Bataille juridique autour de Seydou Keita


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L’œuvre du défunt photographe malien Seydou Keita est devenue une valeur sûre de l’art contemporain africain. Neuf cent vingt-et-un clichés sont à l’origine, depuis quatre ans, d’une bataille juridique entre André Magnin, l’agent historique de l’artiste, et de Jean-Marc Patras qui est, depuis 2001 par contrat, l’agent de feu Seydou Keïta.

Le monde de l’art contemporain africain est le témoin d’une guerre juridique autour d’une partie de l’œuvre de Seydou Keïta, le célèbre photographe malien décédé en 2001. D’un côté Jean-Marc Patras qui a signé, le 21 février 2001, un contrat d’agence et de représentation avec l’artiste. De l’autre, André Magnin, le conservateur de la collection Jean Pigozzi et celui à qui Seydou Keïta, dont il est l’agent historique, doit sa carrière internationale. Leur accord étant matérialisé par un engagement oral et un document écrit. L’objet du litige : neuf cent vingt-un clichés. Jean-Marc Patras et l’association Seydou Keïta pour la promotion de la photographie, représentée par le photographe malien Alioune Bâ et Kader Keïta, neveu de l’artiste, accusent en effet André Magnin d’être en possession de ces négatifs et de refuser de les restituer.

Des clichés « en lieu sûr »

« C’est une demande légitime » , selon Patras, car elle s’inscrit dans le droit fil de ce que Seydou Keïta lui avait demandé contractuellement : « faire diligence pour récupérer ses 921 photos détenues par M. Magnin. ». Clichés que ce dernier affirme ne plus détenir « depuis les funérailles » du maître malien. Néanmoins, il les sait « en lieu sûr » au sein même de la famille de Seydou Keïta. A noter que M. Patras est aussi, par son contrat, agent de la succession. Un contrat qu’il dit « inattaquable » du fait que le photographe malien aurait pris, de sa propre initiative, le soin de faire valider les signatures apposées sur le document par les autorités municipales de son quartier. Mais André Magnin affirme lui aussi jouir du soutien d’une partie de la famille Keïta.

Pour le nouvel agent de Seydou Keïta, ce combat est une obligation, non seulement contractuelle, mais morale. C’est complètement irrationnel comme comportement, affirme-t-il en parlant de ses adversaires. Je ne voulais pas croire que l’on puisse être aussi spoliateur et fouler du pied les droits fondamentaux de la propriété intellectuelle. […] Je lutte contre des gens qui vous diffament […] et vous vous retrouvez en face d’un multimilliardaire comme Pigozzi qui peut se payer 150 000 avocats pendants 50 ans. […] La propriété intellectuelle est le premier domaine d’échanges au monde, avant même les armes. Vous imaginez ce que le Mali pourrait en retirer s’il travaillait en amont pour que sa matière grise soit protégée et que l’argent revienne au pays. […] C’est comme si le patrimoine photo de Seydou Keïta était un corps dont des gens ont coupé la main. […] En Europe, c’est dégueulasse mais en Afrique, c’est du racisme…».

Rendez-vous en septembre prochain

Cet argumentaire, André Magnin affirme l’avoir tenu bien longtemps avant ceux qui l’accusent aujourd’hui de spoliation. « Keïta m’a supplié de son vivant d’emmener tous ses négatifs à Paris. Je lui ai répondu que c’était un trésor national et qu’il devait rester à Bamako. Aujourd’hui, ils (Alioune Bâ et Patras, ndlr) reprennent ce discours, mais j’ai été le premier à le dire.» Le conservateur de la collection Pigozzi indique également qu’il détient une note où Seydou Keïta lui demande « de surseoir » à la restitution des 921 clichés à Patras. « Je travaille depuis bientôt 20 ans avec une quarantaine d’artistes qui vivent et travaillent en Afrique noire. Tous sont devenus très riches grâce au travail que nous avons fait sans que nous leur demandions un centime. […] En quoi ai-je spolié qui que ce soit ? S’il y a une personne qui est un bandit en Afrique (j’en connais même deux), c’est Patras… J’ai des lettres qui le prouvent d’artistes qui supplient le ministre (français) des Affaires étrangères de poursuivre Patras […]. Curieusement le seul qui se plaint que je l’ai volé est sous la terre. Pourquoi Seydou Keïta serait resté pendant 15 ans avec moi si je l’avais volé ? […]». D’autant plus, précise M. Magnin, que les sommes des ventes réalisées par l’artiste étaient directement versées sur son compte et que cette collection représente une goutte d’eau dans la fortune de M. Pigozzi. « Ce qui l’intéresse, c’est de savoir que nous faisons vivre environ 20 000 personnes en Afrique et de grands artistes africains.»

En somme, aucune des parties en présence ne manque d’arguments pour étayer sa défense. Elles ont néanmoins un autre point commun : le désagrément que cause cette procédure judiciaire à leurs affaires. C’est donc, semble-t-il, avec impatience que les deux agents de Seydou Keïta entendent faire éclater la vérité le 28 septembre prochain.

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