« Clam c’est l’Afrobeat de l’image »


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Evénement dans les kiosques, le nouveau numéro du magazine Clam est disponible depuis mardi en France. Désormais semestriel, la revue toujours très créatrice, en est à son numéro 12. Andy Amadi Okoroafor fondateur d’une revue internationalement connue, nous explique l’esprit de Clam. Le très coté directeur artistique nigérian revient sur l’identité résolument moderne d’une Afrique contemporaine partagée.

Clam : un magazine au service de la création. Un magazine afro de notoriété internationale qui force le respect à Londres, New York ou encore Tokyo. Toujours très attendu, le mag, 12e édition du genre, est désormais en kiosque. Son créateur, le très convoité directeur artistique nigérian, Andy Amadi Okoroafor, qui se définit comme « un enfant de Lagos », développe une ligne éditoriale, forcément très visuelle, à l’image de son identité et de ses influences. Celui à qui l’on doit, entre autres, la crétation du logo d’Afrik.com, revient sur la genèse du magazine qu’il décrit comme une « galerie » où il expose son travail et celui d’autres créatifs talentueux pour leur offrir un espace d’expression. Rencontre avec un homme libre.

Afrik.com : Quel est l’esprit de Clam Magazine ?

Andy Amadi Okoroafor : L’esprit de Clam c’est une liberté absolue dans l’expression visuelle. Clam Magazine est basé sur trois choses : l’image, la collaboration avec le monde et l’Afrique. C’est un magazine vivant, de la création.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous décidé de faire un tel magazine ?

Andy Amadi Okoroafor : Parce qu’en France, les gens comme moi n’existent pas. J’aimerai bien appeler le prochain numéro « Mourir en France », (rires), parce que je crois que les Noirs sont morts en France. On ne les voit jamais. J’ai compris assez jeune que l’image a beaucoup de pouvoir. Mon héros absolu reste Olivero Toscani, celui qui faisait les pubs pour Benetton. Il a utilisé l’image pour dire ce qu’il avait à dire. Je voulais faire un magazine pour ne pas être dépendant des gens et pour prouver ma créativité. En tant que directeur artistique je dois montrer mon travail, montrer mes idées. La deuxième chose importante est que je connais beaucoup de créatifs talentueux qui n’avaient pas de débouchés pour pouvoir s’exprimer. J’ai aussi voulu créer ce magazine pour que tout le monde voit ce qu’ils font. C’est pour moi une façon de les aider, d’autant que j’ai une certaine notoriété dans les milieux de la mode, de la photo ou des galeries. Le magazine est comme une galerie où j’expose ce qui me plait.

Afrik.com : Ce genre de magazine n’existe pas vraiment, en France, dans la presse afro. N’est-il pas un peu trop novateur pour le public français ?

Andy Amadi Okoroafor : Je ne crois pas. Je pense que Clam n’est pas différent de magazines comme Egoïste, qui est génial, ou Lui. Ce qui est bizarre c’est que les gens le trouvent trop noir pour me prendre de la pub. Un de mes mentors a emmené Clam dans une grosse agence qui lui a directement répondu : « Il y a trop de Noirs dedans ». Et a contrario les Noirs le trouvent trop blanc. Les Noirs en France sont bizarres. Ils ont un problème d’identité et sont très marqués mentalement. Pour moi Clam c’est pour les gens libres… pour des gens qui n’ont plus à prouver qu’ils sont Africains. Moi je suis un enfant de Lagos. Je suis dans la même lignée que des gens comme Keziah Jones. Nous n’avons pas besoin de revendiquer quoi que ce soit. Nous véhiculons ce que nous sommes. Keziah Jones fait une musique très répandue au Nigeria, mais il la fait de façon moderne. C’est comme Fela et l’Afrobeat : c’est un mélange de tradition, de modernité et d’influence. Clam c’est l’Afrobeat de l’image (rires).

Afrik.com : Peut-on dire de Clam que c’est un magazine afro ?

Andy Amadi Okoroafor : Je suis Africain, c’est ça que je représente. Dans l’édito, c’est écrit Made in Nigeria, ça veut beaucoup dire (rires). Même s’il peut avoir des Blancs suédois dans le magazine, il reste toujours africain.

Afrik.com : Clam est-il le nom d’une revue à part entière ou juste le magazine de l’agence de communication Clam ?

Andy Amadi Okoroafor : Les deux sont séparés et les deux sont pareils. Le numéro 12 s’appelle « Intégrité ». C’est-à-dire qu’il peut y avoir des vases communicants avec l’agence, mais je ne mélange jamais les deux. Ce n’est pas un support de communication pour faire de la pub. C’est plus personnel que ça. Il fait, certes, partie de cette agence qui s’appelle Clam, qui possède un bureau à Paris, un à New York et un chez moi au Nigeria, mais ça s’arrête là. Nous ne gagnons pas d’argent avec.

Afrik.com : Le magazine a une renommée internationale. Dans quel pays est-il le plus populaire ?

Andy Amadi Okoroafor : Il est extrêmement bien reçu au Japon. J’ai même été impressionné de voir qu’il y avait de véritables fans, il y a même eu une exposition sur Clam dans l’équivalent de la Fnac là bas (la plus grande chaîne de magazins culturels en France, ndlr). C’est toutefois aux Etats-Unis que le magazine se vend le plus. On le trouve dans les musées ou les galeries. Je suis vraiment touché parce que les Américains y voient l’Afrique dedans. Quelqu’un m’a dit que c’était pour les Noirs américains « un lien pour voir l’Afrique différemment ». L’autre côté, les Blancs aux Etats-Unis le voient comme un outil multiracial parce qu’il n’y a pas de magazine comme ça.

