A quoi pourrait-on comparer Paul Biya ?


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Si Paul Biya n’est pas immortel, qui le sera jamais ?

L’homme-dieu d’Etoudi a survécu à sa première épouse (Jeanne Irène), il a survécu à une maladie qu’un journaliste camerounais (Pius Njawé, depuis, a été emprisonné, libéré, et tué par accident de la circulation) lui avait supposée, il a survécu à sa propre mort (2003), il a survécu à ses opposants de la première heure (Ayissi Mvodo, Samuel Eboua, etc.) comme à ses supporters les plus fervents (Charles Doumba, Ferdinand Oyono, etc.), il a naturellement survécu à son prédécesseur (Ahidjo) qui aurait fomenté son renversement en 1984, il a survécu à la victoire que Fru Ndi aurait eue à la présidentielle de 1992, il a survécu à la tentative de hold-up de Titus Edzoa qui est détenu depuis 15 ans, il a survécu aux villes mortes, aux révolutions arabes… S’il n’est pas immortel, qui le sera jamais ?

Paul Biya, c’est le hérisson dans le conte des frères Grimm. Le lièvre s’était moqué des « jambes tordues » (sic) du hérisson auquel il avait posé un défi, un duel que devait départager une course. Plutôt que de miser sur ses performances athlétiques, le hérisson a joué de ruse et a dépêché sa femelle à la ligne d’arrivée. Le lièvre a eu beau se fendre de longues enjambées à la Usain Bolt, rien n’y a fait le hérisson était avant lui à la ligne d’arrivée. Quand il a voulu retourner à la ligne de départ, le hérisson l’y attendait encore. De même a-t-on vu, en cette campagne, le président Biya s’effacer pendant toute une semaine pour n’apparaître qu’à la dernière ligne droite, en trustant comme à son habitude tous les médias, en orientant comme de juste toute la focale sur lui, sous les commentaires euphoriques des meilleurs journalistes de la télévision publique (CRTV). A la ligne de départ, ça n’était pas lui mais ses âmes damnées, qui se définissent elles-mêmes comme ses créatures.

Paul Biya est le seul candidat à n’avoir pas personnellement déposé son dossier de candidature, il est le seul candidat à n’avoir effectué aucune sortie médiatique, cet homme est imbattable à mains nues ! Il écrase et nargue la concurrence sans forcer. Non content d’occuper tous les panneaux géants (8m², 60*80, 60*160) et les « dos de kiosque », il chipote avec ses rivaux l’espace restant sur les arbres (A3), les poteaux de la compagnie d’électricité, les bus, les taxis (flancs gauches et droites), ce faste est soutenu par des « fan club » et des initiatives particulières d’une armée de fidèles. Les Camerounais affichent sans complexe leur biyatisme et leur adhésion à cet homme auquel il a fallu trente ans de préparation pour amorcer l’ère des grandes réalisations, cet homme qui a géré le Cameroun comme s’il était de passage alors qu’il se savait éternel, cet homme que soutiennent activement Roger Milla, Joseph Antoine Bell, la plupart des artistes, les hommes d’affaires, les ministres de la république, tous les directeurs généraux des entreprises à capitaux publics, etc.

En l’absence d’une étude d’audience sur l’impact de l’affichage, en l’absence d’instituts de sondages, l’issue du vote ne fait pas de doute… Si doute il y a c’est en définitive à l’accusé qu’il profitera, l’éternel président. Les données recueillies sur google trends sont l’indice ultime de sa popularité, aucun autre camerounais n’est aussi demandé depuis dix ans.

Un marketing politique inédit : la communication apostolique

Sa meilleure stratégie de communication, c’est le silence et la promotion de son image passe par une absence qui confine à l’inexistence. Le Monde Diplomatique aurait, selon certaines sources, refusé de défendre le régime de Yaoundé moyennant forte récompense… Mais pour un organe de presse qui a dit non, combien sont-ils à avoir cédé aux sirènes des espèces sonnantes et trébuchantes ? Les médias camerounais ne seraient pas les seuls à avoir perçu ces subventions d’un nouveau genre, qui transitent par des mallettes et ne sont constatées par aucun reçu, aucune ligne de dépense dans les budgets du MINCOM (Ministère de la communication).

