Afrique : saisir les opportunités de « la Francophonie économique »


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L’espace francophone représente 19% du commerce mondial. Dans son dernier ouvrage, La Francophonie économique, horizons des possibles vus d’Afrique, Serge Tchaha souligne les opportunités, notamment pour les pays africains, d’une « Francophonie économique ».

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Originaire du Cameroun et titulaire d’un MBA en Gestion internationale de l’entreprise de l’Université Laval (Québec, Canada), Serge Tchaha est chroniqueur économique pour Afrique Expansion Magazine à Montréal et pour le quotidien camerounais L’Actu. Il est également membre du comité scientifique de la Rencontre internationale de la Francophonie économique 2012. Après avoir dirigé l’ouvrage collectif, Nous faisons le rêve que l’Afrique de 2060 sera…, inspiré par le cinquantenaire des indépendances de 17 pays africains, il revient aujourd’hui avec La Francophonie économique, horizons des possibles vus d’Afrique.

Afrik.com : A quoi renvoie la « Francophonie économique » ?

Serge Tchaha :
Quelques chiffres-clés tout d’abord concernant l’espace francophone. D’après l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ses 75 États et gouvernements membres représentent 890 millions d’hommes, dont 220 millions de francophones. Cet espace représente 19% du commerce mondial et ses membres pèsent 11% des échanges mondiaux de produits et services culturels. Qu’on le veuille ou non, cet espace est loin d’être insignifiant. Pour un Africain comme moi, la Francophonie économique serait un espace où les hommes d’affaires africains pourraient, grâce à la facilité qu’offre la langue pour commercer, développer leurs affaires avec les meilleurs du monde, lorsque ceux-ci se trouvent dans la Francophonie. Mais, il faudra que cette coopération soit créatrice de coprospérité. Pour cela, je préconise par exemple la création de joint-ventures. Je tiens cependant à préciser que Francophonie économique pour moi, ne signifie pas moins de Chinafrique et surtout pas plus de Françafrique. Au contraire !

Afrik.com : Certaines personnes pensent que l’Afrique anglophone réussit mieux que l’Afrique francophone. Quel est votre point de vue là-dessus ?

Serge Tchaha :
Ce n’est pas une question à laquelle l’on répond aisément. L’honnêteté intellectuelle et la réalité statistique confèrent une place prépondérante à l’Afrique « anglophone ». Comment ne pas se féliciter que l’Afrique du Sud soit la première puissance économique et militaire du continent, membre du G20, des BRICS ou du IBAS (Le forum de dialogue Inde, Brésil et Afrique du Sud) ? Qui peut nier l’importance du marché nigérian ? Ou encore la montée dans le secteur des TI des Kenyans ? Cela me semble donc évident de reconnaître le succès de cette partie de l’Afrique et de s’en réjouir. Cependant, je suis moins sûr que la langue française soit « le » facteur absolument déterminant dans le retard de l’Afrique francophone. J’en parlais avec Shanta Devarajan, chef économiste pour l’Afrique à la Banque Mondiale, il invitait à réfléchir sur la situation géographique des pays comme le Niger, le Mali ou le Burkina qui sont sahéliens ou n’ont pas d’ouverture sur la mer. Autre élément, ne peut-on pas considérer le Maroc ou l’Algérie – bien que d’aucuns diraient qu’elle a une économie très « pétrolière » comme des pays puissants à l’échelle africaine même si l’Algérie n’est pas membre de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ? Les francophones sont peut-être plus lents, mais de manière générale, ils ont la même trajectoire que les autres. Les transformations démographiques et économiques qui balaient le continent, les touchent aussi. Le Niger n’a-t-il pas annoncé 15% de croissance cette année ?

Afrik.com : Selon vous, l’Afrique francophone, en se développant, davantage deviendrait « une nouvelle source de prospérité pour les francophones et les francophiles non-africains » car elle présente certains « avantages spécifiques ». Quels sont-ils ?

