Relation Algérie – Maroc : La vision des acteurs, analyse des discours des deux pays


Lecture 8 min.
La provocation par la drogue. Djamel Lounis. Algérie. 2014

Après les indépendances des deux pays, les relations entre l’Algérie et le Maroc ont connus des alternances, et les discours interposés dans la presse n’ont fait qu’alimenter les tensions. Les acteurs ne font que s’accuser mutuellement, en rejetant la faute sur le voisin. Des techniques de déstabilisation sont utilisées afin de prendre l’ascendant sur son « frère ennemi ». Il s’agira ici de faire une analyse des discours dans la presse, depuis les évènements au Sahara Occidental notamment.

1) Le discours de la presse sur la fermeture de la frontière

Lors du soutien de l’Algérie au Front Polisario en 1975, la totalité des médias au Maroc sont unanimes, l’Algérie cherche à déstabiliser le Maroc et à réduire son autorité. L’avis d’un journaliste marocain est assez critique, mais peut résumer la perception du rôle de l’Algérie dans ce conflit par une partie des Marocains : « Depuis 20 ans, la normalisation des relations bilatérales et régionales butte sur des logiques qui vont contre les intérêts de la région, dont l’insistance d’Alger à faire du dossier du Sahara marocain une condition « incontournable » à la réouverture des frontières, comme si Alger avait la légitimité pour imposer une quelconque condition sur une affaire maroco-marocaine. C’est en ce sens que ceux qui estiment qu’Alger manipule ce dossier et le Polisario dans le strict intérêt du régime n’ont pas tort. La logique et la légitimité de l’intégrité territoriale du royaume et du processus de décolonisation du Maroc des occupations française et espagnole ne trouvent pas grâce aux yeux de nombre des héritiers du FLN. » (Amiar, 2014).

Côté algérien, on prétend seulement soutenir tout peuple opprimé par quelconque forme d’impérialisme. Les médias algériens dénoncent les pratiques au Sahara Occidental et accusent le Maroc de réprimer violemment les revendications sahraouies, souvent de manière caricaturale, comme le fait Ali Dilem. Les caricatures algériennes se font très souvent en français, langue majoritairement utilisée dans les journaux locaux.

Dénonciation algérienne du rôle de l’ONU dans le conflit sahraouie.
Caricature algérienne. Source : Le Hic, 2014

La presse algérienne dénonce également le laxisme de la communauté internationale sur le sort des Sahraouies. Le rôle de l’ONU est pointé du doigt selon les médias algériens, qui accusent donc le Maroc de bénéficier du soutien de l’Occident, à travers la nonchalance de l’ONU sur le dossier sahraouie.

De son côté, le Maroc affirme vouloir faire des efforts pour tisser des liens d’amitié avec l’Algérie, mais que l’Algérie œuvre pour dégrader leurs relations.

Caricature marocaine sur les relations Algérie-Maroc.

Caricature marocaine sur les relations Algérie-Maroc. Site Achekayn. 2009

L’Algérie est consciente de la volonté du Maroc d’ouvrir la frontière, mais pense également qu’elle n’a rien à gagner si cela se produisait. A la fermeture de la frontière en 1994, les médias algériens se posent la question, comme le titre un article d’Amokrane en 1994, « Qu’avons-nous perdu ? ». Dans la majorité des articles parus après cet évènement, la presse algérienne qualifie de positive la fermeture de la frontière. Elle est persuadée que la décision était la bonne et que le Maroc a tout à perdre. Un article de Belghiche dans El Watan le 28 aôut 1994, intitulé « L’erreur », affirme que c’est le Maroc qui fait une grave erreur en provoquant l’Algérie, et que les conséquences seront terribles pour le Royaume.

Les années qui suivent peuvent laisser croire une amélioration des relations. Par exemple, le chef d’Etat algérien, Abdelaziz Bouteflika, a assisté aux obsèques du Roi Hassan II en 1999. Ce geste est vu, côté algérien comme marocain, comme un espoir d’apaisement entre les deux pays. Les déclarations du Président envers le Roi défunt, le nouveau souverain et le peuple marocain ont beaucoup séduit au Maroc (Ben Achour, 1999). Cependant, bien qu’il y ait eu une période d’apaisement, la réouverture de la frontière n’est toujours pas à l’ordre du jour dans les années 2000.

2) Les raisons du statu-quo. Quel futur pour la coopération algéro-marocaine ?

Le dernier affrontement réel entre l’Algérie et le Maroc date de 1975, donc pourquoi même lors des périodes d’apaisement, l’ouverture de la frontière n’est-elle pas d’actualité ?

