Un Français sur trois se dit raciste


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Un Français sur trois se dit être raciste. C’est ce qui ressort du rapport 2005 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. Ce rapport, remis mardi au Premier ministre Dominique De Villepin, dévoile une banalisation croissante du racisme en France. Il livre ainsi, à la date même de la journée mondiale de lutte contre le racisme, un constat très alarmant sur l’évolution des mentalités françaises.

Par Vitraulle Mboungou

Un Français sur trois n’hésite pas à se déclarer raciste, révèle le rapport annuel 2005 de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH). Chaque année depuis 15 ans, cette commission remet au gouvernement un rapport sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie en France, afin de mesurer les évolutions dans la perception des phénomènes liés à cette question par l’opinion publique. S’appuyant sur des statistiques venant de diverses sources officielles et d’un sondage d’opinion réalisé par l’institut du Conseil Supérieur Audiovisuel (CSA), elle dresse un tableau des manifestations de toutes les formes de racisme ainsi qu’un panorama des mesures prises par les autorités et les différentes instances de lutte contre le racisme.

Le sondage du CSA a sondé un échantillon représentatif de 1 011 personnes en face à face du 17 au 22 novembre 2005 au moment des émeutes en banlieues. Il révèle une libéralisation de la parole raciste en France symbolisée par une forte hausse des personnes s’avouant être racistes : « une personne interrogée sur trois répond que personnellement elle dirait d’elle-même qu’elle est raciste », soit 33% des sondés, contre 25% en 2004. Ce sondage lève ainsi le voile sur le racisme latent en France, en même temps qu’il dévoile la radicalisation des opinions hostiles aux étrangers. On assiste « incontestablement à la levée d’un tabou », s’alarme ainsi la CNCDH, qui juge cette évolution de l’opinion « particulièrement inquiétante ». Par ailleurs, 63% des personnes interrogées estiment que « certains comportements peuvent justifier des réactions racistes ». Ce chiffre est en hausse comparé à celui de l’année dernière (45%). Mais la Commission rappelle que le sondage s’est déroulé « dans un contexte de violence urbaine et de réactions sécuritaires immédiates ». Ces chiffres seraient donc à manier avec précaution.

32% des sondés prêts à signaler un comportement raciste, contre 50% en 2004

La banalisation du racisme s’accompagne d’un essoufflement dans l’engagement des Français dans la lutte contre le racisme. Le rapport témoigne d’une « démobilisation sensible » et indique que seulement 32 % des sondés sont prêts à signaler un comportement raciste à la police contre 50 % l’année précédente. On assiste à « une vraie tendance au repli sur soi, à une indifférence croissante face aux manifestations de racisme, dans lesquelles viennent combiner des peurs et des craintes d’une communautarisation », note le rapport. Cette banalisation du racisme va également de pair avec l’augmentation des préjugés xénophobes. Ainsi, 56 % des individus sondés estiment que le nombre d’étrangers est trop élevé en France, soit plus de 18% par rapport à 2004. On constate également un net recul par rapport en 2004 (-11 points) de ceux qui pensent que les travailleurs immigrés « sont en France chez eux puisqu’ils contribuent à l’économie française ». La CNCDH note en outre que « le racisme et la xénophobie sont corrélés sinon confondus. L’étranger est très nettement assimilé à l’immigré, à l’Arabe, au Maghrébin, ou à l’Africain ».

Le sondage du CSA est aussi révélateur d’un malaise économique et social certain. La Commission souligne que « dans des nombreuses réponses apparaissent en premier lieu des facteurs d’ordre économique et social auxquels s’ajoutent des préoccupations sécuritaires ». De ce fait, l’emploi semble être le principal domaine dans lequel le nombre d’immigrés pose problème. Parmi les personnes qui jugent le nombre d’immigré excessif, 66% considèrent que cela représente un véritable problème dans le domaine de l’emploi et du niveau de chômage dans ce pays.

Responsabilités politiques

La radicalisation de l’opinion française serait-elle liée à une montée de l’angoisse économique ? Pour Michel Tubiana, vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme, elle est « aussi et surtout la conséquence directe des discours gouvernementaux qui multiplient les propos provocateurs à l’égard des étrangers ». C’est également l’avis de Mouloud Aounit, secrétaire général du Mouvement contre le racisme et pour le rapprochement entre les peuples (Mrap) qui parle dans une interview accordée au Nouvel Obs, de « racisme légitimé de manière politique ». Il dénonce « la multiplication des propos stigmatisants pour les populations des banlieues issues de l’immigration » par la classe politique française. « Quand on utilise les termes de ‘nettoyage au Karcher ‘ de ‘racaille’, quand un député parle de ‘you-you’ à l’Assemblée…, ce sont des gens qui sont exposés, qui représentent la République, qui encouragent cette libération de la parole raciste », insiste-t-il. Ces remarques ont été notées de manière à peine plus nuancée par le rapport de la CNCDH : « dans un contexte de malaise économique et social fortement ressenti, les étrangers et les immigrés sont souvent sinon dénoncés, du moins stigmatisés de façon flagrante ».

Reste que ce tableau n’est pas un « miroir exact et exhaustif de la réalité, il a simplement pour vocation d’en dresser des tendances », souligne le rapport qui met ainsi l’accent sur les limites inhérentes à un tel exercice. En rappelant que « les phénomènes de racisme, antisémitisme et xénophobe étant extrêmement complexes et difficilement quantifiables, les différentes méthodes de recueil des données revêtent inévitablement une part de subjectivité qui en affecte par nature leur fiabilité », la Commission reconnaît l’existence d’une « zone grise » inconnue dans la méthodologie de recueil de données, comme la diminution globale des actes racistes et antisémites portés à la connaissance des autorités. Ces faits ne parviennent effectivement pas nécessairement et systématiquement à la police ou à la gendarmerie pour la simple raison que les victimes ne le signalent pas. Par ailleurs, les statistiques étant effectuées par des différentes autorités avec leurs propres outils, la Commission reconnaît se retrouver souvent avec une diversité de données statistiques impossible à rapprocher car elles n’ont pas été établies sur les mêmes bases. D’autre part, il faut rappeler que le sondage du CSA a été administré en pleine période d’émeutes dans les banlieues française. Si les sentiments racistes ont, sans doute, été exacerbés, il n’en demeure pas moins que les chiffres traduisent une nouvelle réalité en France qui fait froid dans le dos.

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