Le Prix RFI Musiques du Monde en question


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Rokia Traoré
Rokia Traoré

Les candidatures pour les Prix RFI Musiques du Monde sont ouvertes jusqu’au 1er juillet. Un prix que tout le monde connaît en Afrique. S’il a bien changé depuis ses débuts en 1981, certains estiment qu’il a perdu un peu de son aura. Béla Bowé responsable du Prix RFI Musiques du Monde et des partenariats musique depuis 1995, nous explique l’évolution et la philosophie du concours, aujourd’hui centré sur la promotion des artistes en développement.

Le prix RFI Musiques du Monde a 14 ans. Un prix que l’on dit parfois moins populaire qu’avant. A tort ou à raison ? Béla Bowé, responsable du Prix RFI Musiques du Monde et des partenariats musique depuis 1995, fait le point. Il explique la mutation du concours et répond point par point aux critiques. Il revient sur l’esprit actuel du prix dont les candidatures 2005 sont ouvertes jusqu’au 1er juillet

Afrik.com : Le concours RFI Musiques du Monde a beaucoup évolué depuis ses débuts. Pourriez-vous nous en rappeler les grandes étapes ?

Béla Bowé : Le concours, qui s’appelle aujourd’hui Prix RFI Musiques du Monde, est plus connu en Afrique sous le nom de Découverte RFI. A ses débuts en 1981. C’était un concours radiophonique qui mettait à contribution les radios nationales. Elles se proposaient d’enregistrer les artistes de manière très succincte pour les envoyer à RFI, où il y avait un vote… Il y avait plusieurs prix attribués. Au fur et à mesure, le concours s’est professionnalisé et transformé pour avoir la formule actuelle qui récompense un artiste africain en développement. Il y a des critères bien précis qui sont avoir produit au moins une cassette ou au plus deux CD.

Afrik.com : On a l’impression que le prix est quelque peu en perte de vitesse en Afrique

Béla Bowé : Je ne peux pas répondre de manière formelle. Ce que je peux dire, c’est que le prix a évolué, tout comme RFI, qui est passé il y a dix ans d’un format généraliste à un format d’actualité. Le culturel tient toujours une place importante, mais relativement moins qu’avant. Pour en revenir au prix, lorsque je suis arrivé à RFI il y avait d’autres critères de sélection. Par exemple, les gens pouvaient ne pas avoir commercialisé d’album cassette ou CD. Je suis alors parti du simple constat qu’étant diffuseur, il nous fallait avant tout un support pour pouvoir assurer correctement la promotion de l’artiste. De plus, le marché du disque a énormément évolué. Il nous fallait donc aussi en tenir compte. Par ailleurs, plusieurs prix étaient auparavant décernés, des prix pour les artistes qui résidaient et produisaient sur le continent et des prix pour ceux qui étaient installés en France et en Europe. Ceci explique cela. En 1996 et 1997, nous recevions près de 900 candidatures, contre 200 à 250 ces deux dernières années. Nous avons rationalisé et professionnalisé nos actions, en termes de promotion pour les artistes, de communication, et je pense que nous sommes désormais dans notre cœur de cible, à savoir aider à la promotion des artistes résidant sur le continent africain ou dans les îles de l’Océan Indien ayant commercialisé au moins une cassette ou un CD.

Afrik.com : Certaines personnes vous reprochent de ne plus aider les jeunes artistes.

Béla Bowé : Il faut savoir où l’on se situe. Nous sommes un média et à ce titre nous sommes simplement diffuseur. Nous ne sommes ni producteurs ni tourneurs. Il ne faut pas que les artistes espèrent qu’on produise leur disque et qu’on ait les moyens de les faire tourner. En revanche, nous apportons des choses importantes en terme de promotion. A savoir, en dehors des 6 000 euros de prix, une bourse de 12 500 euros qui sert au tout support. Le service de la production musicale de RFI réalise chaque année un portrait complet du lauréat sous forme de CD qui est envoyé à plus de 500 radios partenaires dans le monde. Il y a également une tournée en Afrique organisée avec l’Afaa (Association française d’actions artistiques, ndlr) pour l’artiste ou le groupe primé. On envisage également de pouvoir réaliser un DVD pour le lauréat en collaboration avec la Sacem (Société des auteurs compositeurs et éditeurs de musique, ndlr). Enfin, il y a un concert dans une capitale africaine et à Paris pour présenter le vainqueur. Le concert parisien donne lieu sur nos antennes à une émission spéciale de Claudy Siar, sans oublier l’ensemble des émissions musicales et culturelles qui se font l’écho du Prix. Et les campagnes de promotion que nous accordons à notre lauréat pour la promotion de son CD et de ses concerts.

