Niger : le rêve américain au bout de la rue


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Ces derniers temps, les candidats nigériens à l’immigration aiment à trouver un peu d’ombre Place de la Liberté, à Niamey, sous le chapiteau « Loto Visa USA ». Une entreprise d’inscription à la loterie de la Green Card installée par un entrepreneur togolais. Chômage, ennui, aventure, découragement face à la répression en Europe et en Afrique du nord, les candidats au départ parlent de leur désir d’une vie meilleure.

Niamey, Place de la liberté, « Visa pour les USA ». Le promoteur togolais de ce site d’inscription à la Green Card ne pouvait rêver meilleur emplacement pour poser son étrange tente soucoupe volante gonflable aux couleurs du « Star-Spangled banner », le drapeau américain. La structure en plastique, qui dépareille sur les larges avenues de la capitale nigérienne écrasées de soleil, s’apparente à une araignée haute de trois mètres, le corps rond posé sur ses six larges pattes. Il fait une quarantaine de degrés, en cette fin de matinée, et c’est à l’ombre de la bête que trois bureaux, deux ordinateurs portables, leur imprimante et quelques chaises rouges en plastique ont été posés pour recevoir les candidats à l’exil. Il n’y a pas foule, et l’entreprise privée reçoit plus de prétendants Place Goiscore, à Lomé, Place Etoile rouge, à Cotonou, ainsi qu’à Dakar et Bamako, selon Assih Evaloutchala, l’un des cinq salariés chargés de gérer le lieu. Djellaba d’un blanc éclatant pour ce jeune homme, pantalon sombre en toile et chemise pour ces deux-là, costume avec veste pour ce père et son fils et boubous colorés pour ces mamans nigériennes, tous sont tirés à quatre épingles pour ce premier contact avec l’Amérique. Il leur en coûtera 3 000 FCFA. « Le service est gratuit sur Internet, mais les clients peuvent bénéficier ici de nos conseils, concernant par exemple les conditions à remplir pour pouvoir prétendre à la Green Card : 12 ans de scolarité ou la connaissance d’un métier avec deux ans de pratique », explique Assih Evaloutchala. Des conseils d’une efficacité relative dont le jeune Togolais, qui en est à sa quatrième tentative d’obtention du précieux sésame, n’a pas encore tiré profit.

 Yacouba, 28 ans, marié, deux enfants

« Ma situation était meilleure en Côte d’Ivoire»

« Pour le moment, je ne sais pas ce que je ferais là-bas si j’étais pris. A Niamey, je suis boucher, comme mon père l’était. C’est un ami qui a rempli un formulaire d’inscription il y a une semaine qui m’a invité à faire de même. J’ai déjà un camarade qui a décroché la Green Card, il y a six ans, à l’époque où j’étais moi-même allé travailler à Abidjan, en Côte d’Ivoire. Ça marche pour lui. Je ne sais pas ce qu’il fait là-bas, mais ici il travaillait dans une usine de Jeans. Quand il rentre, il n’est matériellement pas à plaindre et se promène dans une belle voiture. Malgré mon travail, je juge que ma situation ici n’est pas bonne, avec une femme et deux enfants. Elle était un peu meilleure en Côte d’Ivoire, mais j’ai dû rentrer en 2001 quand la crise a éclaté, comme de nombreux autres Nigériens. »

 Aïssata, formatrice-restauratrice, 33 ans, venue s’inscrire avec ses amies Adama et Mariama

« C’est la découverte, l’aventure »

« J’ai vu le stand en passant dans la rue, une collègue m’en avait parlé. J’ai proposé l’idée à mes deux frères, mais seul l’un d’eux était intéressé. Moi, je me suis lancée en suivant mes deux collègues. Ça ne me fait pas peur de partir. C’est la découverte, l’aventure, et, avec ma formation, peut être que je peux gagner beaucoup ! Je suis célibataire et j’ai un enfant dont je veux assurer l’avenir. Mais il ne faut pas que les gens de la Green Card nous jettent comme des ordures, attention, ils nous ont fait miroiter des choses, maintenant, il ne faut pas nous décevoir ! Des gens comptent sur nous et on a pris du temps pour venir nous inscrire. »

