A quoi pourraît-on comparer John Fru Ndi ?


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On pourrait le comparer à Robin des Bois, à un chef de famille nombreuse, et à une taupe. Ces trois images reflètent trois dimensions du personnage, à savoir l’aspect mythique et fictionnel, l’aspect profondément humain, et l’aspect construit, fabriqué, faux. Monsieur Fru Ndi est, dans son for intérieur, aussi avide de pouvoir que résigné à ne plus y accéder.

Il n’est allé à l’élection que pour prélégitimer politiquement la voix subversive qu’une fraction de son « shadow cabinet » le presse d’emprunter depuis fort longtemps. La voracité et l’arrivisme des jeunes loups de son parti lui ont fait comprendre un peu tardivement qu’il lui fallait agir le plus possible si, politiquement, il voulait exister le plus possible. Les manifestations sont dans l’air du temps alors il a opté pour elles. Mais passé un certain âge, vouloir suivre toutes les modes, c’est s’exposer au ridicule le plus assassin.

A moins que le diable ne s’en mêle, cette gesticulation ne devrait aboutir qu’à l’associer au prochain gouvernement de monsieur Biya. Celui-ci ne peut ni l’ignorer ni faire semblant de ne pas le comprendre. L’on se dirige donc vers une assimilation (au RDPC) par confusion (l’UPC, l’UNDP et tous les autres micropartis qui ont voulu pactiser avec le diable sont payés pour le savoir) et, in fine, une libération de l’espace politique disponible, à la veille de la naissance de ce que le professeur Jean Gatsi appelle « La nouvelle opposition » camerounaise.

Plus grand opposant de Paul Biya depuis le retour du multipartisme, il a surpris une fois l’intelligence des Camerounais, c’était en 1992 où il aurait mobilisé en réalité plus de suffrages que Biya, à la présidentielle de cette année-là. C’est notre Robin des bois, il veut ravir le pouvoir à Biya pour le rendre au peuple : « power to the people ». Le hic, voilà c’est que le peuple a donné le pouvoir à Biya, parce que lui, le gentil peuple, il ne sait pas s’en servir. Fru Ndi devrait dire une fois pour toutes que le pouvoir, il le veut pour lui-même. Le peuple, qui est bien gentil, voudra assurément le lui concéder.

Mais là encore, il y aura un autre problème de taille. Il veut fédéraliser le Cameroun, que les pères de la nation avaient réussi à fédérer. Il veut refaire l’histoire, et va, avec ce triple salto arrière, dresser les anglophones contre les francophones, et créer plusieurs gouvernements dans ce pays déjà en difficulté en raison du train de vie de son seul gouvernement. A terme, selon un cas de figure tout à fait plausible, les anglophones s’autodétermineraient et rejoindraient probablement la fédération nigériane.

On n’en est pas à un manquement près aux principes démocratiques « universels », quelques entorses bien placées à la démocratie des livres et des ONGs peuvent s’avérer salutaires : construire une société idéale, et par suite parfaitement démocratique, a souvent présupposé une connivence dictatoriale. Il faut de l’autorité pour mettre de l’ordre, il faut de la poigne, si l’on ose s’exprimer ainsi… Fru Ndi a beau torpiller la crédibilité d’ELECAM, par la révélation de cas confondants de fraude, il ne va pas entamer la validité des résultats que l’organe indépendant a fait proclamer par la Cour suprême. Cela rappelle le principe de droit « electa una via » qui postule l’irrévocabilité de l’option de juridiction. Par simple souci de cohérence, quand on choisit une voie, il faut avoir de la suite dans les idées, et ne pas s’empresser de la descendre en flammes, sinon plus rien ni personne n’est crédible.

