Il faut des priorités au Nepad


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Le ministre gabonais délégué au Commerce, Senturel N’Goma Madoungou, se montre prudent face au Nepad. Il estime qu’il lui faut de fortes priorités et une solide logique régionale. Il pense qu’il ne faut pas avoir peur de l’ouverture des marchés africains aux capitaux étrangers et croit en la force d’adaptation des entreprises du continent pour développer leur compétitivité. Interview.

Carrefour de rencontres et d’échanges, la Conférence de l’OCDE sur le commerce et l’investissement en Afrique organisée à Dakar (23 au 26 avril) a été l’occasion pour le ministre gabonais délégué au Commerce de livrer son point de vue sur le Nepad et les solutions de développement pour le continent. Pour lui, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique n’a pas encore trouvé toute sa maturité.

Afrik : Pourquoi l’Afrique ne tire pas parti de la mondialisation ?

Senturel N’Goma Madoungou : L’Afrique a des difficultés à démarrer économiquement depuis plusieurs années. Ces difficultés sont dues en grande partie au poids de sa dette. Dans un premier temps, l’Afrique a beaucoup reçu des bailleurs de fonds et ses emprunts n’ont pas été utilisés à bon escient. Ce qui a généré une perte de confiance de la part des financiers internationaux. Confiance qu’il nous faut rétablir le plus rapidement possible.

Afrik : Qu’est ce que l’Afrique doit faire pour cela ?

Senturel N’Goma Madoungou : Le continent a besoin de mettre en place des programmes pragmatiques et de faire en sorte que ces programmes soient intégrateurs au niveau régional. Car nous avons un problème au niveau de notre espace commercial : la taille de nos marchés nationaux n’est pas assez importante.

Afrik : Le Nepad est-il une solution pour le développement de l’Afrique ?

Senturel N’Goma Madoungou : L’Afrique doit tenir son développement entre ses mains. Il y a un adage qui dit :  » Aide toi et le ciel t’aidera « . Je crois bien que le Nepad pourrait bien jouer un rôle catalyseur pourvu qu’il ne mélange pas les cibles. Il faudrait que le Nepad ait de réelles priorités. On ne peut décemment pas proposer 30 projets prioritaires aux bailleurs de fonds. Il faut encore une fois des projets capables de trouver des solutions sur le plan macro-économique au niveau régional ou sous-régional.

Afrik : On ne cesse de parler du Nepad comme de la planche de salut de l’Afrique. Mais pour l’heure, on ne voit pas grand chose venir. Pourquoi ?

Senturel N’Goma Madoungou : Le Nepad, c’est un bébé. Il est venu au monde, il doit apprendre à s’asseoir puis à se tenir debout. Le Nepad est aujourd’hui debout. Il marche mais il ne marche pas encore correctement. Il marche, il tombe. Et quand il tombe, il a besoin de soutien pour se relever. J’ose espérer que le Nepad apprendra prochainement à marcher sans soutien.

Afrik : Les petites et moyennes entreprises (PME) constituent l’essentiel du tissu économique africain mais rencontrent d’importants problèmes de financement. Pourquoi ?

Senturel N’Goma Madoungou : Le premier défi de l’Afrique est de mettre en place des institutions financières capables de financer les PME. Aujourd’hui, les banques commerciales ne financent pas les investissements productifs. C’est un nouveau métier pour l’Afrique et il faut que nous puissions profiter de l’expertise de l’OCDE et d’autres organismes pour apprendre aux banques à prendre plus de risques. Nos banques, même nos banques de développement, ne prennent pas suffisamment de risques.

Afrik : Est ce que l’on peut imaginer ensuite la mise en place de bourses régionales ?

Senturel N’Goma Madoungou : La mise en place de bourses de valeurs régionales qui prendraient le relais du développement de ces PME à moyen et long terme constitue encore un nouveau défi. Le défi du défi parce qu’il faut mettre en place des sociétés à capital risque… Une fois ces instruments mis en place, nos PME seront confrontées aux multinationales qui arriveront sur ces bourses. Ce qui n’est pas une mauvaise affaire. Elles nous apportent un transfert de technologie, le savoir-faire que nous allons être amenés à adapter aux contextes africains. Et puis les règles du jeu sur ces places régionales seront connues de tout le monde. Nos chefs d’entreprise devront apprendre s’y plier. Ils ne pourront plus se permettre certaines pratiques implicitement acceptées au niveau national et seront obligés de pratiquer une gestion plus saine et transparente de leur société.

Afrik : En ouvrant ses marchés aux investissements étrangers, l’Afrique n’hypothèque-t-elle pas sa propre compétitivité sur le continent ?

Senturel N’Goma Madoungou : On nous demande de mettre en place des programmes d’ajustement structurel draconiens. On nous demande d’avaler une pilule amère. Nous sommes entre le marteau et l’enclume. A nous d’être vigilants et pragmatiques pour que les projets que nous présentons soient des projets fiables et intégrateurs. C’est nous qui devons montrer au G8 (groupe des sept pays les plus industrialisés plus la Russie, ndlr) que nous sommes capables de taire nos divisions, de taire nos visions nationales. Pour être de bons joueurs de football, il nous faut de la formation et un bon entraînement. Et même si nous jouons contre des gens qui sont plus forts que nous, nous allons apprendre à nous améliorer. Nous allons progressivement acquérir une expertise suffisante pour affronter un match où il ne faut pas qu’on sorte perdants.

Afrik : L’implantation des multinationales en Afrique, qui dictent souvent elles-même les règles du jeu, ne génère-t-elle pas une perte de souveraineté pour les Etats ?

Senturel N’Goma Madoungou : Je ne vois pas pourquoi on pose le problème d’une perte de souveraineté. Il y a un Etat qui régule. Ce n’est pas parce qu’une entreprise étrangère vient apporter son expertise au Gabon que le Gabon perd sa souveraineté. Mais cela reste vrai à une condition : que cette entreprise respecte les règles du jeu de l’Organisation mondiale du commerce. Les entreprises pétrolières sont présentes depuis longtemps au Gabon et ce n’est pas pour autant que nous avons perdu notre souveraineté. Il est vrai que les entreprises pétrolières parfois se mêlent un peu des questions politiques en Afrique. Voilà pourquoi il faut établir des normes pour que, lorsqu’une entreprise arrive, elle s’intéresse uniquement à la productivité et à la rentabilité de son activité.

Afrik : Est-ce-que le Gabon a tiré profit de l’implantation des entreprises pétrolières dans le pays ?

Senturel N’Goma Madoungou : Nous avons mis en place avec les entreprises pétrolières ce qu’on appelle la Provision pour investissement diversifié ou PID. Donc, à partir des bénéfices du pétrole, nous avons pu lancer quelques secteurs notamment ceux de l’industrie agro-alimentaire et des services. Le PID a été jusqu’à présent un véritable moteur pour la croissance. Mais avec la diminution de notre production, le PID n’est plus capable aujourd’hui d’assurer le même rôle. Il nous faut maintenant apprendre à mieux gérer notre argent. C’est pourquoi nous avons mis en place une politique budgétaire draconienne pour que les gens apprennent la discipline budgétaire. C’est ce qui manque un peu à l’Afrique en général.

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