La dépigmentation : une affaire d’Etat aussi


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Femme noire
Le visage d'une femme noire

Sophie Coniquet est la première dermatologue autochtone à exercer au Gabon. Afrik a rencontré cette pionnière au service de la peau et a fait avec elle un rapide état des lieux du fléau qu’est la dépigmentation à visée cosmétique dans son pays. Un fléau que les autorités devraient prendre plus au sérieux.

Sophie ConiquetLe Gabon dispose de onze dermatologues : dix à Libreville et un à Port Gentil, la deuxième grande ville du Gabon. Parmi eux : Sophie Coniquet qui sera, pendant quatre ans, la seule gabonaise, outre les expatriés, à exercer dans le pays. Après huit ans de médecine au Gabon, puis quatre ans de spécialisation en France et une année d’expérience professionnelle, à l’Hôpital Saint Louis de Paris, le médecin revient chez elle en 1993. Sophie Coniquet est la dynamique mère de trois enfants. Elle exerce au Centre hospitalier de Libreville et dans un cabinet de la place.

Afrik : L’utilisation des produits dépigmentants à visée cosmétique est-elle une pratique courante chez les Gabonaises ?

Sophie Coniquet : C’est le cas chez beaucoup de femmes de la province du Haut Ogooué, une région limitrophe du Congo. La pratique s’est certainement répandue à partir de là et s’est généralisée dans tout le pays. Le brassage des populations a aussi favorisé la diffusion de cette mauvaise habitude. Il n’y a pas que le Gabon qui soit concerné, la dépigmentation est un fléau que connaît toute l’Afrique.

Afrik : Avec quoi se dépigmentent-elles ?

Sophie Coniquet : Les produits utilisés sont à base de corticoïdes, de dérivés mercuriels (à base de mercure, ndlr) et d’hydroquinone. Il faut savoir que seul un dermatologue est habilité à ordonner la préparation d’un produit dans lequel le taux d’hydroquinone excède 2%. Un critère auquel répondent la plupart des crèmes que les femmes se procurent sur le marché et qui sont disponibles dans toutes les grandes métropoles africaines. Les crèmes à base de corticoïdes ont un niveau d’activité important (classe I) et leur composition n’est pas très claire. Ces produits portent les noms de Sivoclair, savon Tura, Movate crème…

Afrik : Les femmes n’avouent jamais d’emblée qu’elles se dépigmentent. Comment les reconnaissez-vous ?

Sophie Coniquet : Dans la plupart des cas, elles présentent des dermatoses infectieuses comme le pityriasis versicolor (date, ndlr)…Elles sont sujettes à des gales profuses qui occasionnent beaucoup de démangeaisons. Ces patientes ont également de nombreuses infections bactériennes et virales. Les crèmes corticoïdes entraînent un amincissement de la peau qui occasionne des problèmes de cicatrisation. Le réseau vasculaire devient de plus en plus apparent. On constate également une hyperpilosité, on retrouve ainsi des duvets à des endroits inhabituels du corps. De larges vergetures sont aussi visibles. Les produits à base de corticoïde provoquent en général des lésions acnéiques de type rétentionnel (points noirs et points blancs) partout sur la peau du sujet. Les produits à base d’hydroquinone, quant à eux, sont à l’origine de troubles pigmentaires. Il y a persistance de la couleur foncée au niveau des jointures et apparition de lésions. Plus grave encore, ces produits peuvent provoquer le diabète.

Afrik : Pensez-vous que les Etats, plus particulièrement l’Etat gabonais, ont un rôle à jouer dans la lutte contre ce phénomène ?

Sophie Coniquet : Absolument ! Ils devraient intervenir au niveau des administrations douanières afin de limiter l’entrée de ces produits au Gabon. L’Etat devrait également mener une action auprès des commerçantes qui vendent ces crèmes afin qu’elles ne soient plus autorisées à le faire.

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