Guerre au Mali : « L’Algérie a été trahie » par la France


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L’intervention militaire de la France au Mali soulève de multiples questions en Algérie. Alors que la communauté internationale soutient l’opération censée déloger les islamistes, la presse algérienne, elle, l’a vivement critiquée, arguant que la solution militaire ne résoudra pas la crise malienne. Du côté du pouvoir la gêne est palpable. Alger qui a toujours refusé l’option militaire, a finalement autorisé le survol de son espace aérien aux avions français. Un changement de position qui met l’Algérie en mauvaise posture, selon la presse. Décryptage.

L’Algérie sera la première à payer les conséquences de l’intervention française au Mali. C’est en tout cas ce que pense la presse algérienne qui a vivement critiqué l’action militaire de la France sur le sol malien. Or depuis le début de l’éclatement de la crise malienne, Alger s’est toujours opposé à une telle opération, privilégiant le dialogue, arguant le principe de non ingérence dans un pays. Paris, Washington et la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ont fait à plusieurs reprises pression sur les autorités algériennes pour qu’elles changent leur position. En vain.

De nombreux experts estiment en effet que l’Algérie est incontournable pour reconquérir le nord-Mali. Son armée, ses services de renseignements, et son expérience dans la lutte contre le terrorisme sont des atouts non négligeables. D’autant que l’Algérie dispose de 1400 km de frontière commune avec le Mali. Les autorités algériennes qui craignent un retour de bâton des islamistes et une invasion de réfugiés sur leur sol ont décidé lundi de fermer leurs frontières avec le Mali.

Alger, qui avait une position figée sur l’intervention militaire au Mali, s’est toutefois laissé fléchir, en autorisant le survol de son espace aérien aux avions français. Une mesure vivement critiquée par la presse algérienne. « On a forcé la main au président algérien Bouteflika pour qu’il autorise l’aviation française à survoler son territoire », selon le rédacteur en chef des Dépêches de Kabylie, Fherat Zafane, contacté par Afrik.com. D’ailleurs, affirme le journaliste, « il s’est entretenu longuement sur la question lors de la visite du président François Hollande en Algérie. Il faut savoir que 40% de cette visite était consacré à la crise malienne. Bouteflika a donné son aval pour le survol de son espace aérien aux avions français et en échange Hollande a accéléré l’implantation des usines Renault en Algérie. Donc Bouteflika s’est mis dans une posture un peu coupable en changeant sa position de départ car il est désormais contraint de participer timidement à cette intervention ».

« Le Mali pourrait devenir un deuxième Afghanistan »

La France fait fausse route, estime Azzadine Bensouiah, journaliste politique au quotidien Liberté. Selon lui, on pouvait encore résoudre la crise malienne grâce à la diplomatie. « Ce n’est pas la solution militaire qui réglera le problème, au contraire elle ne fera que compliquer d’avantage la situation, selon lui. Un deuxième Afghanistan pourrait s’installer au Mali. Et l’Algérie sera la première à en payer le prix ! ». Vu les conséquences de l’intervention de la France en Libye, « on craint que le nord-Mali devienne une zone de non droit où règne l’insécurité », souligne Mohanda Habat, journaliste d’une radio locale. En réalité, « le conflit malien a échappé à l’Algérie qui croyait auparavant avoir suffisamment la main sur les narcotrafiquants qui sévissent dans le Sahel. Or, aujourd’hui, la situation du nord-Mali est devenue incontrôlable », renchérit Fherat Zafane.

Ce qui a avant tout étonné en Algérie, note Azzadine Bensouiah, « c’est l’empressement de la France à passer à la solution militaire ».
Un constat que la presse algérienne dans son édition de lundi n’a pas manqué de commenter. C’est le cas du quotidien francophone L’expression qui va même plus loin en parlant de trahison : « L’Algérie, qui partage une frontière de près de 1500 km avec le Mali, a été prise de vitesse, voire trahie et le mot n’est pas exagéré, car au moment où elle réussissait à établir un ordre diplomatique du bien-fondé des négociations, elle est aussitôt poignardée ». Et le journal d’ajouter : « Au moment où le commandant de l’Africom, l’Américain Carter Ham, estimait lors d’une conférence de presse animée à Niamey qu’il n’y aura pas de solution satisfaisante au Mali sans l’Algérie, le président français décidait l’envoi de troupes françaises dans ce pays du Sahel ».

Le budget du ministère de la Défense renfloué

Selon des sources crédibles, renchérit L’Expression, « une centaine de militaires français avaient déjà commencé à encadrer les troupes maliennes et à diriger les opérations bien avant l’intervention télévisée surprenante de François Hollande. Celui-ci a déclaré qu’il avait pris cette décision suite à la demande officielle présentée par le président Traoré. François Hollande n’a fait que confirmer un fait accompli salué par la majorité de la classe politique française ». Ce qui signifie selon le journal François Hollande était « pressé de créer une diversion dans un pays qui éprouve de grandes difficultés à s’en sortir économiquement. A-t-il au moins pris la décision d’informer les Algériens? »

Toutefois, le quotidien Liberté a tenu à rappeler le contexte de l’intervention militaire française : « Dans le cas de l’intervention de l’armée française au Mali, la problématique paraît pourtant simple : un pays souverain fait appel à un autre, plus puissant, pour repousser une invasion islamiste terroriste qu’il ne peut pas refouler par ses propres moyens. La puissance en question répond alors favorablement, et efficacement, à cette demande. Et le journal d’ajouter : « Peut-être celle-ci arrive-t-elle avec ses propres arrière-pensées géostratégiques. Mais cela diminue-t-il l’intérêt universel à voir éliminer des hordes de terroristes ? Pourquoi donc devrions-nous être émus par le viol de la souveraineté malienne par l’armée d’un État occidental tout en restant indifférents à ce que cette souveraineté ait été foulée au pied par des armées de terroristes ? Parce qu’ils sont de chez nous ? Pour justifier leur confortable adaptation populiste, nos intellectuels éclaireurs vont jusqu’à renier le péril intégriste né de l’offensive islamiste sur Mopti. »

En tout cas, « quelle que soit la manière dont elle va intervenir, l’Algérie payera certainement cher la guerre qui se déroule au Mali, estime le quotidien indépendant El Watan. Ce n’est donc pas pour rien que dans ses prévisions de finances pour l’année en cours, elle a augmenté sensiblement le budget du ministère de la Défense qui a atteint 825 860 800 000 DA, l’équivalent d’un peu plus de 10 milliards de dollars. Une augmentation de 14% par rapport au budget 2011 ».

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