Caricatures du prophète Mohamed : l’Afrique reste sereine


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Jets de pierres, incendies et appels au meurtre, nombre de pays musulmans sont encore la proie d’une violence incontrôlée, plus d’une semaine après que la controverse sur les caricatures du prophète Mohamed ait éclaté. Mais en Afrique, la Somalie mise à part, ni la grande prière du vendredi ni les marches organisées ici et là n’ont donné lieu à des débordements. D’Alger au Cap, petit tour d’une presse qui fait preuve de retenue.

La tension ne baisse pas. Une semaine après que la controverse sur les caricatures du prophète Mohamed ait éclaté, les manifestations violentes se sont poursuivies ce lundi. A Téhéran (Iran), près de 400 manifestants se sont rassemblés devant l’ambassade du Danemark, la bombardant à l’aide de cailloux et de cocktails Molotov. En Afghanistan, des affrontements avec la police ont fait un mort à Mehrtalam, dans la province de Laghman, où les autorités imputent les troubles à des agitateurs issus des rangs taliban, rapporte Reuters. Deux autres Afghans ont été tués lorsque la police a ouvert le feu sur des manifestants rassemblés aux abords de la base américaine de Bagram, au Nord de Kaboul. Enfin, à Bossasso, dans le nord-est de la Somalie, un enfant serait décédé suite à des affrontements entre manifestants et forces de sécurité, rapporte l’AFP.

Ce week-end, l’ambassade du Danemark à Beyrouth avait déjà été incendiée par des manifestants incontrôlables, l’un d’eux ayant même trouvé la mort en se jetant du troisième étage en feu. Des dignitaires religieux musulmans sunnites et chiites, dont certains participaient à la marche, ont condamné les actes, le gouvernement libanais a présenté ses excuses à Copenhague et environ 300 personnes ont été arrêtées. Au même moment, depuis la même ville, un leader religieux, l’imam Omar Bakri Mohamed, appelait à l’assassinat des auteurs des dessins.

« Trop, c’est trop »

Plus d’une semaine après le début de la polémique, « trop c’est trop », clame le quotidien sud-africain The Star, en sous-titre d’une photo où apparaît un manifestant enragé, une barre métallique dans chaque main, l’ambassade du Danemark en feu derrière lui. Dans la même veine, The Daily Star dit son malaise par l’intermédiaire de Javier Solana, Haut représentant de l’Union européenne (UE) pour la politique étrangère et la sécurité commune (Pesc), et de Kofi Annan, Secrétaire général des Nations Unies.

Le premier a déclaré par la voix de son porte-parole, Christina Gallach, que « ceux qui sont responsables aux niveaux locaux, politiques ou religieux doivent prévenir toute répétition de tels actes, dont le seul résultat est de ternir l’image d’un Islam pacifique », cite The Daily Star. Quant à Kofi Annan, « bien qu’il partage la détresse des Musulmans à la publication des caricatures, ressentie comme une insulte à leur religion, il voudrait insister sur le fait qu’un tel ressentiment ne peut justifier la violence, surtout lorsqu’elle est dirigée contre des personnes qui n’ont aucune responsabilité ni aucun contrôle sur ces publications », a indiqué son porte-parole, Stephane Dujarric.

L’Afrique sereine

Les quotidiens sud-africains auraient trouvé du réconfort à travers l’attitude des musulmans de leur continent. « Les imams, à travers les différentes mosquées du pays, ont axé leur prêche du vendredi (jour de la grande prière, ndlr) autour de l’incident provoqué par la publication des douze caricatures », indique La Tribune. « Les imams, poursuit le quotidien algérien, qui ont dénoncé cette atteinte au Prophète et aux symboles de l’Islam, n’ont toutefois pas tenu un discours de haine ni incité à la violence, mais saisi cette occasion pour évoquer la grandeur de l’homme, Mohamed (QSSSL, que le Salut soit sur Lui), porteur d’un message universel d’amour, de paix et de tolérance. Tout en gardant un discours apaisant et serein, ils ont mis à nu l’attitude ‘provocatrice’ et ‘gratuite’ du journal danois et de tous ceux qui ont soutenu sa ‘soit-disante’ liberté d’expression.

Ils ont par ailleurs dénoncé l’attitude des pays musulmans qui n’ont pas fait preuve d’unité pour réagir en temps opportun, notamment par le boycott des produits danois, contrairement aux pays européens qui ont affirmé leur soutien au Danemark. Les imams algériens, qui ont appelé au respect des symboles religieux, ont estimé que l’atteinte aux religions est une sorte de dérive, hors du cadre de bonne conduite que suppose le dialogue des civilisations et des cultures, évoqué à chaque occasion et à chaque manifestation mondiale ». Par ailleurs, précise La Tribune, « un important dispositif sécuritaire » a empêché la marche « spontanée » et « pacifique » qui devait mener les fidèles, après la prière, jusqu’à l’ambassade du Danemark et au siège de la Commission européenne ».

Autorisée à Bamako, la marche d’un millier de manifestants, selon Les Echos, et de 3 000, d’après Le Républicain, est restée pacifique. « L’appel à la marche de trois associations islamiques a été autorisé par les pouvoirs publics, précise le premier. Ce qui fait que la présence des forces de l’ordre visait tout simplement à un meilleur encadrement des marcheurs. Les organisateurs n’ont pas manqué de saluer cette disponibilité et cet acte de foi manifeste de l’Etat. » « Tout au long de la marche, ajoute Le Républicain, les manifestants scandaient des slogans hostiles au Danemark et à tous les ‘mécréants’ ».