La raison est simple, à chaque fois qu’une période d’apaisement est en cours, un évènement surgit et remet en cause l’entente entre les deux gouvernements. Pourtant, des efforts ont été faits par les deux gouvernements. La période noire qu’a connu l’Algérie, de 1990 à 2000, fait en sorte que l’ouverture de la frontière devient secondaire dans les objectifs algériens durant cette période. Les années 2000 ont montré des signes positifs. Les visas ont été supprimés respectivement par le Maroc et l’Algérie en 2004 et 2005. En 2011, le ministre algérien des Affaires Etrangères a effectué une visite à Rabat. En 2012, c’est son homologue marocain qui effectue une visite à Alger. Cependant, face à l’augmentation du commerce informel de part et d’autre de la frontière, les Etats préfèrent se consacrer davantage à une surveillance au niveau de la frontière qu’à une ouverture de celle-ci. C’est dans ce contexte qu’en 2014, après une énième saisie d’énormes quantités de cannabis dans la wilaya de Tlemcen, les journaux algériens rappellent l’importance de ce trafic, considéré comme une attaque envers les algériens.

La provocation marocaine par la drogue.
La provocation par la drogue. Djamel Lounis. Algérie. 2014

Malgré les offenses algériennes, le Maroc continue de réclamer l’ouverture de la frontière, toujours inconcevable côté algérien. Pour cause, l’Algérie attend toujours des excuses sur l’accusation de l’attentat de Marrakech, ou encore sur l’expulsion des Algériens.

La presse algérienne est formelle, la raison principale de l’insistance marocaine est uniquement due à la situation socio-économique du Maroc, qui selon les médias algériens, est en crise profonde et a besoin de l’Algérie, comme le titre le journal El Watan en 2012 : « Face à l’aggravation de la situation socioéconomique au Maroc, Rabat presse Alger de rouvrir la frontière »

Cependant, le discours marocain est teinté de contradictions. En effet, si le Maroc demande officiellement à l’Algérie d’ouvrir la frontière, la construction de barrière électrique est en cours le long de celle-ci.
« Le Maroc a entrepris de construire une clôture tout au long de sa frontière avec l’Algérie pour se « protéger des terroristes ». Une perspective qui risque de tendre des relations déjà difficiles entre les deux poids-lourds du Maghreb. » (Rhoubachi, 2014).

La construction de barrières côté marocain n’est cependant pas du même type que le « mur des sables » construit par le Maroc au Sahara Occidental en 1980. Ce « mur des sables », tout comme le mur israélien, a pour but de matérialiser une occupation (Rosière, 2009). Dans le cas israélien, il s’agit plus d’une ligne de front. Or dans le cas présent, il s’agit d’une barrière, en cours de matérialisation. Cette barrière n’est pas présente sur toute la frontière, mais seulement dans la partie Nord.

Un fait marquant a eu lieu le 18 octobre à la frontière. Des tirs de l’armée algérienne auraient blessé un citoyen marocain. Cet acte a été qualifié de « grave » selon le gouvernement marocain, qui a convoqué l’ambassadeur algérien afin que le responsable soit jugé. Le point de vue algérien est différent. Dans un communiqué officiel du Ministère des Affaires Etrangères algérien, les autorités accusent le Maroc d’avoir manipulé les faits afin de rejeter la faute sur l’Algérie : « La réalité est qu’une patrouille de gardes-frontières, qui a été ciblée, ce jour-là, par des jets de pierres lancés par un groupe de contrebandiers marocains, a réagi d’une manière professionnelle, comme d’habitude, par deux tirs de sommation en l’air qui ne peuvent, en aucune manière, provoquer des blessures. La manipulation des faits et l’escalade dans le discours des autorités marocaines, à des fins pour le moins inavouables, témoignent d’une attitude irresponsable qui ne sied point aux valeurs de fraternité et de bon voisinage qui lient les deux peuples » (Fadel Senna, Le Maroc accuse l’armée algérienne d’avoir tiré sur des civils à la frontière entre les deux pays, 2014)

Caricature algérienne sur l’incident à la frontière.
Caricature algérienne Le Hic. 2014

Les caricaturistes ne manquent pas l’occasion de s’exprimer, comme ce fut le cas après cet incident. Selon eux, le Maroc s’amuse à franchir la frontière, et se plaint ensuite d’un traitement qui parait injustifiée. Or le franchissement de la frontière reste un acte illégal donc répressible.

L’accumulation d’évènements ne joue pas en faveur d’une amélioration des relations algéro-marocaines. En attendant, la frontière est toujours fermée…

Par Ahmed Belkhodja

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News