Congo : et si Brazzaville changeait de nom ?


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Le Président Sassou Nguesso, en conflit avec les descendants de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza, menacerait de débaptiser la capitale du Congo.

La cité de Brazzaville, qui fut la « capitale » de la France libre de Charles de Gaulle durant la seconde guerre mondiale, pourrait perdre son nom. Tous les lieux publics qui portent le nom de Pierre Savorgnan de Brazza, ce célèbre explorateur français d’origine italienne qui établit la souveraineté de la France sur ce territoire à la fin du XIXe siècle, pourraient aussi être changés.

Rien ne va plus entre le pouvoir congolais et les descendants du fondateur de la capitale congolaise. A l’origine de la brimade, une décision rendue par la justice française en septembre dernier qui ordonne au gouvernement congolais de restituer à la famille de Brazza les cendres de l’aïeul, Pierre Savorgnan de Brazza, qui repose depuis 2006 au cœur d’un imposant mémorial édifié en marbre, en plein centre de la capitale. Ce verdict fait suite à la demande des descendants de Brazza, furieux d’apprendre que le pouvoir n’ait pas respecté les conditions agréées par les deux parties signées avant le transfert au Congo de la dépouille de l’aventurier.

« L’affaire Brazza »

Ce que l’on appelle désormais « l’affaire Brazza » commence au début des années 2000, lorsque l’un des arrière-petits-neveux du fondateur de Brazza, Detalmo Pirzio-Biroli, est reçu, en fanfare, au Congo. Il est transporté, par hélicoptère, jusque dans la localité de Mbé, à une centaine de kilomètre au nord de Brazzaville. C’est ici-même qu’en 1880, son ancêtre signa avec le Makoko, le roi des Tékés, le traité établissant la souveraineté de la France sur ce bout d’Afrique centrale.

Le 17e Makoko, roi des Tékés, Auguste Nguempio, successeur du roi Makoko qui avait signé le traité avec Brazza, fait alors une proposition à Detalmo Pirzio-Biroli : pourquoi ne pas transférer les restes de Savorgnan à Brazza ? Certains s’offusquent que les anciens colonisés proposent d’honorer la mémoire du colonisateur. « Brazza n’était pas un colonisateur comme les autres, c’était un humaniste », défend à Libération l’écrivain et ambassadeur du Congo à Paris, Henri Lopes.

Mesures sociales non réalisées

L’arrière-petit-neveu de l’aventurier est ébloui par son voyage au Congo. Avec l’aide de ses deux fils, il accepte la proposition et entreprend les démarches pour le transfert des dépouilles de l’explorateur et de sa famille, où ils reposaient depuis 1905 dans le quartier d’El Madania, sur les hauteurs d’Alger. Toutefois, ce transfert devra s’accompagner de mesures en faveur de la population locale. Le village de Mbé devra être relié à Brazzaville par une route bitumée et le dispensaire de Mbé ainsi que le lycée de la capitale, qui porte le nom de l’explorateur, devront être remis à neuf. A travers ces mesures, les descendants de Brazza veulent honorer la mémoire de leur aïeul et éviter que cette affaire ne soit qu’une simple opération politique.

Le 3 octobre 2006, le mémorial est inauguré, en présence des dirigeants gabonais, Omar Bongo, et centrafricain, François Bozizé, et du ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy. Mais sept ans après le transfert, les mesures sociales promises par le pouvoir n’ont jamais été réalisées. « Nous avons un plan global de dépenses à l’échelle du pays et nous avançons à notre rythme », affirme Henri Lopes.

« C’est connerie sans frontières ! »

Une partie des descendants de Brazza saisit alors la justice, assistée par l’avocat William Bourdon, habitué du régime Sassou puisqu’il est à l’origine de l’ »affaire des biens mal acquis ». C’est ainsi qu’en septembre 2013, l’Etat congolais est condamné en appel par le tribunal de grande instance de Paris à restituer les cendres de Brazza. « C’est connerie sans frontières ! Voilà un pays qui honore la mémoire de son colonisateur et que l’on vient emmerder. Les Congolais en ont ras-le-bol d’être harcelés par les autorités judiciaires françaises », aurait déclaré à Libération un proche du Président congolais. Mais le clan Sassou trouve la parade et brandit le droit international qui suppose l’accord de tous les membres d’une même famille pour le transfert d’une dépouille.

Les avocats de l’Etat congolais exigent donc que tous les descendants de Brazza soient réunis au grand complet au Congo pour récupérer la dépouille. Une opération lourde, et longue, donc. Les descendants de Pierre Savorgnan préféreraient évidemment que les autorités congolaises respectent ses engagements.

Dans l’attente du crépuscule de « l’affaire Brazza », le spectre d’un changement de nom de la capitale plane sur l’édifice en marbre où repose, pour le moment, le fondateur de Brazzaville.

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