle serait bien évidemment à la baisse. Même si sans doute moins qu’en Europe, les capacités économiques nord-coréennes ont très largement décliné, sans compter qu’elle souffre de la comparaison avec son frère ennemi du sud, beaucoup plus riche et donc plus attrayant pour les générations politiques africaines d’après les indépendances, plus pragmatiques économiquement et politiquement. Ainsi, c’est aujourd’hui la Corée du Sud –loin devant la Chine- qui est le premier acheteur de terres dans les pays du Sud, aux premiers rangs desquels l’Algérie, l’Angola, l’Egypte et le Soudan.

Malgré tout, les liens sont loin d’être rompus, la Tanzanie, par exemple, ayant reçu en grande pompe Kim Yong-nam (président du Praesidium de l’Assemblée populaire de la RPDC) pour fêter les cinquante ans de son indépendance, même si l’heure est plus à une coopération économique sensiblement plus modeste (la compagnie égyptienne Orascom, fait assez rare pour être souligné, exerce le monopole du marché en plein boom de la téléphonie mobile nord-coréenne, tout comme la lourde tâche de finir la construction du plus grand hôtel du monde, le Ryugyong, à Pyongyang). Ultime coup dur pour la RPDC, les révolutions arabes de 2011, qui ont emporté le régime de Moubarak en Egypte (avec qui Pyongyang développait des liens essentiellement centrés autour du commerce) et de Kadhafi en Libye, ont eu pour effet de faire disparaitre de la carte d’Afrique des régimes avec qui la Corée aurait pu continuer de développer des activités diplomatiques, politiques et économiques poussées. La Libye, tout particulièrement, avait beaucoup en commun avec la Corée du Nord dans la mesure où elles pratiquaient toutes deux un complexe mélange de socialisme empreint des particularités culturelles locales, sans compter le fait que Kadhafi, avant de se tourner tardivement vers l’Occident, avait été une figure –controversée- de la politique tiers-mondiste, invité plusieurs fois à Pyongyang. L’invasion de la Libye par l’Otan en 2011 n’est cependant pas tombée dans l’oreille d’un sourd : pour la RPDC, l’abandon du programme nucléaire de Kadhafi est la principale erreur stratégique l’ayant mené à sa perte.

La Corée du nord, icône de la coopération Sud-Sud ?

Il s’agit donc de noter que si la présence nord-coréenne n’est plus ce qu’elle était sur la continent africain, la RPDC connait tout de même une activité diplomatique intense pour un aussi petit pays (en témoigne les messages de condoléances adressés par l’immense majorité des pays d’Afrique à Kim Jong-un lors de la mort de son père, le 17 décembre 2012). Si l’heure est plus au pragmatisme économique, en Corée comme en Afrique, la coopération Sud-Sud ne serait-elle pas, ironie de l’Histoire, le moyen de redessiner les rapports de puissance du globe ? D’un monde unipolaire vers un ordre mondial multipolaire, une telle coopération serait vraisemblablement le meilleur moyen pour la Corée du Nord comme pour l’Afrique de connaitre enfin cette souveraineté économique et politique tant recherchée ?

Par Théo Clément

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