En acceptant de participer à cette présidentielle, en se présentant à cette élection dont les résultats étaient courus d’avance, au lieu d’empêcher comme il l’avait voulu et annoncé un moment la tenue d’élections dans des conditions qu’il avait lui-même décriées, il a par ce fait reconnu la légitimité de cet organe, que ne peuvent aujourd’hui remettre en cause les irrégularités soulevées. Cela rappelle aussi l’autre principe de droit « nemo auditur… » : Fru Ndi ne peut pas se prévaloir de sa propre turpitude. Qu’il attaque ce système comme il en a l’intention depuis le début, mais qu’il ne se cache pas derrière son petit doigt, en excipant des fraudes et irrégularités d’ELECAM.

La naissance d’un ressentiment démocratique ?

Nul ne croit plus en l’esprit missionnaire de tous ceux qui veulent importer des concepts humanitaires et démocratiques… Toute ingérence extérieure est de plus en plus vécue comme une offense au patriotisme. Dans la rue, les Camerounais implorent les puissances étrangères de ne point les suivre, même s’ils les appelaient au secours. Ce pays dispose de ressources nécessaires et suffisantes pour remédier seul à toute crise politique.

Les partisans d’une démocratisation qui emprunterait au prêt-à-porter et à la restauration rapide ses préceptes et ses modalités fonctionnelles sont trop inaudibles pour inquiéter. Les tentatives de démocratisation radicale, pire la démocratie par révélation, Fru Ndi ne va pas l’imposer aux Camerounais, il n’a rien du christ politique dont nous attendons en permanence la venue : nul ne sait ni l’heure ni le jour, mais nous savons tous qu’il ne s’agit pas de Fru Ndi ni d’un compère de cette opposition, où l’on a vu se succéder des scores historiquement grotesques, inférieurs à 1% ! Par comparaison, en Côte d’Ivoire, malgré les fraudes, il y avait un doute raisonnable, l’écart entre les deux challengers ne tenant qu’à un fil.

En appelant les Camerounais à manifester, il espère plonger le pays dans les ténèbres. Si son rêve pour le Cameroun doit se réaliser dans ces conditions, dans le noir, à travers ces petits jeux meurtriers, alors ce n’est sûrement pas par le haut qu’il quittera la scène politique de ce pays. Il confond son désir de soulever, avec sa capacité à soulever, ce qui est aussi incroyablement naïf que de confondre son désir de diriger avec sa capacité à diriger.

La démocratie ne serait-elle que la bonne à tout dire des envahisseurs occidentaux ? Le Cameroun, géostratégiquement, est à l’échelle de l’Afrique centrale une autre Syrie, il n’y aurait jamais une unanimité au Conseil de sécurité quant au vote d’une résolution. Au reste, Yaoundé ne résisterait jamais à son peuple si celui-ci daignait se mobiliser comme en Syrie. Le régime de Biya n’a pas les moyens de supporter une guerre de cinq mois contre son peuple. Les révolutions récemment intervenues dans le continent ont laissé l’impression que si les peuples aspiraient au renouvellement de la classe politique, l’illusion démocratique n’était pas toujours, dans la priorité des urgences, en valeur absolue, ce qu’il fallait plaquer tout de suite.

Le refus de manifester n’est pas un déni de démocratie

Le soulèvement populaire, véritable copier-coller méthodologique, est une méthode trop facile, trop directe, qui berce de trop promptes espérances et qui échouerait devant la réalité complexe que Fru Ndi n’a jamais donné le sentiment de maîtriser : le savoir doit précéder le pouvoir ; d’autant qu’il lui a toujours manqué l’intuition des choses et la sensation instinctive de ce qui est vrai et juste et opportun, caractéristiques de tout homme d’exception. En essayant de réaliser ce désir aveugle de mimétisme, il commet une erreur méthodique qui ne fera que du mal aux Camerounais, au Cameroun, et au modèle démocratique national : la démocratie s’est mouillée les pieds en traversant les océans, mais elle est bien en train de prendre couleur locale.