Afrik.com : Vous avez plus de dix ans de concours derrière vous. Quelle est votre plus grande fierté ?

Béla Bowé : Je n’ai pas spécialement de fierté. A partir du moment ou les choses sont faites et bien faites, je suis satisfait. Que les artistes réussissent et fassent une grande carrière c’est d’abord pour eux que c’est important, et de facto pour l’image de la radio. Je suis toutefois fier que nous ayons pu contribuer au lancement de carrière d’artistes tel que Rokia Traoré (Mali), ou Tiken Jah Fakoly (Côte d’Ivoire). D’avoir relancé la carrière d’Awadi (Sénégal). Et il y en a plein d’autres. Mon « plus beau souvenir » est tout à fait récent. C’était à Bamako en fin d’année dernière où nous avons eu sur scène pour le spectacle final cinq lauréats du Prix. À savoir Idrissa Soumaoro, le chanteur malien lauréat 2004, Habib Koité (Mali), Rokia Traoré, Tiken Jah, qui a fait la clôture avec en invité Didier Awadi.

Afrik.com : Le choix des lauréats concerne rarement la variété africaine. Pourquoi ?

Béla Bowé : Nous n’allons pas « porter », et cela n’a rien de péjoratif, la variété africaine qui a déjà un gros public en Afrique et dans la diaspora. Ce qui nous intéresse, c’est d’avoir des artistes un peu plus accessibles par tous. Des artistes qui puissent être entendus et appréciés par le public du continent et par le public européen au sens large. C’est-à-dire qu’il va y avoir dans leur musique une ouverture qui apportera une lisibilité plus large. Des artistes comme Rokia et Traoré Tiken Jah ont un public très large et ne sont pas réduits au rang d’artistes à la musique « exotique ».

Afrik.com : Qui compose le jury du prix RFI musique du monde ?

Béla Bowé : Pour prendre le cas du dernier jury, la présidente était Rokia Traoré. Il y avait deux personnes de RFI, dont Claudy Siar. Nos partenaires ont également participé au jury. Il y avait un représentant de la Sacem, un de l’agence intergouvernementale de la Francophonie. Il y avait également Bouziane Daoudi, journaliste à Libération et rédacteur en chef du magazine World. Ce sont tous des gens qui sont dans le secteur musical et qui connaissent les musiques du monde.

Afrik.com : Comment fonctionne le jury ?

Béla Bowé : Il y a une pré-sélection pour déterminer les trois meilleurs artistes. Nous organisons ensuite la finale dans une capitale africaine, ce qui permet au jury de voir les artistes sur scène avant de délibérer pour choisir le lauréat.

Afrik.com : Vous est-il arrivé de passer à côté d’artistes qui ont fait une grande carrière par la suite ?

Béla Bowé : On peut passer à côté de carrières, ça arrive. Il y a eu des finalistes, comme Faudel avant qu’il ait eu le parcours que l’on sait, qui n’ont pas été lauréat. Richard Bona a été deux fois finaliste. C’est presque une « joke » (blague, ndlr). Mais il s’agit d’un concours, donc il faut faire des choix et le jury n’est pas infaillible. Cela prouve aussi que quand il y a du talent il finit par se révéler.

Afrik.com : Y a-t-il une quelconque notion de rentabilité dans le prix RFI ?

Béla Bowé : Ce n’est pas notre créneau. Nous n’avons pas pour vocation de faire du bénéfice, mais de détecter et aider à la promotion. Pour Radio France Internationale, c’est une mission de mécénat culturel. Tous les concerts RFI, en Afrique ou à Paris, sont gratuits. Nous sommes un service public et notre mission est de promouvoir la culture et en particulier les musiques du monde, notamment celles du continent africain.

Afrik.com : Existe-t-il, à votre connaissance, des initiatives similaires au prix RFI dans le monde ?

Béla Bowé : La BBC décerne chaque année les BBC World Awards qui récompensent, je crois, des albums qui sont sortis pendant l’année. C’est un autre processus, et c’est très bien qu’il existe, mais on ne peut pas vraiment comparer. Car il ne concerne pas forcément des artistes en développement, ce qui est la mission première du Prix RFI Musiques du Monde.

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