Entre religions monothéistes, on se comprend

Dans le cadre du dialogue entre religions, « le Conseil supérieur des ouléma du Royaume du Maroc a accueilli avec satisfaction la déclaration du Vatican au sujet de la publication de caricatures portant atteinte à la Personne du Prophète Sidna Mohammed, sur Lui Paix et Bénédiction, qui réaffirme le caractère sublime des valeurs religieuses sacrées », rapporte l’agence de presse marocaine (Map, Maghreb arab press). Dans un communiqué, le Conseil « apprécie tout particulièrement qu’il y est dit expressément que le droit à la liberté d’expression ne comprend pas le droit de heurter le sentiment religieux des croyants, quelle que soit la religion concernée ».

« Les valeurs religieuses des croyants les engagent et leur enjoignent plutôt d’emprunter la voie du rapprochement, de la coopération et de l’amour », insiste le communiqué, rappelant « l’accueil historique que les Marocains avaient réservé au Pape Jean Paul II » lors de sa visite. « Il est par conséquent bien établi que la réaction à l’intérieur du Maroc aux caricatures visant la Personne du Prophète ne traduisait aucunement un quelconque comportement susceptible de signifier l’existence de quelque problème que ce soit entre le Christianisme et l’Islam », affirme le Conseil. Il s’agit plutôt, d’une réaction « légitime » pour la défense du Prophète de l’Islam et partant de l’ensemble des religions et des messagers de Dieu.

Dans sa livraison du lundi 6 février, l’hebdomadaire burkinabé Sannfina se veut pédagogue, à travers un article signé de la rédaction. « Pour les Musulmans, explique celle-ci, aucune représentation du Prophète ou d’Allah, quelle qu’elle soit, bienveillante ou non, n’est autorisée. Européens, Américains… peuvent caricaturer, brocarder le Christ, suspecter ses miracles, aller même jusqu’à rire sous cape de ses relations avec la Madeleine, qui n’aurait rien eu de si chaste… c’est leur droit parce que c’est ainsi qu’est faite la civilisation judéo-chrétienne, bâtie sur un culte du rationalisme qui exalte à l’infini la liberté, parce que le sens de la gouvernance des Occidentaux repose sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, sur le primat de l’Etat séculier, sur des valeurs républicaines intangibles. Chez les Musulmans, c’est tout autre chose : pour eux, le sens du sacré a toujours une prégnance dans les consciences, la séparation de l’Eglise et de l’Etat n’a pas encore valeur générale. Le Coran demeure la boussole, le métronome de leurs vies, la ‘Constitution’ de leurs pays. La théocratie règne encore par endroits en maîtresse absolue. Violer le Coran, porter atteinte à Allah, au Prophète, c’est commettre le plus grave crime qui soit (…) C’est donc le bras de fer entre partisans de la démocratie républicaine classique et défenseurs de l’Islam. (…) Qu’ils soient de droite ou de gauche, la question embarrasse en effet les politiques. On dit tout sauf pardon. Nous courrons de la sorte vers l’impasse, car dans cette affaire, ce qui dicte les conduites, c’est moins la raison que l’émotion ».

« Ma priorité, c’est d’abord manger, danois ou pas danois »

Après de nombreux articles consacrés à la controverse, El Watan donne la parole aux Algérois dans son édition du 6 janvier. Dans les rues de la capitale, « certains dénoncent l’amalgame entre terrorisme et Islam, d’autres exigent le pardon public des Danois, d’autres encore déplorent qu’on incrimine le Danemark tout entier. ‘Nous sommes évidemment contre les caricatures, mais ce chaos a provoqué l’amalgame : manifester ne servirait pas la cause des musulmans d’Algérie. Il faut réagir avec sagesse, comme l’aurait voulu notre Prophète’, estime Chafik, assit à la terrasse d’un café avec son ami Karim. Il explique que la violence des réactions dans le reste du monde vient du fait que ‘nous sommes des pays faibles ; c’est la seule manière de manifester le mécontentement’. A propos de la détermination des autorités danoises de ne pas demander de pardon : ‘C’est normal qu’elles ne demandent pas pardon, c’est un journal privé indépendant. Cependant, même si c’est un pays libre, il faut respecter certaines limites. C’est le journal qui doit présenter des excuses solennelles et franches. Cette caricature ne sert à rien. J’ai vu les dessins sur Internet : professionnellement, il est nul ; ça ne vaut pas le coup d’envenimer les choses’. Une médiocrité qui témoigne, selon lui, d »une méconnaissance flagrante du monde musulman’.

Reda, Nassim, Malek et Hamza, à la sortie du lycée El Idrissi, à Alger, ont 18 ans. Ils sont visiblement peu au fait de l’affaire. L’un d’entre eux tente de lancer un ‘si je croise un Danois, je le tue !’. Plaisanterie, bien sûr. Plus sérieusement, certains tempèrent l’ardeur du copain : ‘Il faut expliquer aux Européens pourquoi c’est important pour nous’. Nassera, femme au foyer, attend le bus. ‘Il ne faut pas jouer avec la religion, chacun a la sienne et il faut la respecter ; une manifestation servirait à demander haut et fort le pardon à ceux qui nous ont offensés ; c’est le signe que l’Europe ne nous respecte plus en tant que musulmans.’ ‘Personnellement, je ne suis pas pratiquant et cette histoire ne me concerne pas, juge Fatah. J’ai reçu des messages pour boycotter les produits danois, mais ma priorité, c’est d’abord manger, danois ou pas danois. Il y a des problèmes plus importants ; parlons d’abord des problèmes d’eau dans notre pays avant de parler de Mohamed.’ Omar ajoute que ‘c’est la presse qui est responsable, pas les Danois’ ».

_ Dernière mise à jour : mardi 7 février 15h00. Les violences en Somalie ne concernent plus Mogadiscio, comme l’AFP l’a indiqué lundi, mais Bossasso.

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