L’accaparement du Nil, un scénario qui inquiète l’Egypte


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L’Egypte voit la ruée étrangère vers les terres agricoles en Afrique comme une menace pour ses ressources en eau. Les acquisitions par des pays étrangers de milliers d’hectares de terres au Soudan et en Ethiopie nécessitent une plus grande consommation d’eau. L’ennui est que ces trois pays puisent leur eau dans le Nil. Les besoins sont telles qu’il ne reste aujourd’hui plus beaucoup d’eau dans le fleuve.

Les plaines fertiles du continent africain attisent la convoitise des pays étrangers. A ce sujet, le Soudan et l’Ethiopie sont les destinations privilégiés de l’Arabie Saoudite, la Corée du Sud, la Chine et l’Inde où ces pays font l’acquisition de terres pour la production de blé, de riz et de maïs pour ensuite les exporter chez eux. La Corée du Sud, qui importe 70% de ses céréales, et l’un des plus gros exploitants agricoles au Soudan. Il a acquis 688 000 hectares dans le pays pour produire du blé. En Ethiopie, c’est l’Arabie Saoudite qui y trouve son compte. Une entreprise saoudienne a loué une terre de 10 000 hectares, avec la possibilité de l’étendre à 300 000, pour cultiver du riz. L’Inde y loue plusieurs milliers d’hectares pour la production de son maïs, de son riz et autres cultures.

Au-delà du problème d’eau que nous aborderons, se pose celui de la réduction de l’approvisionnement alimentaire dans les pays africains. Les gouvernements, eux, voient ces achats et ces locations de terres comme une aubaine. Davantage d’argent dans les caisses de l’Etat (et dans leurs proches). Mais elles accentuent aussi et surtout la famine. Et les agriculteurs, en colère, sont expulsés des terres de leurs ancêtres pour qu’elles soient revendus aux étrangers.

La liaison terre-eau

A priori, toutes ces ventes et locations de terres éthiopio-soudanaises par de riches gouvernements étrangers et entreprises agro-industrielles internationales n’ont aucun lien avec l’Egypte. Mais qui dit acquisition de terres, dit acquisition d’eau. Travailler la terre nécessite un arrosage régulier et plus important. Tout comme l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie puisent leurs eaux dans le fleuve du Nil.

L’accord sur les eaux du Nil, signé en 1959 entre l’Egypte et le Soudan, a donné à l’Egypte 75% du débit du fleuve et 25% au Soudan et tous ces nouveaux intérêts commerciaux ne font pas partie de cet accord. L’Ethiopie qui n’a jamais vraiment aimé cet accord, et de fait car il a hérité de 0% du débit du fleuve, a annoncé en 2010 la construction à l’horizon 2015 du « Grand Barrage de la Renaissance ». L’édifice d’un tel barrage hydroélectrique sur son bras du Nil réduirait fortement le débit de l’eau vers l’Egypte.

Un barrage d’intérêts

Depuis 2010, l’évolution d’une nouvelle ligne diplomatique est donc née autour du Nil. Le projet de ce barrage éthiopien soulève un débat sur l’impact qu’il aurait sur le débit du fleuve en Egypte mais aussi au Soudan. Le gouvernement éthiopien argue que son pays contribue le plus au développement du Nil étant donné que le fleuve y trouve sa source à 85%. Il avance également le motif d’une érosion qui contribue considérablement à la perte de ses sols fertiles d’où la nécessité de construire un barrage. Ce barrage présenterait par ailleurs des avantages pour la Chine et l’Inde, deux importants investisseurs dans la région, qui pourraient ainsi faire augmenter le potentiel d’irrigation.

Dans son projet, l’Ethiopie trouve le soutien d’Etats qui ont signé en 2010 le traité d’Entebbe, aussi connu sous le nom de « cadre de coopération et d’accord du Nil ». Ce traité, qui a pour principal objectif de rendre illégitime le veto Egyptien, a été la conséquence directe de l’échec des pourparlers avec l’Egypte dans le cadre de l’Initiative du bassin du Nil (IBN) en 1999.

Pénurie d’eau

Selon la carte mondiale du stress hydrique, l’Egypte est en zone sensible. Le pays fait face à une pénurie physique d’eau. Le prélèvement d’eau dans les rivières dépasse 75% des disponibilités pour l’agriculture, l’industrie et la consommation humaine. Le prélèvement total d’eau par habitant et par an en m3 dépasse 970. Au soudan, il est de 683,4 m3 et de 80,5 m3 en Ethiopie.

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La guerre du Nil

La ruée vers les terres agricoles n’est donc pas une bonne nouvelle pour l’Egypte, d’autant plus que l’Ethiopie et le Soudan occupent à eux deux les trois quarts du bassin du Nil. Avec ses 81 millions d’habitants, l’Egypte devrait compter en 2025 plus de 100 millions d’habitants. Trouver de la nourriture mais surtout de l’eau pour une population si nombreuse devient un défi lorsque le pays est classé en zone sensible. Selon les estimations des Nations Unies, le Soudan (44 millions d’habitants), l’Ethiopie (83 millions d’habitants) et l’Egypte compteront à eux trois 272 millions de personnes en 2025 et 360 millions d’habitants d’ici à 2050. La demande croissante en eau, la croissance de la population et les acquisitions étrangères de terres fertiles, sans parler du fait que l’agriculture en Egypte est totalement dépendante du Nil, pourraient laisser place, dans un futur proche, à un scénario dramatique. Une véritable guerre des eaux pourrait être déclenchée !

Afin d’éviter un tel scénario, Earth Policy Institute préconise de « passer à des cultures moins intensives en eau », adopter « des technologies d’irrigation plus efficaces en eau ». L’institut invite également les Etats de la région à s’unir contre l’accaparement des terres par les gouvernements et les entreprises étrangers.

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