L’élargissement de l’Europe ne porte pas préjudice à l’Afrique


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Qu’est ce que le Mouvement des entreprises de France (Medef) International ? Quelle est la santé des rapports avec l’Afrique ? Michel Roussin, Président du Comité Afrique de Medef, interrogé par nos confrère d’Afrique Active, nous présente la situation. Egalement Vice-Président du Groupe Bolloré, il répond aux questions quant aux liens, parfois controversés, entre le groupe et le continent. Extraits.

AFRIQUE ACTIVE : Qu’est-ce exactement le Medef International ?

Michel Roussin :
Composé de 51 comités géographiques bilatéraux qu’animent une vingtaine de collaborateurs, le MEDEF International, présidé par François Perigot, a pour objectif de créer, pour les entreprises, un cadre adapté à la promotion d’accords industriels et commerciaux. Pour ce faire, il organise chaque année en France environ 60 rencontres et séminaires avec des chefs d’Etat et de gouvernement et les principaux décideurs publics et privés étrangers. Ces rencontres permettent aux chefs d’entreprise français d’échanger des expériences, de rencontrer des partenaires et d’être informés des données, réglementations et perspectives les plus récentes sur ces pays. Et chaque année aussi, MEDEF International conduit plus d’une vingtaine de délégations d’entrepreneurs français porteurs de projets concrets sur des pays ciblés. Quant à moi, je préside bénévolement le Comité Afrique de MEDEF International depuis dix ans. A titre d’exemple, le Comité Afrique aura organisé cette année cinq rencontres de haut niveau en France (RDC, Madagascar, Nigéria, Mozambique et Namibie) et conduit quatre délégations d’entrepreneurs français sur le Continent (Gabon, Mozambique, Kenya/Tanzanie et Afrique du Sud).

A.A. : Quel rapport entre un mouvement patronal français et l’Afrique ?

M.R.:
Cette question vaut pour l’ensemble du monde et pas uniquement pour l’Afrique. Avec le Continent, comme avec tous les autres pays, MEDEF International a pour objectif, je le répète, d’aider les entreprises françaises à s’implanter à l’étranger et à développer leurs affaires quand elles y sont déjà présentes, grâces aux nombreuses rencontres que nous organisons.

A.A. : Depuis votre arrivée au Medef International, avez-vous l’impression que les relations patronales françaises ont changé avec l’Afrique ?

M.R. :
Elles n’ont pas changé, elles existaient avant mon arrivée. J’ai peut-être donné une impulsion nouvelle. En effet, comme je l’ai relevé, Medef International conduit chaque année entre cinq et sept délégations d’entreprises françaises en Afrique. Ce qui est nouveau, c’est que notre organisation a signé avec les patronats africains (…) des accords portant sur l’échange d’informations, le suivi des dossiers, les négociations avec les bailleurs de fonds, les programmes de formation.

A.A. : Que peut attendre l’Afrique du Medef ?

M.R. :
Le MEDEF International est particulièrement attentif à la relation entre les décideurs africains et français. Dans ce cadre, il aide les organisations patronales africaines qui le souhaitent à se structurer et les fait bénéficier de son expérience. Nous avons ainsi signé de nombreux accords de partenariat avec nos homologues africains. Nous accompagnons et soutenons également nos partenaires africains dans les instances européennes pour les mettre en relation avec les bons interlocuteurs et appuyer leurs démarches auprès des différentes directions.

A.A. : L’Afrique peut-elle être en compétition avec des pays où le coût du travail est moindre, notamment parmi les nombreux nouveaux membres de l’Union européenne ?

M.R. :
L’entrée dans l’Union européenne de dix nouveaux pays au printemps dernier n’empêchera pas la France de poursuivre sa politique de développement, de soutien et d’investissement en Afrique. Néanmoins, quand une entreprise décide de s’installer dans un pays plutôt que dans un autre, il faut y voir là un choix stratégique. Les entreprises, dans le cadre de négociations avec leurs partenaires, retiennent la meilleure offre qui leur est faite. Et ceci est valable partout dans le monde (…) [Mais] les investisseurs français manifestent toujours leur intérêt pour l’Afrique. Je constate chez nos adhérents de Medef International une attention permanente, une recherche d’information sur les opportunités à saisir sur le continent. Soyez aussi assuré que ce n’est pas parce que dix pays nouveaux viennent de rejoindre l’Europe que les entreprises françaises vont se désintéresser de l’Afrique.

A.A. : Quel est le principal atout du continent noir dans cet univers élargi ?

M.R. :
Sa capacité d’adaptation. On assiste à une relève de génération dans la classe politique mais aussi dans le domaine des affaires. Dans un monde qui s’organise – je pense à la mondialisation, à l’OMC – c’est un véritable atout. Il y a une réelle prise de conscience des décideurs.

A.A. : L’impossibilité africaine à aller vite quand les autres galopent n’est-elle pas non plus un gros handicap ?

M.R. :
Je vous rappellerai seulement la Fable de La Fontaine et sa morale : « …. il faut partir à point ». Le rythme de l’Afrique n’est pas un handicap. Les obstacles sont ailleurs. Il faut un climat favorable au développement des affaires, des Etats responsables, capables de séduire les investisseurs, une justice équitable, une fiscalité intelligente. Tout cela, les responsables politiques et économiques le savent parfaitement. Après, il faut avoir le courage de prendre et d’appliquer certaines mesures utiles.

A.A. : Les entrepreneurs français ne seraient-ils pas devenus en Afrique des investisseurs prétentieux sur le déclin plutôt que des investisseurs ambitieux en expansion ?

