La peine de mort gagne du terrain au Tchad


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La peine de mort n’est pas une solution pour dissuader les criminels. Pire, elle est au Tchad une sanction pour les pauvres et une arme pour se débarrasser de certains prisonniers politiques. Présent au deuxième Congrès mondial contre la peine de mort, qui s’est achevé samedi à Montréal, le vice-président de la Ligue tchadienne des droits de l’Homme, fait le point sur la question dans son pays. Jean-Bernard Padaré estime que l’on peut forcer les gouvernements africains à abolir.

De notre envoyée spéciale à Montréal

Le 30 juillet dernier, la cour criminelle de N’Djamena, au Tchad, condamnait 19 personnes à la peine capitale. A la base, 24 personnes avaient été jugées lors d’un procès expéditif de trois jours (!), accusées d’être les auteurs d’un massacre ayant eu lieu à Maïbogo, dans le Sud du pays, le 21 mars 2004. Un peu plus tôt, les 6 et 9 novembre 2003, les autorités tchadiennes faisaient procéder, pour la première fois depuis 1991, à l’exécution de 9 personnes reconnues coupables de meurtres ou d’assassinats. Ce retour en force de condamnations à la peine de mort et d’exécutions est très inquiétant et révèle un durcissement du régime du Président Idriss Déby, alors que le Tchad a appliqué pendant plus de dix ans un moratoire de fait de l’exécution capitale. La Ligue tchadienne des droits de l’Homme, qui existe depuis 1991 et fait partie de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), se bat sur le terrain pour l’abolition. Elle est représentée à Montréal, pour le deuxième Congrès mondial contre la peine de mort (9-6 octobre), par son vice-président, l’avocat Jean-Bernard Padaré.

Afrik.com : Pourquoi combattez-vous la peine de mort dans votre pays ?

Jean-Bernard Padaré :
En tant qu’avocat et militant des droits de l’Homme, c’est une évidence de se battre contre la peine capitale. Le Tchad est un pays instable et la peine de mort peut être utilisée pour éliminer certains prisonniers politiques. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec l’affaire « Adouma », qui a mené neuf personnes à la mort en novembre 2003. Je ne suis pas le seul à penser que la peine de mort n’est pas la solution au problème de la criminalité. Le Tchad est un pays très pauvre et on peut y exécuter autant de criminels que l’on veut, si l’on ne traite pas le problème à la racine, ça ne sert à rien. Il faut un traitement social aux différents crimes.

Afrik.com : Quels sont les arguments du gouvernement pour maintenir et utiliser la peine capitale ?

Jean-Bernard Padaré :
Le gouvernement ne veut pas l’abolir pour des raisons de sécurité. Il veut donner des exemples pour dissuader les criminels potentiels. Mais ce n’est absolument pas dissuasif. La preuve, après les condamnations de juillet dernier, on a tué deux agents du Trésor public en pleine rue pour leur voler l’argent des fonctionnaires… De plus, les condamnations, au Tchad, se font à la tête du détenu. Les criminels proches du régime ne sont jamais inquiétés. Alors que les pauvres quidams qui ne peuvent se payer un bon avocat sont sûrs d’être condamnés à mort.

Afrik.com : Vous étiez avocat dans l’affaire du massacre de Maïbogo…

Jean-Bernard Padaré :
Je faisais partie des avocats de la partie civile. Avec mes confrères, nous étions dans une situation totalement paradoxale : nous ne demandions pas la peine de mort alors que les parties civiles souhaitaient que l’on applique la peine capitale… Dix-neuf personnes ont été condamnées alors qu’elles sont totalement innocentes. Un seul parmi eux est coupable et il a reconnu son crime. Cet homme a avoué avoir voulu venger la mort de son frère et s’en est pris aux villageois qu’il suspectait être responsables. Il est donc parti dans le village avec une arme et a massacré 21 paysans. Dix autres ont été blessés. Il a été secondé dans cette terrible tuerie par une autre personne, qui a aussi été condamnée à mort. Mais les autres condamnés sont des voisins venus lui présenter leurs condoléances pour la mort de son frère… Lorsque la police est venue le cueillir, elle a embarqué tout le monde ! La plupart de ces gens ne parlent même pas français, il n’y a aucune preuve contre eux et les autorités ont fourni de fausses déclarations. L’un deux a 101 ans et ne tient même pas sur ses jambes. C’est horrible.

Afrik.com : Que pensez-vous de la tenue de ce deuxième Congrès mondial ?

Jean-Bernard Padaré :
Cette réunion a une importance capitale et j’aimerais vraiment que l’on oublie pas l’Afrique. On parle beaucoup des Etats-Unis et de la Chine, mais regardez le Tchad : ce sont des condamnations et des exécutions de masse ! Et même si certains pays n’exécutent pas, les condamnations pleuvent… J’aimerais donc que ce Congrès prenne des résolutions précises pour mettre la pression sur les pays africains. L’Afrique est un continent qui peut abolir si on force les gouvernements à le faire. Au Tchad, tous les juges sont contre la peine de mort mais l’appliquent pour respecter les textes de loi. Si la peine capitale est abolie, je peux vous dire qu’ils seront soulagés.

Afrik.com : La peine de mort fait-elle l’objet d’un débat au sein de la société tchadienne ?

Jean-Bernard Padaré :
Pour la Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre, la FIDH va envoyer une délégation au Tchad pour débattre du sujet. Mais il faut savoir que la population tchadienne est majoritairement pour la peine capitale, à cause de l’état de nos prisons. Pour elle, une condamnation à la prison à la perpétuité revient à un acquittement car les lieux de détention du pays sont des vraies passoires !

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