Bled’ici ou bien d’ailleurs


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Aït Benhaddou, à 20 km de Ouarzazate au Maroc
Aït Benhaddou, à 20 km de Ouarzazate au Maroc

D’origine africaine, ils vivent et ont grandi en France. Quelle image les enfants issus de l’immigration gardent-t-ils du continent ? Face aux clichés et aux stéréotypes véhiculés par les médias occidentaux, ils ont dû se construire leur propre identité culturelle et entretiennent « du pays » chacun leur propre image. Afrik leur a donné la parole.

Je vis ici mais je viens de là bas (Cf Slogan emprunté au [Club Africagora). Africains par procuration, les enfants de l’immigration, ne connaissent bien souvent leur pays d’origine que par le prisme déformant des médias, l’éducation parentale et les quelques voyages au « bled » qu’ils ont pu faire pendant leur jeunesse. Comment se considèrent-ils aujourd’hui ? Quelle est leur vision de l’Afrique ? Peut-on véritablement parler de double culture ? Si beaucoup développent une solide conscience africaine, chacun se concocte sa propre cuisine identitaire. Témoignages.

Awa, 25 ans, d’origine burkinabé

L’image que j’ai de l’Afrique est celle qui est véhiculée par les médias. Une image souvent négative faite de guerres et de pauvreté. Ce sont certes là des réalités qu’il ne faut pas occulter mais je reste consciente qu’il s’agit d’une vision tout à fait partielle du continent. A vrai dire, je me sens très peu Africaine et c’est quelque chose que je regrette. Je ne parle même pas ma langue maternelle, le moré. Quand je retourne au Burkina, là bas, pour eux je suis une Française et ils ont raison de me considérer comme ça. Je me sens coupée de mes racines. Aujourd’hui j’essaie de combler mes lacunes car je trouve qu’il est important, pour développer sa propre identité, de connaître ses origines.

L’Afrique en trois mots : Pauvreté, hospitalité, coup de cœur

Florence, 24 ans. Cameroun. Arrivée en France à 6 ans

Quand j’étais jeune, l’Afrique n’était pour moi que ce qu’on en montrait à la télévision. Je me fiais aux médias. Pauvreté, guerres et corruption : un continent qui va mal. Mais au fur et à mesure, j’ai commencé à me poser les vraies questions, car l’Afrique ne pouvait décemment se résumer à cela. Alors j’ai lu. Je me suis plongée dans l’histoire du continent. J’ai compris beaucoup de choses et j’ai découvert une richesse culturelle que je ne soupçonnais pas. L’Afrique a eu de grandes civilisations, de grands empires qui ont beaucoup influencé l’Occident. Alors qu’ici (en France, ndlr) on nous fait croire que les Africains ne savent que chanter, danser ou faire du sport. Quand on connaît l’histoire du continent, on est fière d’être africain. Je comprends ma langue maternelle, l’ewondo, mais j’ai des difficultés à la parler, même si aujourd’hui je fais des efforts. Je me considère comme une Africaine de France venant du Cameroun. 30% française, 50% africaine et 20% camerounaise.

L’Afrique en trois mots : Ambiance, persévérance et conflit

Abdoulaye, 34 ans d’origine sénégalaise

Je suis né en France mais je suis retourné vivre au Sénégal entre 12 et 18 ans. Je n’avais aucune vision particulière de l’Afrique quand je suis rentré au Sénégal, j’étais sans doute trop jeune pour cela. Mais en arrivant ça a été un choc. D’abord au niveau de la langue, le wolof, que je ne parlais absolument pas. Ce qui m’a valu de nombreuses bagarres avec les enfants du quartier qui me considéraient comme un toubab (un Blanc en wolof, ndlr). Et puis par rapport à l’environnement social qui n’est pas le même. Les liens sociaux sont beaucoup plus forts en Afrique. La société africaine n’est pas une société individualiste comme souvent en Occident. Aujourd’hui j’estime que j’ai une double culture. Ce qui est pour moi une richesse et une force parce que je peux comprendre les deux sociétés. Je me considère à 100% comme un franco-sénégalais. Je trouve qu’il manque quelque chose aux Africains qui ont grandi en France. Quelque chose qu’ils ne pourront pas appréhender tant qu’ils ne seront pas allés vivre là bas.

L’Afrique en trois mots : Difficile, chaleureux, challenge

Esther, 23 ans, Bénin, arrivée en France à 4 ans

En dehors des images – qui m’agacent- de misère et de guerre dont nous abreuvent les médias occidentaux, la vision que j’entretiens de l’Afrique est celle d’un continent bourré de potentiel et aux richesses immenses exploitées par les puissances occidentales. Evidemment je vis en France et je suis imprégnée des habitudes et des mœurs d’ici, mais je ne peux pas me revendiquer française à 100% pour autant. Je me considère comme une Africaine qui vit dans un pays étranger. Même si je ne retourne pas souvent au Bénin, je parle ma langue maternelle -le fon- et j’ai reçu une éducation africaine.

L’Afrique en trois mots : richesse, jeunesse, exploitation

Zaïr, 25 ans, d’origine algérienne

J’ai plus une vision maghrébine de l’Afrique car je n’en sais pas plus sur l’Afrique noire qu’un Français « de souche ». Les images que j’ai de l’Afrique sont des images de frustration et de manque de démocratie. De pays où l’on peut confier d’importantes responsabilités à des personnes tout à fait incompétentes. Je ne me considère pas comme Français vu que mes parents sont algériens et que la sphère familiale est primordiale dans la culture maghrébine. Vivant en France, relativement dans de bonnes conditions, j’aurai honte de me dire 100% algérien vu que je ne partage pas le difficile quotidien des gens qui sont là bas. Mais je me sens plus proche de l’Algérie que de la France. Quand je retourne dans ma famille, là-bas, je me sens chez moi plus que je ne l’ai jamais été en France. Il faut dire aussi que je parle la langue, le kabyle. C’est un important facteur d’intégration sociale et culturelle. Même si mes cousins m’appellent pour plaisanter « l’immigré », ils me considèrent comme un des leurs.

L’Afrique en deux mots : Jeunesse et frustration

Marcia, 26 ans, Guinée Bissau, arrivée en France à 8 ans

J’ai grandi en France mais j’ai vécu une partie de mon enfance en Afrique. Je garde quelques bribes de ma vie en Guinée et ce ne sont que des moments de bonheur et de joie. C’est pour cela que je conserve une bonne vision de l’Afrique. J’ai toujours baigné dans une ambiance africaine. A la maison, tout le monde parle le créole portugais et le pepel (langue locale, ndlr). Mes parents ont toujours essayé de nous donner une bonne image de l’Afrique. Ils nous disaient de ne pas se fier à la vision médiatique du continent. Je suis fière de mes origines. Je me considère comme une franco-africaine. Je me sens intrinsèquement africaine et en même temps française. J’ai grandi en banlieue. Et dans les quartiers, avec les problèmes de discrimination que l’on peut rencontrer, on a tendance à renier qu’on est français. Même si je voulais le renier aujourd’hui, je suis de toute façon imprégnée par la culture française. J’en apprécie beaucoup de choses, ce qui ne m’empêche pas de garder l’esprit critique par rapport à la place des Noirs dans la société.

L’Afrique en trois mots : Heureux, racines et couleurs

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