Radhia Nasraoui : « Nous sommes libres et nous le resterons »


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La Tunisie est considérée comme une pionnière en matière de droits des femmes. Avec l’arrivée au pouvoir des islamistes, beaucoup de Tunisiennes s’inquiètent de la préservation de leurs acquis. A l’occsasion de la Journée de la femme, Radhia Nasraoui, avocate et militante pour les droits de l’Homme, témoigne de la vigilance de ses consœurs.

En Tunisie, la loi électorale votée dans le cadre des élections de l’Assemblée constituante du 23 octobre 2011 a rendu obligatoire pour les formations en lice d’inscrire autant de femmes que d’hommes sur leurs listes. Une première dans le monde arabe. Aujourd’hui, la proportion de femmes élues au Parlement tunisien (30%) est supérieure à celle de la France (12%). Les Tunisiennes ont une véritable vie professionnelle depuis la mise en place des lois sur l’égalité d’accès à tous les secteurs professionnels. Depuis 55 ans, ces femmes militent pour toujours plus de liberté : elles sont descendues dans la rue, aux côtés des hommes, pour chasser Ben Ali du pouvoir. Aujourd’hui, le combat continue pour préserver les droits acquis sous le régime de l’ancien dictateur qui a fait de la Tunisie une exception dans le monde arabe pour ce qui est du statut de la femme. Dans la nouvelle Constitution, qui verra prochainement le jour, il sera difficile pour l’Assemblée constituante de revenir sur de telles avancées, mais certaines femmes sont inquiètes avec l’arrivée au pouvoir des islamistes.

Radhia Nasraoui : trois décennies au service des droits de l’HommeRadhia Nasraoui a une trentaine d’années de lutte pour les droits de l’Homme à son actif. En 2003, l’avocate fonde l’Association contre la torture en Tunisie pour dénoncer la torture systématique dans son pays sous le régime Ben Ali. Un combat qui fait d’elle une cible : ses locaux ont été plusieurs fois saccagés, sa famille a été maintes fois menacée. En 2002, elle entame une première grève de la faim, puis une seconde de 57 jours, en 2003, pour protester contre la condamnation à trois ans et deux mois de prison de son mari, Hamma Hammami, leader du Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT), mais également contre l’arrestation de Samir Taamallah et Abdeljabbar Madouri, des membres du parti. Le 16 novembre 2005, l’Université libre de Bruxelles lui a décerné le titre de Docteur honoris causa. Radhia Nasraoui a également reçu le prix Roland Berger pour la dignité humaine au titre de l’année 2011.

Afrik.com : Sous l’ère Ben Ali, la guerre contre le radicalisme et le port du voile était déclarée. Avec l’arrivée au pouvoir du parti islamiste Ennahda, plusieurs femmes craignent une remise en question de leurs droits. Qu’en est-il de la situation de la femme en Tunisie ?

Radhia Nasraoui : Les femmes tunisiennes ont arraché leur place dans la société depuis longtemps. La peur d’un retour en arrière est bien présente et il est inacceptable d’autoriser de nouveau la polygamie ou d’instaurer la charia, autant de sujets qui ont été abordés ces derniers temps. Il y a eu de vives réactions de la part des femmes et des hommes qui refusent tout projet pouvant porter atteinte aux droits des femmes. A l’époque de Ben Ali, nous avions exigé l’égalité totale dans tous les domaines et le respect des droits des femmes. Il n’est pas normal qu’aujourd’hui le problème soit de nouveau posé. En décembre 2010 et janvier 2011, il n’existait aucun slogan à connotation religieuse, uniquement des slogans relatifs au droit du travail, au respect et à la dignité. Des révolutionnaires essaient maintenant de détourner l’attention des Tunisiens pour que l’on ne s’occupe pas des vrais problèmes comme le chômage, les problèmes sociaux ou la pauvreté.

Afrik.com : Après la révolution de Jasmin, celle des femmes ?

Radhia Nasraoui : Les femmes s’inquiètent, donc elles bougent ! A Tunis, à l’occasion de la journée du 8 mars, des femmes appartenant à tous les secteurs, de tous âges et de tous milieux organisent un rassemblement devant l’Assemblée constituante afin que les droits de la Femme soient garantis dans la prochaine Constitution. Je fais confiance aux femmes tunisiennes mais aux hommes aussi. Il faut savoir qu’il y a des divergences au sein même d’Ennahda et chez les salafistes. Je rappelle qu’Ennahda faisait partie du Collectif du 18 octobre [[Le 18 octobre 2005, Ahmed Néjib Chabbi, Secrétaire général du Parti démocratique progressiste (PDP), Abderraouf Ayadi, Secrétaire général du parti du Congrès pour la république (CPR), Hamma Hammami, Porte-parole du Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT), Mohamed Nouri, Président de l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP), Ayachi Hammami, Président du Comité de soutien à Mohamed ABBOU et Secrétaire général de la section de Tunis de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme (LTDH), Samir Dilou, membre du bureau de l’AISPP et du Comité de défense de Mohammed Abbou, Mokhtar Yahyaoui, magistrat et Président du Centre pour l’indépendance de la justice (CIJ), et Lotfi Hajji, Président du Syndicat des journalistes tunisiens (SJT), ont décidé d’entamer une grève de la faim illimitée en signe de protestation contre la détérioration de l’état des libertés en Tunisie. Ils revendiquent, entre autres, le respect du droit de réunion et d’association, la reconnaissance de tous les partis politiques, le respect des droits d’opinion, d’information, de communication et le libre accès à l’Internet, et demandent la libération de tous les prisonniers politiques.]] pour les droits et les libertés en Tunisie. Je me dis qu’il ne peut pas y avoir de retour en arrière à ce sujet, nous sommes libres et nous le resterons. Nous allons continuer à nous battre pour que la parité soit présente dans toutes les institutions et pas seulement sur les listes. C’est un combat pour la dignité des femmes.

Afrik.com : A l’occasion de la Journée internationale de la femme, quel message souhaitez-vous délivrer à toutes les Tunisiennes et à toutes ces femmes qui éprouvent des difficultés pour faire respecter leurs droits dans le monde ?

Radhia Nasraoui : Aux Tunisiennes, qu’elles se mobilisent pour défendre leurs acquis et les consolider. Il n’est plus possible de faire marche arrière. Et à toutes les autres, ne jamais baisser les bras. Il faut continuer à défendre nos valeurs. Quand les femmes se lancent dans un combat, elles ne peuvent que gagner.

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