Serge Tchaha :
Comme je le mentionnais ci-dessus, l’Afrique dite francophone subira les mêmes transformations que l’ensemble du continent. L’avantage est d’abord économique. La BAD annonçait récemment que tous les pays du continent auront une croissance positive pour 2012 ? L’Afrique est donc appelée à connaître une croissance solide au cours des prochaines années. Certains parlent de 5%. En Afrique, 30 pays sur 54 sont membres de l’OIF, l’on peut penser que dans cette Afrique considérée comme francophone, il y aura aussi de bonnes nouvelles. L’intérêt est aussi démographique. On passera d’environ 100 à plus 500 millions de locuteurs de français. C’est considérable ! Je suis de ceux qui pensent que pour commercer, il faut pouvoir communiquer. Et sachant que « la langue du profit, c’est la langue du pays », je pense que les non-Africains, issus des pays de l’OIF ou non, qui maîtrisent cette langue verront des opportunités dans cette zone. Ainsi, avec une seule langue, ils pourront communiquer, faire des notices de produits, faire des emballages, former du personnel, etc. Autre avantage spécifique : il est d’ordre géographique pour deux raisons. Primo, le français ouvre les portes à l’ensemble du continent qui compte de nombreux pays francophones. C’est avantageux pour des non-africains désireux d’y pénétrer. Deuxio, le fait de parler français pourra être demain pour ces pays, un élément d’attractivité car ils pourront dire, venez installer vos usines chez nous et venez vendre au reste de l’Afrique francophone à partir d’ici. Pourquoi ? Parce que nous avons la même langue et que géographiquement, nous sommes très proches. Enfin, n’oublions par le traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des Affaires (il est géré par l’organisation éponyme, OHADA). En dépit de ses imperfections, il contribue à rendre la Francophonie africaine intéressante pour les hommes d’affaires.Tout ceci est donc loin d’être chimérique. Pour preuve, j’ai rencontré en participant à la Rencontre internationale de la Francophonie économique (RIFÉ) 2012, un homme d’affaires vietnamien qui opère au Bénin – notamment parce qu’il parle français, ceux que ne peuvent faire bon nombre de ses concitoyens – dans le domaine de la noix de cajou.

Afrik.com : Vous évoquez également le visa francophone des affaires, une proposition des délégués de la RIFÉ datant de 2008. De quoi s’agit-il exactement ? Savez-vous où en est actuellement cette proposition ?

Serge Tchaha :
Tel que défini dans la résolution de la RIFÉ 2008, le visa francophone des affaires permettrait aux hommes d’affaires francophones de circuler librement dans l’ensemble des pays membres de l’OIF. C’est un des éléments fondamentaux qui permettront selon moi de bâtir une réelle Francophonie économique. Rappelons que le français est avec l’anglais, la seule langue parlée sur les 5 continents et les membres de l’OIF forment le tiers de l’ensemble de l’ONU. La Francophonie économique serait un espace qui devrait permettre aux Africains de travailler avec les meilleurs au monde lorsque ceux-ci sont francophones. A condition que les conditions de mobilité leur soient facilitées, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Si l’on n’est pas capable d’aller au Canada voir les installations d’un client, de rencontrer les acteurs du secteur forestier ou minier lors d’une conférence, comment nouera-t-on des liens avec eux ? Lors de la RIFÉ 2012, qui se tenait au Canada, plusieurs conférenciers attendus ne sont pas venus faute d’avoir obtenu un visa.

Afrik.com : Vous terminez justement le livre sur la relation entre cette Afrique francophone avec le Canada. Le Canada a-t-il réellement les moyens de concurrencer les grandes puissances émergentes, de plus en plus présentes sur le continent, et les des autres puissances occidentales ?

Serge Tchaha :
L’on estime qu’en 2008, les exportations du Canada vers l’Afrique sub-saharienne se chiffraient à 3 milliards de dollars. Les importations d’Afrique en direction du Canada s’élevaient, eux, à 13 milliards de dollars. Cependant, ces données fournies par Statistiques Canada n’intègrent pas les services. Le Canada aurait également des actifs miniers s’élevant à 25 milliards de dollars en Afrique.
Les Canadiens auraient effectivement les moyens de se faire une place sous le soleil africain, et ce, notamment parce qu’il est un pays francophone. Comme je ne cesse de le mentionner, l’Afrique a besoin de travailler avec les meilleurs, ceux qui détiennent une connaissance d’excellence mondiale dans des secteurs qui nous intéressent comme la foresterie, lorsqu’au Cameroun un tronc de bois est valorisé à 25% en moyenne, il l’est à 75% au Canada ; l’hydroélectricité, la maîtrise de ce secteur notamment par Hydro-Québec est largement reconnue. Saviez vous que la RDC a, à elle seule, le potentiel hydroélectrique pour alimenter tout le continent africain ? Autre exemple : le secteur minier. Une transaction sur trois dans le domaine minier dans le monde se déroule à la bourse de Toronto (TSX). Si les Africains continuent de parler français et représentent 85% des francophones du monde, peuvent-ils éviter de parler de Francophonie économique ? Pensez-vous que le Quai d’Orsay, qui déploiera un plan visant à aider les entreprises françaises à l’international, ne tiendra pas compte de cette montée exponentielle des locuteurs de français ? Rappelons que le candidat François Hollande avait déclaré qu’il voulait «initier la Francophonie économique ».

 La Francophonie économique, horizons des possibles vus d’Afrique de Serge Tchaha, aux ed. L’Harmattan

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