Donner à l’Europe une image plus juste de l’Afrique


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« De nouvelles relations avec l’Afrique pour créer des richesses d’ensemble ». C’est le thème du colloque qui s’est tenu mardi et mercredi à Bruxelles (Belgique). Cette rencontre se veut la première étape d’une vaste campagne de communication dénommée « Building unity through diversity ». Son ambition : rompre avec l’image dont est victime l’Afrique en Europe et repenser la coopération entre les deux continents.

De Bruxelles,

L’Afrique est riche ! Pas seulement par ses ressources mais par ses valeurs et surtout par ses hommes. C’est une évidence qui mérite d’être rappelée, surtout quand il s’agit de coopération, le seul moyen dont disposent les pays riches pour aider le continent africain à se sortir de son sous-développement. Comment « réinventer » les relations entre l’Europe et l’Afrique, en prenant en compte les potentialités du continent noir ? C’est cette réflexion qui a été amorcée lors de la rencontre intitulée « De nouvelles relations avec l’Afrique pour créer des richesses d’ensemble » et qui s’est tenue mardi et mercredi derniers à Bruxelles (Belgique).

Heureux présage que ce colloque soit le fait d’un Belge et d’un Camerounais : François Milis, secrétaire général de l’ONG belge Echos Communications[L’ONG belge est spécialisée dans la réalisation de projets de communication sur les relations Nord-Sud]] et Jean-Pierre Elong Mbassi, secrétaire général du Partenariat pour le développement municipal ([PDM)[[Le PDM est une organisation panafricaine dont le but est d’aider les gouvernements africains dans leurs efforts de décentralisation et de renforcer les capacités des collectivités locales]]. La rencontre, première étape d’une vaste campagne de communication dénommée « Building unity through diversity » (« construire l’unité à travers la diversité »), s’inscrit dans le cadre de la préparation d’Africités 2006, le rendez-vous des élus locaux africains qui se tiendra en septembre prochain au Kenya.

« Le développement sera local ou ne sera pas »

Comment construire ensemble, à partir de notre diversité ? C’est tout le propos de la rencontre de Bruxelles qui a rassemblé notamment des entrepreneurs, des hommes de médias et les organismes de coopération, principales cibles de cette campagne de communication inédite en Europe. Pour Jean-Pierre Elong Mbassi, cette plate-forme de réflexion a pour but de « se parler franchement, de lever quelques tabous, de percevoir que l’Afrique change rapidement, que les schémas anciens hérités de la colonisation et de la période post-coloniale évoluent. Que de nouvelles forces émergent et que ces forces sociales prennent appui sur les collectivités locales et les acteurs locaux ».

Il poursuit : « Nous voudrions donc interpeller la communauté internationale afin qu’elle identifie ces changements et qu’elle prenne conscience que les niveaux stratégiques d’intervention se situent au niveau local. Le développement naît de la division du travail entre les populations locales, puis entre les villes et les campagnes. La spécialisation des différentes localités aboutit tout d’abord à une conquête du marché régional. C’est seulement après cette maturation que vous pouvez prétendre jouer sur le marché mondial. L’exemple des pays développés, où la plupart des emplois sont créés par des entreprises locales, en est une parfaite illustration. Par conséquent, pour nous, le développement sera local ou ne sera pas ! »

« Le futur de l’Afrique »

Cette rencontre, c’est aussi, affirme François Milis, l’occasion de « susciter une réflexion sur une nouvelle manière de penser le développement. La question du développement n’est plus seulement abordée en termes économique, technique et financier, mais en termes relationnel. Dans quelle mesure nos relations sont ou non facteurs de développement ? » Ainsi, le principal enjeu de la coopération et du développement doit être d’éveiller et de valoriser tout le potentiel des gens et des sociétés concernés car autrement, on participe à leur « mal-développement » en restant focalisé sur leur manque. « Concrètement, il faut passer des relations basées sur l’identification des problèmes de l’Afrique, où l’Occident s’est souvent vécu comme celui qui apporte la solution, à une logique où l’on est dans une co-construction du monde, dans un apprentissage mutuel où chacun exprime son génie, ses savoirs et sa créativité. » Pour, ensemble, créer des richesses.

Pour relever ce défi, le PDM représente, selon l’ingénieur agronome belge, « le futur de l’Afrique » parce qu’il a une dimension continentale et surtout parce qu’il œuvre à l’échelon local en regroupant tous les acteurs du développement local. A savoir les maires, les groupements de femmes… en somme des partenaires clé dont la vision est à faire connaître, ce à quoi Echos Communications veut s’employer. « Le rôle que jouent les élus locaux, rappelle le secrétaire général du PDM, est similaire à celui des Etats dans les économies nationales. Ils doivent faciliter par leurs actions l’émergence d’une économie locale. Par exemple, je conseille aux maires de confier leur budget entretien à des entreprises locales. Car leur mission doit être d’œuvrer à la mise en place d’un cadre de développement propice aux PME ». Et les entreprises sont des éléments clé en termes de création de richesse. « Partir de l’économie locale, c’est reconnaître le rôle essentiel des petites et moyennes entreprises et cela est primordial pour le développement durable de nos pays. C’est aussi prendre en compte « le fameux secteur informel », celui que M. Elong Mbassi assimile « à l’économie populaire qui donne des réponses adaptées aux capacités des populations locales. » Dans la même optique, il note que « les chefs traditionnels sont incontournables dans l’économie locale parce qu’ils gèrent les terres. On ne peut donc pas les tenir à l’écart des dynamiques de changement dans nos pays, même si certains ont eu tendance à abuser de leur pouvoir. Un pouvoir que les sociétés modernes contrebalancent par la mise en place de règles démocratiques. »

