Kwame Nkrumah, père du panafricanisme


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Kwame Nkrumah
Portrait de Kwame Nkrumah sur un timbre soviétique de 1989 @wikipedia

Au cœur de la pensée panafricaine se trouve Kwame Nkrumah. Il est celui qui a porté la Côte d’Or a son indépendance pour en faire le Ghana, premier pays africain à être libéré de l’emprise coloniale. Sa vision dépassait les intérêts de son seul pays et il aura œuvré toute sa vie pour l’Unité africaine. Mort dans la déchéance, longtemps resté impopulaire, sa pensée panafricaine lui a survécu. Portrait.

À l’heure où le Sommet de l’Union Africaine s’ouvre à Maputo, le panafricanisme n’est plus seulement un idéal. L’Afrique œuvre pour son unité, celle tant rêvée par Kwame Nkrumah, père de l’Indépendance du Ghana. En 1957, la Côte d’Or est alors le premier pays africain à se libérer du joug de la présence coloniale britannique et très vite, la pensée émancipatrice de Nkrumah s’affirme au delà des frontières du Ghana. En 1960, quelques mois après son accession à la fonction suprême de président de la République, celui qui se fera appelé Osagyefo, le Rédempteur, écrit : « le nationalisme africain ne se limite pas seulement à la Côte d’Or, aujourd’hui le Ghana. Dès maintenant il doit être un nationalisme panafricain et il faut que l’idéologie d’une conscience politique parmi les Africains, ainsi que leur émancipation, se répandent partout dans le continent».

Les prémisses de l’idéologie panafricaine

Fils unique d’une mère commerçante et d’un père chercheur d’or, Kwame Nkrumah est né en 1909 à Nkroful, un village du sud ouest de la colonie britannique de la Côte d’Or. Les fondements de sa pensée panafricaine prennent leurs sources dans un parcours qui le mène de la Côte d’Or à l’Angleterre en passant par les Etats-Unis. En 1935, il quitte son pays pour aller étudier l’économie et la sociologie à l’université Lincoln en Pennsylvanie. Là il découvre les écrits des auteurs noirs Marcus Garvey et W.E.B Du Bois qui alimenteront sa future idéologie. Il se plonge dans l’histoire politique américaine et comprend que la puissance des Etats-Unis réside dans son unité. En 1943, il écrit son premier pamphlet anti-colonial Towards colonial freedom, dans lequel il dénonce l’asservissement de l’Afrique.

nkrumahJeune.jpgEn 1945, il embarque pour Londres afin de poursuivre des études de droit mais très vite, l’émulation politique qui règne dans le pays au sein des communautés issues des colonies le gagne. Il rejoint le syndicat des Etudiants d’Afrique de l’Ouest et organise la 5ème conférence panafricaine de Manchester. Il travaille aux côtés de politiciens africains qui deviendront les principaux instigateurs de l’indépendance dans leur pays, parmi lesquels Jomo Kenyatta, futur président du Kenya. Ses textes enflammés, publiés dans le journal « Le Nouvel Africain » promettent l’unité africaine et font parler de lui : le nom de Nkrumah est désormais synonyme de radicalisme pour l’administration coloniale en Côte d’Or.

Retour triomphal

En 1947, son retour au pays est triomphal et lui promet une ascension fulgurante. Il prend immédiatement la tête du nouveau parti pour l’Indépendance United Gold Coast Convention, et mène des actions dans tout le pays tandis que la puissance colonisatrice réprime les velléités émancipatrices qui gagne le peuple. En 1948, Nkrumah est emprisonné pour agitation politique lors d’une manifestation contre le gouvernement : il devient alors un martyre politique, un rôle qu’il accepte et cultive. La pression est grande et l’administration coloniale est obligée de faire des concessions. En 1952, Nkrumah devient le premier ministre de la Côte d’Or et son nouveau parti, le CPP (Convention People’s party) gagne toutes les élections organisées par les Britanniques pour tester les préférences politiques du peuple. Le 6 mars 1957, le combat de la première révolution arrive à son terme : la Côte d’Or devient indépendante et se rebaptise Ghana.

