A bientôt 50 ans, Jeune Afrique fait une cure de jouvence


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Trois ans avant de fêter ses 50 ans, Jeune Afrique lance une nouvelle formule visant à fidéliser ses lecteurs et à en attirer de nouveaux, au moment où les habitudes de consommation d’information sont bouleversées par Internet. Ses concepteurs voient le nouveau JA plus dynamique, mieux illustré, plus abordable… et évoluant dans un contexte politique toujours aussi difficile.

Jeune Afrique change de tête. Ses lecteurs ont découvert le 26 novembre dernier leur hebdomadaire panafricain rajeunit, avec de nombreuses photos, plus grandes, pour illustrer de nombreux articles, plus courts, mais toujours aussi pertinents, espère Marwane Ben Yahmed. L’ancien rédacteur en chef, devenu directeur délégué de la rédaction – François Soudan étant le directeur – depuis le départ de son père, Béchir Ben Yahmed, revient avec Afrik sur ses motivations, sur la longévité de l’hebdomadaire, sur l’échec de l’expérience JA/L’Intelligent ainsi que sur les critiques qui visent le média concernant ses relations avec les régimes africains.

Afrik : Le lancement de la nouvelle formule de Jeune Afrique correspond-il au départ de Béchir Ben Yahmed, annoncé en octobre dernier, de l’hebdomadaire qu’il a créé ?

Marwane Ben Yahmed : Les deux événements sont liés mais pas forcément dans ce sens. La volonté de dynamiser l’hebdo remonte à octobre 2006. Nous avions de vraies carences sur la forme et nous avons constaté que nos ventes plafonnaient. Nous avons travaillé avec mon frère Amir, fait plusieurs maquettes et plusieurs numéros zéro, en demandant à notre entourage, aux lecteurs, en France et sur le continent, durant nos missions, ce qu’ils attendaient de Jeune Afrique. Lorsqu’en octobre nous avons été en mesure de lancer la nouvelle version, M. Ben Yahmed nous a dit : « C’est votre truc, ça correspond à ce que vous voulez faire ». Lui-même va s’occuper davantage de La Revue pour l’intelligence du monde, qu’il a créée en 2005. Notre second objectif prioritaire concerne le site internet, puis viennent le trimestriel anglophone The Africa Report et La Revue.

Afrik : L’hebdomadaire se recentre-t-il sur l’Afrique, ou s’ouvre-t-il, comme il l’a fait par le passé, vers le Moyen-Orient ou les diasporas, comme lors des dernières présidentielles françaises ?

Marwane Ben Yahmed : Dans les cinq dernières années, nous avons un peu tâtonné. Nous avons lancé JA L’Intelligent, qui correspondait à une volonté de sortir l’Afrique d’un réseau fermé en faisant un magazine international qui parle du reste du monde aux Africains. Pour la rédaction, cela s’est traduit par une perte de repères et nous nous sommes donc clairement recentrés sur notre zone, sur ce que nous savons faire de mieux. Maintenant, cela ne signifie pas que nous n’allons faire que ça. Il s’agit d’arriver à expliquer l’Afrique à ceux qui sont en dehors du continent et d’expliquer le monde à ceux qui sont en Afrique, et qui ne trouvent pas ce genre d’infos dans leur presse locale. Des pays comme la Chine ou les pays arabes du Golfe, qui sont de plus en plus présents en Afrique, intéressent nos lecteurs… De la même façon, Sarkozy, en Afrique, c’est un sujet qui intéresse tout le monde.

Afrik : Avez-vous ressenti une baisse des ventes en passant de Jeune Afrique à Jeune Afrique L’Intelligent?

Marwane Ben Yahmed : Nous l’avons ressenti. Y compris au sein de la rédaction, où il y a eu des divergences, notamment avec M. Ben Yahmed, qui était plus pour un news magazine, sans doute en raison de l’actualité internationale, riche à cette époque, au contraire des changements politiques limités en Afrique. D’autres au sein de la rédaction pensaient que notre fond de commerce était l’Afrique. Il y a eu une perte de qualité éditoriale, avec un nombre important de pays à couvrir… Nous étions un peu assis entre deux chaises. Le nom du journal n’était pas très heureux : nous souhaitions faire Intelligence, dans son sens anglais, mais en français, c’est pompeux. Les gens se disaient : « Ils se croient plus intelligents que les autres ? » Cela a aussi troublé les repères de nos lecteurs, dont certains nous ont dit que Jeune Afrique était une marque et que nous n’avions pas le droit de leur enlever. Ca a été un échec clair mais l’une des qualités de M. Ben Yahmed est de reconnaître lorsqu’il se trompe, alors nous sommes revenus à JA, avec un contenu plus africain. Nous avons toujours un problème vis-à-vis des diasporas, que nous ne traitons pas assez, avec un public plus jeune à attirer.

Afrik : Quels changements apportez-vous sur le fond ?

Marwane Ben Yahmed : Nous avons changé la forme des longs tunnels de texte, fait plus d’entrées. Plus de sujets sont traités, de façon plus courte et plus abordable, et nous recherchons une plus grande valeur ajoutée en terme d’info et d’analyse. Nous avons également mis l’accent sur la photo, là où il nous arrivait d’illustrer des articles avec des « timbres poste ». Pour la nouvelle formule, nous avons recruté une directrice de la photo de Libération et Matin Plus, une directrice artistique et un rédacteur en chef exécutif.