Insister sur le potentiel africain

La révolution qui vise à changer l’image de l’Afrique en Europe est donc en marche. Et François Milis voit une partie du rêve du jeune homme de 18 ans qu’il était commencer à prendre forme. Car ce projet, il y travaille depuis une quinzaine d’années déjà au travers de sa structure de communication. A propos de la coopération, il avait depuis des années constaté : « tant d’énergie, mais un si grand malentendu. La coopération est un malentendu, chacun disant à l’autre ce qu’il veut entendre. La coopération est un produit dont ceux qui la reçoivent et qui la paient sont les seuls à ne pas donner leur avis. Ceux qui ont le pouvoir, ce sont les structures intermédiaires. » Des structures qui comprennent, elles aussi désormais, l’urgence d’un changement d’attitude. Comme en témoigne la nouvelle stratégie européenne pour l’Afrique rendue publique en octobre dernier. Et qui selon Louis Michel, le Commissaire européen pour le développement et l’aide humanitaire, et qui a apporté sa contribution à la réflexion par vidéo interposée, est caractérisée par « l’appropriation ». La possibilité est ainsi donnée aux Africains, aidés par l’Europe, de construire leur développement. Et la conjoncture actuelle est à cet égard plus que propice.

« Nous avons une conjonction favorable qui fait que ce qui était interprété comme le problème des autres devient un problème commun », estime Jean-Pierre Elong Mbassi. Le terrorisme, l’immigration et l’affirmation croissante de la Chine comme puissance économique sur le continent africain y sont d’ailleurs pour beaucoup. « Le développement est un processus méridien, c’est pour cela que le concept de co-développement est très intéressant : doivent se développer ensemble des gens qui voient le soleil se lever et se coucher ensemble. L’Europe, de ce point de vue-là, est partie liée avec l’Afrique, un peu moins, à mon avis, avec l’Asie ou l’Amérique Latine. Par ailleurs, les PME européennes réalisent que les grandes multinationales ne leur donnent que deux choix : les absorber ou en faire des sous-traitants sous pression. Il leur faut donc d’autres partenaires… C’est pour cela que nous pensons que notre campagne va porter ses fruits d’ici 2 à 3 ans dans le monde de l’entreprise, dans les sociétés civiles européenne et africaine. Parce qu’il va y avoir une compréhension mutuelle pour un partenariat renouvelé qui insiste, non plus sur les manques, mais sur le potentiel de l’Afrique. »

« Africa is back »

Bien que l’heure soit au changement, M. Milis remarque néanmoins « que ce n’est pas pour autant que cette prise de conscience individuelle d’un espace de réciprocité est facile. On a plus l’habitude de penser ce que l’on doit faire pour l’Afrique et non ce qu’on a à recevoir d’elle. Un vieillard kenyan me disait que le problème du dialogue Nord/Sud, ce n’est pas que l’Afrique n’a pas de parole, c’est que l’Europe n’a pas d’oreille… L’enjeu, c’est comment ouvrir les oreilles de l’Europe. D’où le besoin de travailler sur des projets d’éducation-développement et de communication qui sensibilisent les Européens à une nouvelle vision de l’Afrique. A l’échelon collectif, il s’agit de voir dans quelle mesure on peut rapprocher le continent africain de l’Europe en considérant qu’on a un destin commun au niveau politique, économique, et à l’échelon personnel, comment rencontrer notre « africanité ». Pour moi, la globalisation c’est mettre en réseau tous les hommes, que chacun découvre l’autre et ce qui le rapproche de lui. Les quarante prochaines années verront l’Afrique devenir progressivement une puissance économique, mais surtout un réservoir de valeurs. Il manque sur la planète un lieu qui combine rapport à l’homme et développement économique, où l’homme est placé au cœur du développement ».

Et l’Afrique semble être ce lieu où « l’homme reviendra au centre de l’économie », dixit Jean-Pierre Elong Mbassi. Comme il lui appartient de modeler son avenir. A l’instar des participants du colloque de Bruxelles qui, si ce n’est pas l’Afrique qui les a vu naître, ont souvent fait « une rencontre personnelle avec l’Afrique », ce qui les amène aujourd’hui à s’engager pour elle et à ses côtés. Tout comme François Milis. « J’ai découvert une série de valeurs particulièrement riches en Afrique et si je peux un tant soit peu contribuer à participer à ce que l’Afrique exprime son génie, ce serait le plus beau cadeau que je puisse avoir. » Et il a semblé, dans la capitale européenne, que la chose devenait possible, comme l’a souligné, mercredi, Armand De Decker, le ministre belge de la Coopération au développement en ouverture des travaux.

« Le moment est venu, tout simplement, d’entamer le grand voyage commun, cette transhumance fraternelle et réciproque amenant l’Afrique à l’Europe et l’Europe à l’Afrique, pour qu’ensemble nous devenions ce que nous n’avons jamais cessé d’être tout en le niant, des frères humains, dira-t-il. Le colloque est une première étape de cette entreprise commune qui sera, dans un futur proche, nourrie par un forum pour qu’enfin soit mis un terme à ce que François Milis qualifie de « drame de la coopération » car « pendant longtemps, elle n’a pas aidé l’Afrique à accoucher d’elle même ». Ceci afin que les propos tenus au Palais Egmont par Jean-Pierre Elong Mbassi, « Africa is back » soient plus qu’une profession de foi, c’est à dire une simple réalité.

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