C’est sûrement poussif, mais c’est irrémédiablement une démocratie qui se construit dans cette république. On pourra toujours alléguer une déflation conceptuelle et idéologique de la notion, il n’en demeure pas moins qu’il existe de nombreuses interactions entre ce système politique d’une part et le milieu et les hommes qui le mettent en œuvre d’autre part : la démocratie n’est pas un principe, un préalable, c’est sinon un aboutissement un tremplin, le résultat de changements mentaux, sociaux, et culturels entérinés par une évolution politique.

Pour quand peut-on espérer une démocratie vraiment démocratique ? Pour après Biya, c’est-à-dire pour après John Fru Ndi, qui n’a pas pratiqué avec succès ce système dans son propre parti. La culture démocratique n’étant pas une infusion de l’Esprit Saint, il est grand temps que ce leader tire sa révérence et aille occuper un strapontin dans le futur sénat. Il doit faire place nette, les jeunes sont là, qui ont grandi dans la déclamation démocratique, l’ont étudié dans les livres, dans les universités étrangères, et lui seront toujours redevables devant l’histoire des combats fondateurs qu’il a menés.

Les manifestations, on l’a vu alentour, particulièrement en cette annus horribilis pour les dictateurs africains, peuvent toujours dégénérer. Leur pertinence n’est pas vérifiée, l’appel, du reste, ne semble pas spécialement suivi. A Wall Street, on a songé à recourir à la force pour empêcher des manifestions indubitablement pacifiques des « indignés ». Cela s’est également observé en Grande-Bretagne, et en Australie où de nombreux manifestants ont récemment terminé en prison. S’il en est ainsi dans des pays où l’esprit civique et la culture démocratique sont si forts, où les dispositifs anti-émeutiers sont aussi perfectionnés, qu’en serait-il dans un pays où les équilibres sont si fragiles, la brigade anti-émeute mal équipée, et où les manifestants sont traditionnellement des casseurs ?

Il est irresponsable et lâche d’appeler les jeunes à manifester dans un contexte aussi miné par les appétits des puissances étrangères, qui ont assez souvent une longueur d’avance sur nos propres politiques, et dont on ne sait pas toujours les arrière-pensées. Fru Ndi manque de conviction dans son rôle d’ « indigné ». Il fragilise sa parole en la rendant aussi inefficace. Manifester contre qui d’ailleurs ? Manifester contre un vieillard à l’appel d’un autre vieillard sur qui pèsent des présomptions graves de compromissions ? Il n’a pas un grand passé de vertu ni le charisme qu’il faut pour convaincre quelques débiles de mourir pour lui. Il n’est par ailleurs ni suffisamment louche ni notoirement fiable pour être à la solde des puissances de l’ombre.

Au vrai, Fru Ndi ne peut pas être comparé à un scorpion, dans la nature duquel est inscrit le penchant incoercible de piquer. S’il pouvait piquer, depuis le temps (20ans !) qu’il est en faction, il l’aurait fait avec succès. On peut plutôt le comparer à un chef d’une famille nombreuse qui ne songe qu’à vivre jusqu’à un âge plus avancé que celui qu’il a atteint. Le SDF, parce qu’il structure et participe au jeu politique camerounais, doit être considéré comme un parti de gouvernement, un parti républicain. L’agitation du leader de l’opposition ayant eu pour effet de couvrir les autres voix menaçantes de cette opposition. Désormais l’on se demande si le leader du SDF ne pratique pas la diversion : il superviserait la « révolte » des « insurgés » de l’opposition pour mieux l’étouffer le cas échéant. La réponse nous sera donnée dans les six mois, puisque c’est le délai qu’ils ont bien voulu accorder au président Biya dans leur ultimatum. En attendant, on peut enfin comparer John Fru Ndi à une taupe du RDPC, auquel il a appartenu, une taupe qu’on aurait de propos délibéré exfiltré pour mieux contrôler l’opposition : mais c’est entendu ceci ne serait qu’une comparaison.

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