 Adama, 34 ans, sans enfant

« Je me suis dit pourquoi pas une femme ? »

« J’ai appris l’existence de ce site par la télé. Je me suis dit pourquoi pas une femme ? On peut faire ce que les hommes font. J’ai un diplôme d’assistanat social, depuis 1998, mais je n’ai toujours pas de travail ! Pour moi, les Etats-Unis, c’est un pays où on peut trouver du travail et gagner sa vie. »

 Mouhamad, 26 ans, venu avec Abdelaziz et Ousmane

« Ceuta et Mellila, c’est du suicide, j’ai pitié pour moi-même »

« J’ai le niveau Terminale, mais pas le Bac car mes parents n’ont pas eu les moyens de me faire poursuivre les études. On a des amis en Belgique, en France ou aux USA qui nous disent que ce n’est plus comme avant, là-bas. Il y a plus de contrôles de police, il faut se cacher, c’est difficile de vivre. Ça décourage, mais ici, c’est pire ! Nous, on voudrait partir, rester un ou deux ans et revenir avec de l’argent. C’est le chômage qui nous fait périr. Il faut nous voir demander 50 FCFA au vieux pour boire le thé. On est jeunes, on a la force, mais ici, tu travailles toute la journée pour seulement quelques pièces. Ce qu’on déteste, c’est rester sans rien faire. Partir, ça fait du bien. Mais je ne suis pas prêt à tout, comme ceux de Ceuta et Mellila. C’est du suicide, j’ai pitié pour moi-même ! Si je pars, c’est avec un visa. Mais il faut être le fils de quelqu’un pour en obtenir un. Et les pays n’en donnent plus depuis deux ans. J’ai déjà essayé d’aller en France mais j’ai été refoulé dès mon arrivée à Roissy, le 31 janvier 2004. Je suis resté trois jours dans l’aéroport. Ils m’ont dit que je ne pouvais pas rester car je n’avais pas assez d’argent sur moi. J’avais payé l’argent du billet et ils n’ont rien remboursé. Avant, beaucoup de jeunes nigériens allaient travailler en Côte d’Ivoire. Le climat était bon, on ne pensait pas à partir en Europe. Maintenant, la Côte d’Ivoire, c’est gâté. On titille les Nigériens pour rien. On rêve plutôt de partir aux Etats-Unis, pour avoir un niveau de vie et se marier. En Europe c’est trop dur. »

 Abdelaziz, 28 ans

« C’est trop dur de monter son entreprise»

« Cela fait deux ans que je chôme. J’ai fait des études en informatique mais je n’ai pas de boulot. Nos grands frères sont sortis de l’école il y a quatre ans et ne travaillent pas non plus. Ils sont à la maison, on boit le thé ensemble. On est un groupe de dix jeunes hommes. C’est une vie difficile. Il fait chaud, tout est cher, il y a beaucoup d’impôts, c’est trop dur de monter son entreprise. Pour ouvrir une boutique, il faut payer trop de taxes. Mieux vaut boire le thé… Le Nigérien n’a qu’une seule idée en tête : partir à l’extérieur. On a tous essayé au moins une fois d’avoir un visa Schengen. Mais les gouvernements européens changent et le traitement des demandes reste le même. Nos dirigeants se remplissent les poches et pour réussir, il faut du piston. Il n’y a pas un seul jeune, fille ou garçon, qui ne souhaite pas partir. Il n’y a pas un jour qui passe sans que l’on essaie. »

 Boubacar, 37 ans, marié, un enfant

« Partir, même dans la sous-région »

« J’ai déjà essayé une fois de partir mais sans succès. J’étais militaire jusqu’en 1992 et depuis, j’ai effectué différents emplois, comme agent de sécurité dans la compagnie pétrolière Esso, ou comme agent administratif aujourd’hui. J’ai postulé à la Green Card avec ma femme et mon enfant. C’est le fait que ce soit une porte ouverte à tout le monde qui me plaît dans le processus de sélection. Nous avons vraiment envie de partir, même dans la sous-région, s’il le faut. Nous y avons de la famille, mais elle ne nous aide pas vraiment. »

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