Afrik.com : Pourquoi avez-vous décidé de vous installer à Paris, alors que c’est aux Etats-Unis qu’il est le plus populaire ?

Andy Amadi Okoroafor : C’est à la fois un choix et une erreur de casting. Je suis venu à Paris pour faire du cinéma parce que j’aimais beaucoup les films de la Nouvelle vague. Je pensais que Godard était Français, mais en fait il est Suisse. Et puis je suis resté en France parce que je préférais le pays à l’Angleterre qui m’avait un temps intéressé.

Afrik.com : Quel regard portez-vous sur le traitement de l’Afrique dans les médias ?

Andy Amadi Okoroafor : Je trouve qu’il y a un manque d’honnêteté général, de la part des Africains eux-mêmes et de la part des gens soit disant amoureux de l’Afrique. Tout est trop nostalgique. Les gens ne s’occupent pas du présent. Je pense que ça arrange tout le monde parce qu’il n’y a pas besoin de poser de questions. Moi ce qui m’intéresse c’est l’Afrique d’aujourd’hui. Quand je suis allé en Ouganda, j’ai vu les gars dans des petites cabanes vendre de la musique à la demande. Tu rentres, tu dis ce tu veux et ils te gravent ça sur CD contre 5 000 schillings. C’est très moderne comme commercialisation de la musique. Ok ce sont des pirates mais il faut reconnaître qu’ils sont à l’avant-garde. Quand je suis revenu j’ai dit « Hé, j’ai vu le futur de la vente de musique ».

Afrik.com : L’Afrique a-t-elle une responsabilité dans la manière dont elle se représente et dont on la voit ?

Andy Amadi Okoroafor : Quand on prend l’Afrique de l’Ouest, surtout l’Afrique francophone, on voit qu’il y a un problème. Même un pays comme le Sénégal n’est pas aussi avancé qu’il devrait être. Il y a quelque chose qui cloche. Le Sénégal c’est très bien, mais pas pour les jeunes sénégalais. Quand tu as 19 ans au Sénégal, tu veux venir à Paris. Pourquoi ? Là-bas ils ne regardent même pas l’actualité de chez eux… Comment en 2005, au Mali, les gens peuvent continuent à regarder l’actualité de France 2 ? Tout ça me choque. Je n’ai jamais vu ça au Nigeria. Parce que nous, nous ne regardons pas l’actualité anglaise. Pour nous, l’Anglais ne nous aime pas, il nous a colonisé (rires). On a nos trucs, même si ce n’est pas bon.

Afrik.com : Vous vouliez faire du cinéma et vous vous retrouvez directeur artistique dans la mode et la musique. Comment en êtes-vous arrivé là ?

Andy Amadi Okoroafor : Mon parcours, je l’ai fait tout seul au Nigeria, je savais exactement ce que je voulais faire. Je voulais faire du cinéma. Alors j’ai fait en sorte de me former. Nous sommes nombreux au Nigeria (le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique, ndlr). Si vous voulez réussir dans ce que vous faites, vous devez être excellent. Si vous voulez par exemple être joueur de football, il faut vraiment que vous soyez bon (rires). Je suis venu finir mes études de cinéma en France. J’ai fait le conservatoire, mais comme je savais que personne n’allait me donner les 7 millions de francs nécessaires pour un long métrage j’ai commencé à travailler dans la mode, j’ai commencé à faire des petits documentaires. J’en ai fait un sur Xuly Bët avec qui je suis devenu ami. En même temps, j’ai travaillé pour Who’s Next qui lançait la mode du street wear en France. Après, je suis devenu directeur artistique pour les défilés. Ils avaient des milliers de modèles parmi lesquels je faisais ma sélection. C’était très intéressant car ça nous a permis d’influencer ce que les gens allaient porter. Les Espagnols m’ont ensuite débauché pour faire la même chose à Barcelone, où je suis resté deux saisons. J’ai par ailleurs fait un détour chez Virgin. J’y suis resté 4 ans en tant que directeur artistique image.

Afrik.com : Vous avez abandonné le cinéma ?

Andy Amadi Okoroafor : Pas du tout. Je travaille actuellement sur un long métrage qui s’appelle Relentless (« Sans répis »). C’est une métaphore sur l’Afrique d’aujourd’hui. C’est l’histoire d’un vétéran nigérian de la guerre de Sierra Léone (parce que le Nigeria avait monté une opération pour aller sauver les gens là-bas dans le cadre de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) qui a vu tout ce qui est horrible dans la guerre. Le film se passe en deux parties : une partie au Sierra Léone et une partie quand il rentre à Lagos, lui, l’orphelin. Le film parle de la solitude dans les grandes villes. Démobilisé, il n’a ni famille, ni repère. Donc il traîne. L’amour est également un des thèmes de Relentless parce qu’il va rencontrer une ex-étudiant d’université à moitié prostituée. Visuellement ce sera inspiré des films asiatiques. Le scénario est fini, le film sera produit par ma boîte, Clam film, au Nigeria et avec Charivari, une société qui fait partie d’Artcam, qui a produit pas mal de films français.

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