Afrik : JA est le seul hebdo sur l’Afrique en français mais il n’est distribué qu’à un peu plus de 55 000 exemplaires. Comment s’explique la chute des ventes depuis une dizaine d’années ?

Marwane Ben Yahmed : Il y a eu la dévaluation du Franc CFA, une crise générale de la presse, une relance à la fin des années 1990, puis une nouvelle crise post-11 septembre, et le changement de nom, qui ne nous a pas aidés. Les ventes ont remonté lorsque nous sommes revenus à JA, mais pas autant que nous le souhaiterions.

Afrik : Comment expliquez-vous le fait d’être parmi les seuls médias papier panafricains à durer, alors que nombre de nouveaux magazines dédiés au continent naissent et meurent avant d’avoir atteint trois mois de vie ?

Marwane Ben Yahmed : C’est assez compliqué, car tous les titres panafricains sont soumis à un marché difficile à cause de la censure. Il y a ce qu’on peut dire, ce qu’on ne peut pas dire, il y a les annonceurs… L’Afrique est une destination à risque pour tous les investisseurs. En tenant compte de ces paramètres, vous pouvez tenir si l’éditorial est bon, ce qui n’est pas le cas des nombreux magazines publiés ces dernières années. Ce qui compte, c’est de donner envie aux gens d’acheter et de lire un produit relativement cher, tout en sachant que JA ne gagne presque pas d’argent sur les ventes, voire en perd, avec le transport en Afrique… De 1960 à la fin des années 80, JA a été une référence par ses informations et ses prises de position. En Algérie, on nous dit : « Vous avez été censurés car lorsque c’est vous qui l’écrivez, on vous croit. Quand c’est la presse nationale, les autorités s’en désintéressent ».

Afrik : Justement, les médias panafricains, Jeune Afrique en tête, ont souvent été critiqués – dernièrement par le Grigri international et un ancien journaliste de JA, Francis Kpatindé – pour leurs relations supposées avec les autorités en place ? Cela a-t-il des conséquences sur les ventes ? Répondez-vous aux attaques ?

Marwane Ben Yahmed : Un premier élément à prendre en compte est : mon public est-il en France ou ailleurs. Lorsque Jean-Pierre Tuquoi ou Libération écrivent sur Ben Ali, ils s’adressent à un public en France, au contraire de Jeune Afrique, qui doit se demander si au final personne ne pourra lire ce qui a été écrit de pertinent, si la publicité ne va pas être perdue… Tous ces gens qui disent : « Vous êtes trop sympas avec les régimes en place », oublient que nous avons été interdits pendant plus de 20 ans en Algérie, que nous l’avons été à Madagascar, en Guinée… Je ne nie pas que nous évoluons dans un contexte où nous devons faire attention à ce que nous écrivons. Il y a un équilibre à trouver. Si nous écrivons que « les chefs d’Etat sont les meilleurs », on n’a pas de public. Si c’est le contraire, et que nous sommes plus « rentre dedans », comme Nicolas Beau ou Stephen Smith, c’est sympa, mais si nous ne sommes pas diffusés en Afrique, je ne vois pas l’intérêt. Les critiques ne se ressentent pas vraiment sur les ventes. Quant aux réponses… Non, nous répondons rarement. D’abord parce que nous n’avons pas vraiment le temps. Je ne dis pas qu’il n’y a que des conneries d’écrites, certains éléments du livre de Vincent Hugueux, « sorciers blancs », où Jeune Afrique a droit à 70 pages, sont justes, mais nous entrerions dans les mêmes considérations que nous venons d’évoquer.

Afrik : Ne regrettez-vous pas parfois de ne pas avoir de concurrent ?

Marwane Ben Yahmed : La concurrence créée l’émulation, mais c’est aussi un risque. De l’autre côté, s’il n’y en a jamais eu, c’est aussi parce qu’il est difficile de faire un bon journal avec de bons journalistes généralistes spécialisés sur l’Afrique.

Afrik : Jeune Afrique est-elle une entreprise familiale ? Si oui, est-ce un avantage, un inconvénient ?

Marwane Ben Yahmed : (Il réfléchit) C’est évident de l’extérieur, il suffit de lire l’ours. En fait, ça dépend du patron. Après, il y a la conception qui veut que ça puisse dériver vers le népotisme… mais comme notre père est exigeant, ça a rarement été un problème. Mon frère et moi sommes entrés à JA par le biais de stages, sans forcément vouloir faire carrière. Ce n’est pas compliqué quand on sépare vie professionnelle et vie privée. Si vous vous disputez au travail, c’est difficile ensuite de se retrouver pour dîner. De l’autre côté, l’énorme avantage est la confiance que vous pouvez avoir envers vos collaborateurs. (Il réfléchit longuement) Personnellement, je ne suis pas très fan. Je trouve que c’est un peu compliqué. Je ne le conseillerais pas vraiment. Ce qui est drôle est que ce n’est pas trop le truc de mon père non plus.

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