Haro sur les droits de l’Homme en Tunisie


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La Tunisie n’est pas seulement le pays du « sourire » comme le laissent entendre les campagnes publicitaires. A quelques semaines du Sommet mondial sur la société de l’information qui doit se tenir à Tunis, la répression, à l’encontre des journalistes, des magistrats et des défenseurs des droits de l’Homme, s’accroît de façon alarmante.

A l’approche du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui doit se tenir du 16 au 18 novembre à Tunis, Ben Ali durcit le ton. Alors que l’Association des magistrats tunisiens (pourtant très modérée et considérée comme proche du pouvoir) a été privée de bureau en août dernier, et que le Syndicat des journalistes tunisiens n’a pas pu tenir cette semaine son premier congrès constitutif, la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH) vient elle aussi d’être empêchée de tenir son congrès, ce vendredi. Le Président tunisien semble faire de la « répression préventive », comme l’analyse Kamel Jendoubi, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme (REMDH).

« Il sait que ses partenaires internationaux ne bougeront pas ou alors de façon symbolique car la Tunisie apparaît comme un garant de la stabilité face à la menace terroriste. Ben Ali teste aujourd’hui les capacités de résistance des organisations. Il a peur car les locaux de la LTDH sont des lieux de réunion, (les réunions de personnes sont interdites en Tunisie, ndlr), de liberté, de débat et de prises de position », a-t-il expliqué au cours d’une conférence de presse organisée vendredi matin au siège de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), à Paris.

Solidarité avec les magistrats et les journalistes

Parmi les intervenants sur le thème de « la situation alarmante des droits de l’Homme et des libertés » : Hélène Franco, du syndicat de la magistrature, Lynn Techini de Reporters sans Frontières (RSF), Khémaïs Sila, de la LTDH, réfugié en France. Ainsi que Gérard Tcholakani, du Syndicat de la magistrature française, qui a noté que la profession d’avocat en Tunisie était « victime d’une répression » depuis quelques temps, citant des cas d’avocats à qui l’on retire certains dossiers pour asphyxier leur cabinet et que l’on surveille en permanence… « Nos confrères ont besoin d’une solidarité internationale », a-t-il lancé.

Une solidarité appelée aussi de ses vœux par Mokhtar Trifi, président de la Ligue Tunisienne des droits de l’Homme, qui, joint par téléphone, s’est exprimé depuis Tunis : « Nous avons besoin de soutien, ici. La situation se dégrade, pour la LTDH, visée en tant qu’organe indépendant, mais aussi pour toutes les organisations qui défendent les droits de l’Homme en Tunisie. Mercredi, notre local dans la capitale a été encerclé par la police et nous avons été empêchés par la force de tenir notre Congrès, prévu aujourd’hui. Les journalistes et les avocats ont aussi été sous pression ces dernières semaines. C’est toute la société qui est sous pression. Nous allons tenir aujourd’hui une conférence de presse à notre siège. Des personnes, comme Sidiki Kaba (président de la FIDH, ndlr), sont à nos côtés ».

« Guerre contre l’intelligence »

Reporters Sans Frontières a exprimé son inquiétude, après avoir sorti, dans la foulée d’une mission sur place en juin dernier, un rapport intitulé « Vous n’avez aucun droit ici mais vous êtes les bienvenus en Tunisie ». Un rapport qui dénonce l’absence de pluralisme de l’information, le harcèlement des journalistes indépendants et « la formidable machine de propagande du gouvernement » à l’approche du sommet. « Les engagements du Président de la République Zine el-Abidine Ben Ali en faveur d’une plus grande liberté de la presse ne sont que de la poudre aux yeux. Le pluralisme de l’information n’existe pas et un cyberdissident sera en prison au moment où le SMSI s’ouvrira à Tunis », précise l’organisation. On peut d’ailleurs préciser qu’à l’heure actuelle, quelque 25 sites Internet sont toujours interdits en Tunisie…

Pour Khémaïs Sila, ce qui se passe aujourd’hui dans son pays est « une guerre contre l’intelligence ». « Le régime s’attaque aux universitaires, qui ont déclaré une grève administrative, aux magistrats, aux journalistes, et veut faire taire un grand témoin crédible, la Ligue des droits de l’Homme. La société civile est étouffée, il y a plus de 500 prisonniers politiques en Tunisie, certains emprisonnés depuis 15 ans, des dizaines sont morts sous la torture, d’autres ont passé des années en isolement total… »

Rassemblement de protestation

Quant à Michel Tubiana, vice-président de la FIDH, il a rappelé : « On meurt en Tunisie, que ce soit dans les locaux de la police ou en prison. On est tabassé en pleine rue ». Il a fustigé « l’insupportable silence des gouvernements européens qui entoure ce qui se passe en Tunisie ». « L’Union européenne est l’un des bailleurs de fonds de la LTDH mais l’argent dort dans les caisses de la banque nationale sans que l’Europe ne réagisse à ce hold-up de l’Etat. Le silence de la France est assourdissant et intolérable. Comme pour l’affaire des disparus du Beach, à Brazzaville, les relations personnelles entre Présidents priment sur le respect des droits de l’Homme. Le régime tunisien reste acceptable pour les bailleurs que sont l’Europe et les Etats-Unis tant que le peuple tunisien mange à sa faim… »

Michel Tubiana a clos la réunion en précisant qu’un rassemblement de protestation est organisé, aujourd’hui vendredi 9 septembre, à 18h30, « aux alentours » de l’ambassade de Tunisie, à Paris, au métro François-Xavier. Aujourd’hui, suite à l’annulation du congrès de la LTDH, le Quai d’Orsay a rappelé à la Tunisie que la question du respect des droits de l’Homme constituait un « élément du dialogue politique » avec l’Union européenne…

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