Maroc : le Conseil de la concurrence aux abonnés absents


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Au Maroc, le Conseil de la concurrence est bloqué pour plusieurs raisons et sans pouvoir désigner de manière claire la chaine de responsabilité. Ce contexte est bien préoccupant pour les consommateurs qui sont à la merci des mauvaises pratiques anticoncurrentielles…

Dans son article, Hicham El Moussaoui, analyse la situation et met en avant les dangers de l’inertie actuelle des autorités marocaines face au blocage du Conseil de la concurrence. Au delà même de l’impact sur les prix et la qualité des produits et services, l’impact est terriblement négatif sur les investissements nationaux et les IDE ! Si le Maroc veut poursuivre son rapprochement avec l’Europe, il aurait tout intérêt à débloquer la situation.

Depuis la libéralisation du secteur des hydrocarbures, les consommateurs ne sont pas certains que les prix pratiqués par les distributeurs pétroliers suivent vraiment la loi de l’offre et de la demande. Un doute nourri par l’observation des prix à la pompe qui augmentent suite à la moindre remontée des cours de pétrole, et stagnent quand ceux-ci baissent. Aussi, l’on soupçonne les distributeurs d’entente tacite sur les prix. Une suspicion corroborée par la déclaration du gouverneur de Bank-al-Maghrib et l’aveu d’impuissance du Ministre de gouvernance qui fait le constat de l’explosion des bénéfices des distributeurs. Cette polémique aurait pu être éteinte si le Conseil de la Concurrence, chargé de contrôler les pratiques anticoncurrentielles et les pratiques commerciales déloyales, s’était emparé de l’affaire pour démêler le vrai du faux. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait alors?

Qui bloque le conseil de la concurrence ?

Pour deux raisons : d’une part, parce qu’aucune partie lésée par l’entente présumée n’a saisi le Conseil. D’autre part, quand bien même le Conseil de la concurrence a le pouvoir d’auto-saisine, celui-ci étant suspendu du fait de l’expiration, depuis octobre 2013, du mandat des membres devant s’autosaisir du dossier. Autrement dit, le Conseil de concurrence, en dépit de l’élargissement de son champ d’intervention et de ses pouvoirs, grâce à la loi 20-13, demeure complètement bloqué.

Pour répondre à cette question, rappelons qui est responsable de nommer les membres de ce Conseil dont le mandat est de 5 ans renouvelable une fois. Si le Président du Conseil est nommé par le Souverain, les 12 autres membres le sont par le chef du gouvernement, dont deux magistrats sur proposition du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Alors, est-ce la faute à un agenda royal chargé ? Ou au retard du lancement du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire ? Ou encore au chef du gouvernement sortant ?

Je ne peux établir le degré de responsabilité des uns et des autres, mais il est primordial qu’une commission parlementaire se penche sur l’origine de cette inertie.

Un impératif qui devient d’autant plus urgent que les enjeux de la réactivation du Conseil de la concurrence sont cruciaux.

L’urgence de briser les pratiques anticoncurrentielles

D’abord, il y a un besoin de mettre un terme aux soupçons d’entente implicite sur les prix ou d’abus de position dominante, pour rétablir la confiance dans le marché. Cela passe par élaborer de nouvelles études, en l’occurrence sur les produits pétroliers ou valider d’autres déjà terminées concernant la viande, les produits laitiers, les aliments de volaille, dispositifs médicaux, etc. Ensuite, sans un Conseil opérationnel, les monopoles de fait et de droit pousseront comme des champignons, les passe-droits et les privilèges fleuriront, ce qui nuira au pouvoir d’achat des ménages subissant des prix plus chers, et à la compétitivité des entreprises car l’égalité des chances économiques n’est pas respectée et l’incitation à la performance est supprimée.

L’investissement compromis

Enfin, plusieurs opérations de fusion-acquisition, donc d’investissement, se trouvent retardées en raison de la mise en veille du Conseil. Si ces opérations sont transférées au chef du gouvernement, les décisions de ce dernier seront illégales, au regard de la nouvelle loi 20-13, comme celles de la fusion de Lafarge Maroc et Holcim, ou encore l’absorption par Cosumar de Sucrafor.

Cette situation de blocage risque de compromettre l’attractivité du Maroc pour les IDE, surtout qu’elle crée une sorte d’insécurité juridique. En effet, que se passerait-il si une entreprise vient à contester par la suite l’opération initiée par son concurrent auprès de la Primature? Notre image institutionnelle est en jeu, d’autant plus que de par notre statut avancé avec l’UE, l’on est tenu de respecter la convergence réglementaire avec les standards européens, en l’occurrence en matière de droit de la concurrence, si l’on veut profiter des bienfaits d’un marché intégré dans le cadre de notre partenariat avec le voisin européen.

Un statu quo qui arrange bien certains

Face à de tels graves enjeux, l’inertie actuelle est incompréhensible, ce qui laisse penser que l’on est face à un manque de volonté politique caractérisé. Si dans les discours officiels, les différentes parties prenantes appellent à la réactivation du Conseil de la concurrence, dans les faits rien ne bouge. En conséquence, des lobbies dans l’ombre cherchent à maintenir le statu quo. Je pense à ceux qui ont intérêt à garder leurs positions dominantes sur certains marchés, ceux qui sont protégés par rapport à la concurrence étrangère, ceux qui cherchent à dresser des barrières à l’entrée pour garder leurs rentes de situation. Ceci est d’autant plus plausible que l’on cherche non seulement à maintenir ce Conseil en veille, mais parallèlement on est en train de saper ses pouvoirs en donnant certaines de ses prérogatives à d’autres instances de régulations sectorielle. L’exemple typique est le dernier décret gouvernemental permettant à l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) d’examiner les violations de la concurrence loyale et de sanctionner par des amendes les contrevenants. Ce décret est non seulement anticonstitutionnel, car contraire à l’article 166, attribuant au Conseil une compétence générale en matière de régulation des marchés, mais également va à l’encontre de la pratique mondiale. Car soit le Conseil national a tous les pouvoirs en matière de régulation concurrentielle, comme c’est le cas dans la majorité des pays. Soit, dans quelques rares pays, comme en Grande Bretagne, le régulateur national et le régulateur sectoriel partagent le travail, mais le dernier mot revient au Conseil national.

Bref, une économie de marché ne peut donner ses pleins fruits que si elle est fondée sur le respect de l’état de droit. D’où la nécessité d’instances indépendantes et opérationnelles de régulation des pratiques anticoncurrentielles pour contester en permanence les positions dominantes et prévenir les abus et situations de rente. Faute de quoi au lieu d’avoir une économie de marché, on aura une économie de l’anarchie.

Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc).

Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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