L’Onu, le Nepad et l’Afrique


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Ibrahim Agboola Gambari

Quelle est la position des Nations Unies face au Nepad ? Telle est la question qu’Afrik.com a posé à Ibrahim Agboola Gambari, sous-Secrétaire général des Nations Unies et conseiller spécial sur l’Afrique. Plus largement, l’officiel nigérian revient sur le rôle de l’Onu en Afrique et établit un bilan, entre victoires et frustrations, de ses différentes missions.

Le Nepad vu par les Nations Unies. Le sous-Secrétaire adjoint de l’Onu, Ibrahim Agboola Gambari, s’est prêté avec Afrik.com au jeu des questions-réponses pour nous confier son sentiment sur le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique. Par rapport aux différentes priorités dégagées, au fait qu’il reste largement, pour beaucoup, une initiative abstraite et sur le manque de communication au niveau de la société civile. Le fonctionnaire international nigérian, également conseiller spécial sur l’Afrique des Nations Unies, revient sur les missions et le bilan de l’organisation sur le Continent.

Afrik.com : Que pensez-vous du Nepad ?

Ibrahim Agboola Gambari :
La meilleure façon de comprendre le Nepad est de regarder toutes les initiatives qui ont été lancées avant pour un développement global du Continent. Il y a eu le Programme prioritaire de l’Afrique pour le redressement économique (1986-1990, ndlr), le Nouvel agenda des Nations Unies pour le développement de l’Afrique (années 90, ndlr) et l’Initiative spéciale des Nations Unies sur l’Afrique (1996, ndlr). Aucun d’eux n’a marché. Parce qu’ils n’appartenaient pas à l’Afrique. Le Continent n’avait pas directement pris part à l’élaboration des différentes initiatives. Cette fois-ci c’est lui qui est à l’origine du Nepad. Le Nepad est pour les Africains et fait par les Africains. Ils en ont, eux-mêmes, défini toutes les priorités. C’est la première fois qu’il est établi un lien entre la paix et le développement. Car, jusque-là, les différents plans se concentraient uniquement sur l’un des deux aspects alors qu’ils sont intimement liés.

Afrik.com : Au-delà de la simple initiative, quels sont les éléments que vous trouvez particulièrement pertinents dans le Nepad ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Le mécanisme de Revue par les pairs me semble très important. Le principe est que chacun apprécie les performances de l’autre sur le plan politique, économique et institutionnel.

Afrik.com : Mais pensez-vous que le mécanisme de Revue par les pairs puisse être fiable étant donné que les pays sont à la fois juge et partie ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Il ne faut pas oublier que c’est un mécanisme volontaire. Il ne s’agit pas de punir, mais d’assister et d’encourager les bonnes pratiques. Au-delà de cela, de bonnes notes susciteront l’appui et le soutien des bailleurs internationaux.

Afrik.com : Ne pensez-vous pas qu’il soit paradoxal de confier la bonne gouvernance, l’une des dix priorités du Nepad, au Nigeria, où tous les observateurs internationaux ont reconnu qu’il y a eu des fraudes massives pour les dernières élections présidentielles ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Pour commencer, il faut rappeler que la Bonne gouvernance n’est pas dirigée par le Nigeria. Il est juste l’un 24 pays qui a rejoint le mécanisme africain de Revue par les pairs, promouvant la bonne gouvernance. Le Nigeria est actuellement président à la fois du Forum de la revue africaine par les pairs et du Comité d’action des chefs d’Etat et de gouvernement du Nepad. Il y a indéniablement de lourdes responsabilités qui ajoutent une pression supplémentaire sur le Nigeria pour qu’il en fasse plus, afin de régler ses propres problèmes de corruption. A cet égard, un programme de réformes économiques du Président Obasanjo aidera à régler les accusations de corruption. Mais les efforts gouvernementaux dans ce secteur ont besoin d’être associés à un sérieux programme de réformes politiques, visant à promouvoir une plus grande transparence de la part des élus des pouvoirs publics.

Afrik.com : Comment les Nations Unies travaillent-elles avec le Nepad ?

Ibrahim Agboola Gambari :
En 2002, les Nations Unies ont reconnu à l’assemblée générale que le Nepad était le cadre de travail pour que la communauté internationale soutienne le développement de l’Afrique. L’année dernière, les Nations Unies ont créé un nouveau bureau de conseiller spécial sur l’Afrique, que je préside, doté de trois mandats. Etre un point focal pour le quartier général du Nepad, une source de recommendations générales et un organe de coordination des systèmes d’aide des Nations Unies pour le Nepad.

Afrik.com : Depuis que le Nepad a été lancé, voici un peu plus de trois ans, l’initiative semble toujours aussi peu concrète. Ne pensez-vous pas que le Nepad n’est en fait qu’une coquille vide ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Beaucoup de personnes critiquent le fait que les choses aillent lentement. Il ne faut pas oublier que le Nepad est plus qu’un projet : c’est un cadre de travail. C’est un cadre de travail qui doit impliquer la société civile et le secteur privé. Le Nepad ne peut pas être fumeux puisqu’il fait partie intégrante de l’Union africaine, où il a été intégré l’année dernière en tant que tel et doit directement faire partie des institutions de l’organe panafricain d’ici trois ans. Je pense toutefois qu’il faudrait faire plus par rapport aux priorités du Nepad pour qu’il soit plus directement palpable. Les gouvernements ont promis de consacrer 10% de leur budget annuel pour l’agriculture. C’est un bon début, mais il serait tout aussi pertinent de faire la même chose avec l’éducation.

Afrik.com : La société civile ne semble pas s’être approprié le Nepad. Ne pensez-vous pas qu’il reste aujourd’hui cantonné aux seuls cercles de discussions politiques?