« Nkrumaïsme »

A la tête du premier Etat indépendant d’Afrique, dont il devient le président en 1960, Nkrumah, pris dans l’euphorie de la victoire, voit grand. Il œuvre activement pour la libération des pays encore soumis à la domination coloniale. C’est ainsi qu’il apporte 25 millions de dollars de soutien à la Guinée suite à la déclaration de son indépendance en 1958. La même année, la réunion des chefs d’Etat africains se tient à Accra sous l’égide du ghanéen qui affirme la nécessité pour l’Afrique « de développer sa propre communauté et sa personnalité », et son non-alignement aux deux blocs.

La politique extérieure de Nkrumah est toute entière dédiée à la construction de l’Unité africaine qu’il pense comme une fusion organique des Etats Indépendants et non comme leur simple coopération. Il entend promouvoir sa doctrine originale, le « consciencisme », qu’on appelle parfois aujourd’hui le « nkrumaïsme ». Empreinte d’un marxisme non orthodoxe associé au concept traditionnel africain de collectivisme, elle vise « la résurrection des valeurs humanitaires et égalitaires de l’Afrique traditionnelle dans un environnement moderne ». En 1963, Nkrumah sera ainsi l’un des pères-fondateurs de l’Organisation de l’Union Africaine qui, toutefois, délaissera vite les idées trop radicales du Ghanéen.

De l’euphorie au calvaire

nkrumahStatut.jpgTrès vite, le rêve de Nkrumah d’une Afrique unie se heurte aux idées des nouveaux leaders de pays indépendants qui ne sont pas prêts à renoncer à leur toute nouvelle souveraineté. L’Unité africaine devient aux yeux du monde le rêve d’un égocentrique ambitieux qui cache en réalité des plans expansionnistes. En période de guerre froide, elle est vécue comme une manœuvre pour soumettre toute l’Afrique au communisme. Le président ghanéen est désavoué sur la scène africaine et internationale. Les ex-puissances coloniales le diabolisent et tentent de museler la voix dissonante de cette Afrique radicale, compromise dans le léninisme.

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Au Ghana, la politique économique de la « seconde révolution » de Nkrumah est un échec. Les dépenses nationales ont ruiné le pays et quand la population descend dans la rue exprimer son mécontentement, elle est réprimée dans le sang. En 1962 et 1964, Nkrumah est victime de deux tentatives d’assassinat. Choqué, il tombe alors dans l’excès de la mégalomanie et prend des mesures drastiques pour se protéger. Il emprisonne sans procès des ministres de son gouvernement qu’il soupçonne de complicité et s’entoure d’une armée de gardes du corps. Il se déclare alors président à vie de la République du Ghana et instaure le parti unique. En février 1966, pendant un voyage du président en Chine, l’armée procède à un coup d’Etat et destitue Nkrumah. La colère accumulée par le peuple refait surface et les manifestations spontanées éclatent dans le pays pour célébrer sa chute. C’est la fin du rêve ghanéen et africain pour Kwame Nkrumah. Acculé, il ne retourne pas au Ghana et s’exile en Guinée. Il meurt d’un cancer en 1972, dans un hôpital à Bucarest, en Roumanie.

En cinq ans, Nkrumah est passé du mythe à la déchéance. Longtemps impopulaire, on retient aujourd’hui de lui la portée visionnaire de ses ambitions panafricaines. L’éveil d’une conscience africaine, la construction d’une unité humaine, politique et économique maîtresse d’un destin qui lui appartient. Autant de thèmes qui sont au cœur de la pensée panafricaine contemporaine.

Bibliographie

Kwame Nkrumah, Ghana, autobiographie de Kwame Nkrumah, Présence africaine, 1960.
Ralph Kent Rasmussen, Modern African political leaders, Facts on file, 1998.
Cécile Laronce, Nkrumah, le panafricanisme et les Etats-Unis, Editions Karthala, 2000.

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