M.R. :
Non, les investisseurs français ne sont ni prétentieux, ni sur le déclin ! Nous ne notons pas de désintérêt pour l’Afrique. Bien au contraire. Pour preuve, chacune des rencontres que nous organisons à Paris rassemble en moyenne cent cinquante décideurs français. Et lorsque je conduis une délégation en Afrique, je suis accompagné à chaque fois d’une cinquante de représentants d’entreprises françaises. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes !

(…)

A.A. : Au cours de votre récente visite gabonaise pour le Medef, vous avez rencontré les responsables locaux du groupe Bolloré. Est-il facile de concilier vos vice-présidences Bolloré et Medef International ?

M.R. :
Il est facile de concilier différentes activités dans le cadre de responsabilités qui vous sont confiées. Il suffit de bien maîtriser l’organisation de son emploi du temps. Vous avez oublié dans votre énumération mes fonctions au Conseil Economique et Social qui me conduisent aussi à rencontrer mes collègues africains qui ont dans leur pays une action identique au sein de leur Conseil Economique et Social. Je vous rassure, c’est toujours avec le même fil conducteur que j’assume ces responsabilités pour une coopération accrue et efficace avec nos partenaires africains.

A.A. : Les détracteurs du groupe Bolloré disent que vous cherchez à avoir la main mise sur tous les biens rentables en Afrique. Que leur répondez-vous ?

M.R. :
Je réponds par exemple qu’en Côte d’Ivoire nous employons plus de 3 000 salariés ivoiriens pour 123 expatriés. Nous sommes une entreprise véritablement ivoirienne, nous sommes un partenaire économique fiable et un excellent contribuable. Et l’exemple que je cite se décline sur l’ensemble du continent.

A.A. : Quelle est exactement la stratégie du groupe Bolloré dans ce continent ?

M.R. :
L’Afrique est souvent considérée sans réelles perspectives de développement. Chez Bolloré, nous sommes convaincus du contraire. C’est la conviction sans cesse affirmée de Vincent Bolloré. Nous investissons, nous développons nos activités en Afrique de l’Est comme de l’Ouest, avec nos partenaires africains. Nous sommes le partenaire des bons et des mauvais jours, convaincus que la pérennité de cette relation permet une activité rentable pour les économies africaines et pour le groupe.

A.A. : Avec le Medef ou Bolloré, quelles grosses actions avez-vous prévues dans un avenir proche en Afrique ?

M.R. :
En 2003 comme en 2004, le Comité Afrique de MEDEF International a organisé une dizaine de manifestations (rencontres en France et délégations d’entrepreneurs sur le Continent africain). En 2005, nous allons poursuivre nos actions sur le même rythme. D’ores et déjà, trois délégations d’entrepreneurs français sont prévues en République Démocratique du Congo, en Ethiopie et à Djibouti. (…) Pour ce qui concerne Bolloré, je vous ai déjà indiqué que nous maintenons notre niveau d’activité. Nous sommes un groupe qui est présent dans 43 pays africains. Plus de la moitié de nos investissements est consacré à l’Afrique.

(…)

Entretien réalisé par le Rédacteur en chef d’Afrique Active, Olivier ENOGO.

Qui est Michel Roussin ?
roussin.jpgL’ordre, le secret et la récolte d’informations, Michel Roussin est tombé dedans dès sa naissance, le 3 mai 1939 à Rabat, au Maroc. Ancien officier de gendarmerie, ce lieutenant-colonel se définit comme un homme d’action distant de la technocratie, farouche partisan du concret et de l’opérationnel. Docteur ès lettres, diplômé de l’école nationale des langues orientales, il fait ses classes avec le futur général Christian Quesnot avant d’endosser l’uniforme.
Là, il est notamment, à partir de 1969, chargé des relations avec la presse à la Direction de la gendarmerie et de la Justice militaire, au ministère des Armées. Après trois années de service, il est nommé Commandant militaire de l’Hôtel Matignon (1972 – 1976), où il fera la connaissance d’un certain Jacques Chirac. S’en suit un détachement en qualité de Sous-Préfet à la direction du cabinet du Préfet d’Indre-et-Loire, puis, du Premier-ministre Jacques Chirac (1976). Homme d’actions et de terrain, Michel Roussin se voit proposer un poste similaire au SDECE, les services secrets français (1977 – 1981). Par la suite, il devient chargé de mission auprès du président de la Compagnie générale des eaux (1981), avant de rejoindre l’actuel chef de l’Etat français, Jacques Chirac, alors Maire de Paris, comme administrateur de commune. Directeur de cabinet de Chirac, premier magistrat de la capitale (1983 – 1986), puis de Chirac, chef du gouvernement (1986 – 1988), à nouveau de Chirac à l’Hôtel de Ville (1989 – 1993), Michel Roussin restera à l’ombre de celui-ci avant de se convertir au Balladurisme.
Dans la foulée, il est élu député de Paris, mais renonce à son mandat pour entrer dans le gouvernement. Ministre de la Coopération d’Edouard Balladur (1993 – 1994), il est contraint de démissionner après sa mise en examen dans l’affaire des HLM de Paris, une démarche judiciaire soldée par un non-lieu en sa faveur (1995). La Coopération. Ce poste d’observation stratégique de la présence française en Afrique, lui permet de rebondir au sein du groupe Bolloré. Auparavant, Michel Roussin aura fait un détour aux présidences de SAE International, filiale du groupe de BTP Eiffage et du Comité Afrique-Caraïbe-Pacifique de Medef International. Il a été nommé en mai 2004 Conseiller d’Etat en service extraordinaire.
Olivier ENOGO.
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