L’apprentissage de la honte


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 » La Mort du roi Tsongor  » est un récit épique et initiatique. L’histoire d’hommes qui se déchirent jusqu’à l’absurde et souffrent de leurs choix. Une tragédie que Laurent Gaudé raconte dans une langue superbe et envoûtante.

Il y a des livres qu’on ouvre sans savoir ce qu’on y trouvera. Et qu’on referme en sachant qu’on ne les oubliera pas. La Mort du roi Tsongor, de Laurent Gaudé est indéniablement de ceux-là car il parle de sentiments intemporels et évoque des souffrances humaines. A la veille de marier sa fille Samilia avec Kouame, prince des terres de sel, le vieux roi Tsongor qui règne, depuis Massaba, sur un empire immense, se retrouve face à un dilemme : un deuxième prétendant, Sango Kerim, vient réclamer sa fille.

Refusant de choisir pour n’offenser ni le prince ni l’ami d’enfance revenu de son errance pour épouser Samilia, le roi décide de mourir. Et espère par cet acte éviter une guerre qu’il sent proche.  » Je sens le souffle violent de la guerre dans mon dos. Elle est là, oui. Je la sens qui fond sur moi et je ne sais pas trouver le moyen de la chasser.  »

Destins tragiques

Mais sa mort ne résout rien et la guerre éclate. Massaba, bientôt ville exsangue, est livrée à la haine des deux camps qui s’affrontent. Et entraînent derrière eux toute la famille du vieux roi défunt. Sako et Danga, les jumeaux, choisissent chacun un camp opposé, Liboko, le cadet, périt. Samilia rejoint Sango Kerim, au nom du serment que, petite, elle lui a fait de l’épouser et éconduit Kouame le coeur meurtri.  » Elle disparut en se jurant de l’oublier. Mais elle sentait déjà que plus elle s’en éloignerait, plus il l’obséderait.  » Et la guerre se prolonge. Sans fin et dans l’horreur. De plus en plus absurde.

La Mort du roi Tsongor a quelque chose des grandes tragédies grecques. Nul personnage ne peut échapper à son destin. Et le sait.  » C’est la vie qui s’est jouée de nous « , avoue Tsongor, conscient qu’il doit se donner la mort pour tenter de sauver Massaba. Quant à Samilia, telle Phèdre, elle se sait vouée au malheur :  » Oui. Je suis aux deux. C’est mon châtiment. Il n’y a pas de bonheur pour moi. Je suis aux deux. Dans la fièvre et le déchirement. C’est cela. Je ne suis rien que cela. Une femme de guerre. Malgré moi. Qui ne fait naître que la haine et le combat « .

Langue envoûtante

La langue de Laurent Gaudé est superbe, poétique, envoûtante. L’auteur réussit à nous attacher à ses personnages par la force des sentiments contradictoires qu’il leur prête et par la terrible vérité qui en résulte. Il a un don : celui de réveiller les émotions du lecteur en peu de mots. Les dialogues entre le roi mort, qui assiste, impuissant, au siège de sa ville en flammes et son fidèle garde et ami Katabolonga, sont des trésors littéraires.

La Mort du roi Tsongor est un récit épique mais aussi initiatique. Tous les personnages finiront par faire l’apprentissage du deuil, de la défaite et de la honte, chacun à leur manière. Même Souba, le plus jeune fils de Tsongor, chargé par son père, juste avant de mourir, d’aller courir le monde et de construire, à sa gloire, sept tombeaux somptueux et secrets  » comme les sept visages de Tsongor « .

La Mort du roi Tsongor, de Laurent Gaudé, Actes Sud, 2002

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