Ibrahim Agboola Gambari :
Il est clair que cette relation, bien qu’encore largement sous-développée, est essentielle. Le secrétariat du Nepad ainsi que ses principaux promoteurs et artisans reconnaissent ce fossé et sont en train de prendre les mesures nécessaires pour y remédier. Le rôle de la société civile et du secteur privé est fondamental pour le succès et l’exécution de ces programmes prioritaires. Le Nepad a également besoin de fortes recommandations et d’une bonne stratégie de communication pour approfondir la connaissance et le soutien de ses programmes.

Afrik.com : Quels sont les principaux axes de travail des Nations Unies en Afrique ?

Ibrahim Agboola Gambari :
La paix et la sécurité. A côté de la Monuc[[<*>Mission des Nations Unies en République démocratique du Congo.]] en République démocratique du Congo, de la Sierra Leone et du Sahara occidental, il y a quatre nouvelles forces de casques bleus en Afrique : au Liberia – qui mobilise la plus forte concentration de soldats de la paix jamais déployée avec 15 000 hommes – en Côte d’Ivoire, au Burundi et au Soudan. Plus de la moitié du budget dégagé pour les casques bleus est consacré à nos activités en Afrique. Nous faisons également beaucoup pour que l’Afrique se dote de sa propre force d’interposition et de maintien de la paix.

Afrik.com : Et à côté des actions pour la paix et la sécurité ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Il y a également la santé. Les Nations Unies ont impulsé le Fonds global pour le sida, la malaria, la tuberculose et les autres maladies infectieuses, qui est un fonds indépendant.

Afrik.com : Quelle est l’influence des Nations Unies en matière de développement économique et social ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Ce sont des secteurs où les Nations Unis n’ont pas autant de poids que dans les autres précédemment cités. Simplement parce que cela relève plus des institutions financières internationales, comme la Banque Mondiale ou le Fonds monétaire international.

Afrik.com : Quelles sont pour vous les plus grandes victoires des Nations Unies en Afrique?

Ibrahim Agboola Gambari :
En dépit de la crise du Darfour (Ouest du Soudan, ndlr) et de celle en République démocratique du Congo, il y a en fait de moins en moins de conflits en Afrique. L’Angola a tourné la page, tout comme la Sierra Leone et le Liberia. Il y a des signes encourageants pour le Burundi.

Afrik.com : Quelles sont vos plus grandes frustrations par rapport au Continent ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Sur le plan économique et social, l’Afrique est toujours parmi les derniers. Sur les 40 pays les plus pauvres de la planète, 34 sont africains. Il n’y a pas eu beaucoup de progrès à ce niveau-là. A ce rythme, nous n’atteindrons jamais l’objectif de diminuer de moitié la pauvreté (les personnes qui vivent avec moins d’un dollar par jour, ndlr) d’ici 2015, dans le cadre des objectifs de développement du millénaire des Nations Unies. Il est à noter que l’aide publique au développement s’élève à 23 milliards de dollars pour l’Afrique, alors que le paiement de la dette avoisine les 22 milliards. Les pays du Nord donnent d’une main ce qu’ils reprennent de l’autre. Il y a ici un problème de cohérence en matière d’aide, de dette et de commerce, comme en témoigne notamment le problème des subventions agricoles des Etats-Unis et de l’Europe, qui prennent l’Afrique à la gorge. L’autre grande frustration est liée au virus du sida qui fait malheureusement des coupes sombres dans les populations. Surtout en Afrique australe. La maladie n’est plus une question de santé mais un problème de développement, de paix et de sécurité. Et il est vrai que, là encore, il n’y a eu beaucoup de progrès dans la lutte contre la pandémie.

Afrik.com : Le conflit en République démocratique du Congo est le deuxième conflit le plus meurtrier de la planète après la seconde Guerre Mondiale. Qu’elle est exactement le rôle des casques bleus dans la région ?

Ibrahim Agboola Gambari :
La Mission des Nations Unies pour le Congo (Monuc) est la deuxième plus importante force d’interposition après le Liberia. Elle encourage la stabilisation de la situation dans la région. Elle assiste le gouvernement de transition, notamment en vue des prochaines élections prévues en 2005. La principale menace pour la paix réside dans les ex-Forces armées rwandais (ex-Far) et les Interahamwe (ex-soldats hutus rwandais) réfugiés sur le territoire congolais. Le Rwanda considère qu’ils constituent une menace pour le pays. Il a donc envoyé des troupes pour garantir sa sécurité. Mais l’action combinée de la Monuc et des dirigeants africains participent grandement à réduire la menace.

Afrik.com : Pensez-vous que les Nations Unies auraient pu mieux gérer la situation seule, sans les soldats français de l’opération Licorne, en Côte d’Ivoire ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Le problème fondamental n’est pas la présence de troupes françaises, mais dans les hésitations dans l’application des Accords de Marcoussis et la question de l’ivoirité. Il est compliqué d’évaluer l’impact de la présence de soldats français dans cette ancienne colonie. Mais d’une manière générale les Nations Unies minimisent les diverses influences qu’il peut y avoir dans le conflit grâce à sa neutralité.

Afrik.com : Que pensez-vous du mandat de Kofi Annan en tant que secrétaire général des Nations Unies ?

Ibrahim Agboola Gambari :
Je fais partie de son équipe, j’ai donc un devoir naturel de réserve. J’espère seulement qu’on lui permettra de terminer son mandat qu’il a effectué dans des conditions très difficiles.

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 Visitez le site d’Afrique Renouveau, parution du département de l’information des Nations Unies

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