Le silence des robinets


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Un robinet
Un robinet

Alger souffre terriblement du manque d’eau courante. Les habitants développent de nouvelles habitudes. Les autorités évaluent à 70 jours les réserves en eau potable. Entre débrouillardise et inquiétude… en attendant l’eau.

Djamel reprend la lecture de son journal. Il vient d’éteindre le téléviseur d’un geste rageur. « Encore un film égyptien ! » C’est devenu un sport national que de deviner le film de la soirée de l’ENTV, l’unique chaîne de télévision. Mais ce soir, Djamel n’a pas le coeur à ça. Il attend, stoïque, « la chose qui coule du robinet ». « C’est une année paradoxale : après les inondations, c’est la sécheresse. Nous n’avons l’eau courante qu’un jour sur trois. Personne ne sait quand les robinets se remettent à vivre. Alors, je veille et je laisse les robinets ouverts. Il faut vite remplir les ‘réserves’ car le silence envahit de nouveau les robinets au bout de deux ou trois heures ».

Douches nocturnes

Ce soir, Djamel est prêt. A minuit, le robinet de la cuisine toussote. Djamel se lève précipitamment. Fausse alerte. Une heure plus tard, les yeux de Djamel se ferment. Cadre dans une banque, il se sent privilégié. « Je ne vais pas me plaindre. J’ai 33 ans, je commence le travail à 9 heures et ma femme à 10 heures. Veiller ne nous pose pas problème. » Les robinets se gargarisent les tuyaux. « C’est la bonne », se réjouit Djamel avec un cri à réveiller l’immeuble. « Personne ne dort. Les voisins sont tous devant la télé en attendant l’heure libératrice ». Les lumières des appartements du vieil immeuble de Bab El Oued s’allument comme par magie. Djamel est déjà sous la douche. Il a pris soin de mettre sous chaque robinet un bidon en plastique.

Que l’eau coule à flot !

D’un ton grave, le Premier ministre promet aux Algérois l’eau trois fois par jour. Rachida a un rire fatigué. Elle habite sur les hauteurs d’Alger, Bouzeréah, et n’a pas vu l’eau courante depuis près d’une semaine. « Les rues de la ville sont devenues jaunes. Tout le monde se trimballe avec les bidons d’huile qui sont tous de couleur jaune. C’est le retour des glorieuses années socialistes avec leur cortège de pénuries. Mais à cette époque-là, nous ne manquions pas d’eau », se souvient, avec amertume, Rachida.

« L’Etat est responsable de cette pénurie. C’est vrai qu’il y a la sécheresse mais la gestion de l’eau, principalement pour l’alimentation de la capitale, est catastrophique. Au lieu d’opter pour la construction des barrages, les autorités ont toujours choisi le forage. Or, les nappes phréatiques sont arrivées à saturation. Nous avons atteint le seuil critique même si les chiffres officiels demeurent un secret d’Etat », analyse Hachimi, ingénieur en hydraulique. Selon lui, l’unique barrage alimentant Alger en eau potable accuse un déficit de près de 40% et demeure très insuffisant pour satisfaire les besoins de 600 000 m3/jour des Algérois alors que ces derniers ont revu à la baisse leur consommation en « eau précieuse ».

Réserve de 70 jours

Déficit de communication. Le gouvernement, après un long moment de mutisme suivi d’une cacophonie médiatique, tire la sonnette d’alarme. Alger ne dispose que de 70 jours de réserve en eau potable. En clair, les habitants devront encore faire des efforts. « Je ne vois pas ce qui peut nous arriver de pire. Après les cours, je me retrouve avec mes élèves à me chamailler dans la rue autour d’une citerne pour dix litres d’eau », ironise Rachida. « Il faut disposer d’entre 15 et 20 millions de m3/par an et réserver 70% à l’agriculture pour parvenir à une sécurité alimentaire en eau potable », tranche Hachimi. En attendant, il surfe sur la Toile. L’eau ne va pas tarder à crachoter dans le robinet. Du moins, il l’espère. C’est son quatrième jour sans eau courante.

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