Dans les cours françaises telles que décrites par La Bruyère dans ses Caractères, les courtisans et autres caudataires étaient de fins calculateurs, faux et intéressés. Aucun parallèle ne saurait être établi avec la situation camerounaise. Les hauts dignitaires du régime pensent vraiment que Biya est au moins un saint, c’est à peine s’ils le citent autrement que par des circonlocutions et des titres nobiliaires, son nom n’est pas prononcé en vain ; il est toujours, le cas échéant, précédé de « Son Excellence », attribut fautif dans les contextes invoqués, l’on sacrifie la correction de la langue et celle des usages à l’autel de la brosse à reluire.

Il ne faut pas négliger ici le pouvoir de la parole (l’ « alchimie du verbe » pour paraphraser Rimbaud), à force de dire qu’il est « le seul », « l’unique », « l’homme-lion », « le leader naturel », une sorte de pendant tropical des dieux mythologiques grecs, même ceux qui n’y adhéraient que du bout des lèvres ont fini par croire que Biya est sinon le Christ, son avatar. Ainsi peut-il, comme Jésus après sa crucifixion, se contenter de l’apostolat de disciples combattant le bon combat et de médias prêchant la bonne parole.

Comment expliquer ce que l’on ne comprend pas ?

La guerre des 23 n’a pas lieu. La disproportion des forces en présence donne envie de pleurer ou de rire, selon que l’on est dans un camp ou dans l’autre. Paul Biya, à l’occasion de cette présidentielle, est redevenu, plus que jamais, mieux que quiconque, supérieur, beau et victorieux, en homme certain de gagner toutes les batailles de sa vie. Il est responsable de tout, mais il n’est coupable de rien. On aime mieux incriminer son entourage plutôt que lui-même, c’est commode, on s’en tire à bon compte, on est quitte d’une explication, alors que son entourage ne désigne strictement personne. Certains de ses intimes, qu’on croyait inamovibles ont été remerciés sans élégance, oubliés, emprisonnés, d’autres sont morts. Faute d’explications, on en vient à fantasmer sur le pouvoir politique de son épouse, qui est bien gentille, mais à laquelle il ne faut pas non plus prêter une intelligence supérieure. Est-on bien sûr que cet homme n’a pas entrepris de remplacer Dieu ?

Paul Biya, c’est encore l’orfèvre des petites phrases au succès inattendu. Ainsi de son pléonasme Le Cameroun c’est le Cameroun (explication passe-partout des anomalies camerounaises) ou Un seul mot, continuez (prononcé à l’origine pour encourager les lions indomptables, aujourd’hui c’est la phrase favorite de ceux qui lui demandent d’être président tant qu’il respirera). Les motions de soutien viendront de partout lors de son investiture de novembre prochain. C’est vrai que sa dictature paraît aimable, comparée à la démocratie que nous promet l’opposition, c’est vrai que quand on regarde alentour (Guinée équatoriale, République centrafricaine, Tchad, Congo) on ne voit que des soldats-présidents, au Gabon, ça n’est pas un soldat, seulement un ancien ministre de la défense, héritier de la couronne gabonaise, quand Biya regarde tout cela, comment voulez-vous qu’il se croit un dictateur ?

C’est égal, ce qu’il cache est moins important que ce qu’il a montré jusqu’ici, ce que nous avons vu atteste à l’évidence que nous en savons bien moins que ce qu’il faudrait pour prévoir l’énigme de sa succession. Au surplus, succède-t-on sans dommage à un tel homme ? Un conte camerounais, particulièrement ressemblant à celui des frères Grimm, évoque la tortue (symbole de sagesse) plutôt que le hérisson. Dans ce conte qui tendrait à démontrer la prééminence de la sagesse sur la rapidité et la force, la tortue se vantait à juste titre de pouvoir franchir plus vite que l’antilope la ligne d’arrivée, dans une course en règles. Ainsi, Biy(A) part-il vainqueur d’une confrontation où son alter ego, Biy(A) prime, se trouve déjà à la ligne d’arrivée, bien au chaud. Il a une extraordinaire capacité de régénération et de démultiplication. Né sous Biya, mon seul rêve est de ne pas mourir sous Biya, qui a manifestement les moyens d’être éternel. Malgré sa sérénité (ne pas lire sénilité) apparente, il a une peur verte qu’on ne lui arrache son pouvoir et, une autre peur (bleue ?), très imprécise, mais plus glaçante, d’être un jour mis en position de répondre de tous ses actes : soyons polis, évitons le mot agissements que tout lecteur attentif avait anticipé.

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