Sénégal : le petit business des démarcheurs de passagers


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En Afrique, des milliers d’hommes sont devenus démarcheurs de passagers pour survivre à la précarité de l’emploi. Cette activité informelle consiste à rechercher une clientèle pour les transporteurs, qui remettront aux rabatteurs une commission pour le service rendu. Ce métier, rendu moins rentable à cause de la concurrence, cause la colère de certains clients, qui se plaignent notamment des comportements agressifs. Exemple au Sénégal.

De notre correspondant Mamadou Mbengue

Gagner son pain quotidien en démarchant les futurs candidats au voyage. C’est l’issue qu’ont trouvé des milliers d’hommes sur le continent africain pour ne pas subir les conséquences du chômage urbain et assurer les besoins familiaux. Les démarcheurs de passagers ont pour mission de rabattre des clients pour des transporteurs, qui en contre partie leur remettront une commission. Au Sénégal, les acteurs de la filière estiment que ce métier est moins rentable qu’avant à cause de la concurrence. D’autres se satisfont de la liberté qu’il offre. Côté clients, beaucoup de gens fustigent cette profession se plaignant de l’attitude agressive de certains rabatteurs.

Mélanga et coxeurs

Alors que des Sénégalais en mal de travail sont devenus transporteurs, d’autres ont simplement préféré s’insérer dans le secteur en devenant des interlocuteurs privilégiés entre les chauffeurs de transport en commun et les passagers. Il existe deux types de démarcheurs de voyageurs. Dans les grandes gares routières, on trouve une organisation plus ancienne et plus structurée. A la gare routière « pompier » (surnommée ainsi parce que située à côté d’une caserne), ils couvrent toutes les lignes et sont originaires de toutes les provinces du pays. Plus généralement, chaque ville ou région du pays est dotée de ses propres démarcheurs appelés « mélanga ».

Il existe dans la capitale un autre type de démarche de clients, beaucoup plus poussé et très désorganisé. Sur toutes les grandes artères de la ville, à chaque arrêt de car, on observe des jeunes qui revendiquent être les principaux acteurs du secteur. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir les coxeurs, comme on les appelle à Dakar, aborder les futurs passagers aux arrêts de cars de transport en commun.

La course aux clients

La stratégie de ces fins négociateurs consiste à convaincre tout passager d’embarquer dans un véhicule de transport en commun stationné au bord de la route. Dès qu’on arrive aux abords des arrêts cars rapides, on est envahi par deux ou trois personnes qui vous forcent même à monter dans tel ou tel transport. Il peut aussi arriver que l’on vous arrache les bagages à main pour vous conduire mani-militari à l’intérieur d’un car.

Ils deviennent, de fait, les derniers recours et les intermédiaires incontournables pour charger à plein les voitures des chauffeurs, qui se mènent une rude concurrence pour trouver des passagers. Dès que le car est rempli, l’apprenti du véhicule, jouant le rôle du percepteur de la taxe passagère, remet directement une commission allant de 100 à 200 FCFA à son démarcheur. « Chaque car que nous chargeons à plein passe à la caisse en versant 200 à 300 FCFA. Nous réunissons toutes nos commissions journalières avant de les partager à la descente », explique de son côté Modou, un coxeur.

Créneau moins lucratif qu’avant

Certains démarcheurs que nous avons rencontrés dans la capitale semblent satisfaits de leur situation, même s’ils pensent que le métier n’est plus ce qu’il était. Ils pensent que la rentabilité de l’affaire est plus réduite par l’arrivée, tous les jours, de nouveaux candidats au démarchage. « On n’arrive plus à gagner de 6 000 à 8 000 FCFA par jour comme auparavant. Maintenant, on ne se contente plus que de 3 000 à 4 000 FCFA », commente Fallou, un jeune collègue de Modou établi à l’avenue Bourguiba dans le quartier Castors. Il explique qu’on ne peut pas gagner dignement sa vie avec cette activité, excepté à l’occasion de certaines fêtes, où le revenu peut atteindre 5 000 FCFA dans une journée.

Pour Modou, qui hèle les clients cigarette à la main, son travail est le meilleur au monde. « Notre job est magnifique. Ici, on travaille comme on veut. Il n’y a aucune pression sur nos dos, ni aucune commande. On descend aussi quand on le désire. On ramène au moins 3 000 FCFA par jour à la maison », explique-t-il. Et d’ajouter que la force des démarcheurs réside dans leur union et leur solidarité, qui découragerait les transporteurs qui voudraient se jouer d’eux. « Aucun chauffeur n’ose nous offenser car nous pouvons leur imposer des sanctions : tout chauffeur qui refuse de collaborer avec nous est mis sous embargo car nous empêchons les clients de monter dans leur véhicule », poursuit-il.

Une activité très critiquée par les passagers

La face cachée du métier est de plus en plus décriée parmi les passagers. Disputes, agressions, drogues et harcèlements quotidiens leur ont rendu le secteur intolérable. Ils estiment en outre qu’avec l’ampleur du phénomène des démarcheurs, des délinquants se sont greffés au système et en profitent pour être agressifs aux heures tardives.

Certains se demandent même s’il ne faut pas purement et simplement interdire la pratique. « Je ne vois pas l’intérêt des démarcheurs entre les chauffeurs et les passagers. Ce phénomène est très irritant pour moi. On a souvent affaire à des ivrognes, des drogués, des délinquants de tout bord avec un langage très irrespectueux. Il arrive fréquemment qu’ils t’arrachent ton porte-monnaie, te verbalisent ou te fassent embarquer de force dans un véhicule de transport », raconte Malick, un passager rencontré à l’arrêt de cars du stade Iba Mar Diop. Et d’ajouter : « Je n’oublierai jamais le jour où j’ai été agressé, vers une heure du matin à Guediawaye (banlieue dakaroise, ndlr), par deux d’entre eux qui étaient en état d’ivresse. Ils ont réussi à prendre la fuite avec mon porte-monnaie. Je pense que ce métier est dû simplement à la paresse mais surtout à la quête d’argent facile. »

Pour ou contre les démarcheurs ? Le débat reste entier, car certaines personnes pensent qu’il est beaucoup plus humain de les laisser à la débrouille au risque de voir augmenter le banditisme dans le pays.

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