Mali. Découverte d’un charnier et aggravation de la crise sécuritaire


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Drapeau du Mali
Drapeau du Mali

La découverte d’un charnier dans le centre du Mali confirme malheureusement que la situation sécuritaire dans la région a atteint un niveau critique, a déclaré Amnesty International ce mardi 3 avril 2018. Le 25 mars, des habitants du village de Dogo ont identifié six corps comme étant ceux de personnes qui avaient été arrêtées par l’armée trois jours auparavant.

Par ailleurs, Amnesty International a constaté une multiplication des attaques lancées contre des civils par des groupes armés, notamment Ansar Dine et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), et a pu vérifier que 65 personnes, dont des enfants, avaient été tuées par des explosifs improvisés depuis le début de l’année.

« Au moment de cette découverte macabre, le centre du Mali était en proie à une escalade de la violence depuis plusieurs semaines : les civils étaient pris sous des tirs croisés, subissant des disparitions forcées et des homicides illégaux imputables à l’armée mais aussi des attentats à la bombe au bord des routes et des enlèvements perpétrés par des groupes armés, a déclaré Gaetan Mootoo, spécialiste de l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« La multiplication des attaques a également entraîné la fermeture de centaines d’écoles, privant plus de 214 000 enfants d’accès à l’éducation. Lorsque des corps sont jetés dans des fosses communes, que des enfants sont tués par des roquettes et que la peur contraint des enseignants et des élèves à abandonner leur salle de classe, il est urgent de prendre des mesures pour protéger les civils contre ces crimes de droit international et pour prévenir de nouvelles atteintes aux droits humains. »

Des chercheurs d’Amnesty International ont mené une enquête de terrain dans la région de Mopti en février et mars. Ils se sont entretenus avec 70 personnes, dont des représentants de l’État, qui ont confirmé la multiplication des attaques dans le centre du pays. La présence plus forte de groupes armés, qui intensifient le recrutement de sympathisants et de membres au niveau local, exacerbe les tensions entre différents groupes ethniques.

Amnesty International a reçu des informations indiquant que 65 personnes avaient été tuées dans des attentats perpétrés par des groupes armés au moyen d’engins explosifs improvisés depuis le début de l’année, les régions centrales de Mopti et de Ségou étant actuellement les plus touchées. En janvier, par exemple, 26 personnes, y compris des femmes et des enfants, ont été tuées dans l’attaque d’un bus.

Au moins huit personnes, dont trois femmes, enlevées dans la région au cours des trois dernières années, sont toujours les otages de groupes armés. Trois autres ont été enlevées en février et maintenues en captivité pendant plus d’un mois avant d’être libérées.

L’une d’elles a déclaré à Amnesty International :

« J’ai été enlevé par trois membres d’un groupe armé. Ils m’ont attaché les mains dans le dos et bandé les yeux. Ils m’ont mis sur une moto et ont roulé pendant plus de trois heures. J’ai été détenu dans une forêt pendant plus d’un mois, ils ont menacé de me tuer si jamais je tentais de m’enfuir. »

Plus de 200 000 élèves privés d’accès à l’éducation

L’insécurité et les manœuvres d’intimidation orchestrées par des groupes armés contre des enseignants ont contraint 715 écoles du centre et du nord du pays à fermer ; elles accueillaient plus de 214 000 élèves.

Les régions touchées par la crise sont celles de Gao, Kidal, Ségou, Mopti et Tombouctou. En février, 440 écoles ont fermé rien que dans la région de Mopti. Ces mesures sont la conséquence de l’insécurité et des manœuvres d’intimidation entreprises par des groupes armés contre des enseignants, mais aussi d’une présence trop faible de l’État.

Un directeur d’école a déclaré à Amnesty International :

« Six membres d’un groupe armé sont arrivés à pied au village et ont demandé à mon adjoint où j’étais. Ils sont ensuite allés à l’école pour saccager mon bureau, mes livres et tout mon matériel pédagogique. Avant de partir, ils ont dit qu’ils ne voulaient pas d’école ni d’enseignants dans le village. Nous avons rassemblé toutes nos affaires et sommes partis, puisqu’il n’y a pas d’école. »

Violations commises par les forces armées

Les militaires qui combattent les groupes armés ont aussi commis des crimes de droit international, notamment des exécutions extrajudiciaires, des disparitions forcées et des arrestations arbitraires.

Le 21 février, par exemple, lors d’un baptême dans le village de Daresalam, des soldats ont arrêté neuf hommes – deux Bambaras et sept Peuls – et les ont emmenés dans un endroit inconnu. On est sans nouvelles de ces hommes depuis lors, bien que leurs familles aient tenté d’obtenir des informations auprès des autorités, qui ont diligenté une enquête.

Un témoin a déclaré à Amnesty International :

« Des militaires sont arrivés dans plusieurs véhicules et ont arrêté neuf hommes, qui ont été emmenés à un poste de contrôle, les yeux bandés et les mains attachées dans le dos. Les deux Bambaras ont été relâchés ensuite mais les sept autres, tous peuls, ne sont pas encore rentrés. »

Les perquisitions réalisées par l’armée, dont l’objectif était de localiser des membres de groupes armés, selon les témoignages recueillis par Amnesty International, ont donné lieu à d’autres violations.

Un témoin a décrit une opération menée dans le village de Finadje en février : « Le soldat a attrapé ma sœur par les cheveux et a rassemblé les habitants de notre concession, en demandant où se trouvaient les groupes armés. Une autre personne a reçu tellement de coups de matraque qu’elle avait la tête et la bouche en sang. »

Fosse commune

Les chercheurs d’Amnesty International ont aussi interrogé des témoins qui ont confirmé que les six corps retrouvés dans une fosse commune le 25 mars étaient ceux de personnes qui avaient été arrêtées trois jours auparavant dans le village de Dogo et emmenées dans un endroit inconnu. Une photographie des dépouilles montre que les victimes ont, semble-t-il, eu les yeux bandés avant d’être tuées.

Un villageois a indiqué à Amnesty International comment les corps avaient été découverts :

« Un ancien du village, qui a été l’un des premiers informés, nous a ordonné, à l’imam et à nous, d’aller voir. Il y avait presque une centaine de villageois qui cherchaient, et ils ont trouvé six cadavres dans une fosse. Les corps ont été identifiés par les villageois comme étant ceux de personnes arrêtées le 22 mars. »

Ce n’est pas la première fois que des allégations mettent en cause les forces de sécurité maliennes. La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) a vérifié d’autres cas d’exécutions extrajudiciaires dont les forces de sécurité se seraient rendues coupables en 2017. Dans un rapport rendu en février, l’expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Mali a signalé qu’au moins 43 personnes avaient été victimes de disparitions forcées orchestrées par les forces de sécurité maliennes lors d’opérations antiterroristes en mai et juin 2017.

« Au Mali, les civils vivent dans la peur. Nous exhortons les autorités maliennes à enquêter sur les signalements de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires de civils dans le centre du pays et à traduire toutes les personnes soupçonnées de porter une responsabilité pénale dans ces infractions devant des tribunaux de droit commun, a déclaré Gaetan Mootoo.

« Elles doivent aussi veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour que les élèves puissent reprendre les cours en toute sécurité. »

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