Egypte et Tunisie : le printemps arabe cannois


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Les récentes révolutions tunisienne et égyptienne ont bouleversé ces deux pays – et nous ne mesurons pas encore à quel point- mais aussi leurs cinéastes. Le festival de Cannes s’en fait l’écho de plusieurs façons : tout d’abord en accueillant des films de ces deux pays lors de séances spéciales, ensuite en organisant colloques et rencontres.
L’Egypte et la fiction

Le 18 mai, c’était la journée spéciale Egypte (le principe d’un pays invité est une nouveauté qui sera renouvelée par le festival chaque année dorénavant), avec entre autres la diffusion d’un film collectif , intitulé 18 jours , et composé de courts métrages de dix réalisateurs. Le même jour, le Pavillon Cinémas du monde accueillait plusieurs cinéastes du monde arabe (Egypte, Tunisie, mais également Maroc et Algérie) pour évoquer les conséquences du tsunami de ces deux révolutions sur leur métier. A l’invitation de la SRF (société des réalisateurs de films), née en mai 68 et très mobilisée sur le sujet, les cinéastes ont engagé une vive discussion menée par le cinéaste égyptien Yousry Nasrallah. Chacun a rappelé la façon dont les réalisateurs ont accompagné le mouvement dans leur pays : certains en filmant, d’autres en manifestant. Comme le résume Yousry Nasrallah : « ils protestaient et ils tournaient ». Non seulement des images documentaires mais aussi des fictions via des courts métrages. Sans budget, dans l’urgence, dix réalisateurs ont tourné « 18 jours » en se passant quelques caméras numériques légères. «Le défi c’était deux jours de tournage maximum et des fictions courtes » raconte Yousry Nasrallah. « Ce qui est intéressant, c’est que sans nous concerter, nous avons fait quasiment tous des films qui traitent de l’enfermement : cette cohérence thématique est née d’un sentiment collectif. »

La Tunisie et le documentaire

Il y avait une forte présence tunisienne au festival (quelques réalisateurs ont monté les marches en début de festival aux côtés de Frédéric Mitterrand), réalisateurs et représentants du Centre du cinéma tunisien ont rencontré le CNC et réalisateurs français le 17 mai. Mais côté tunisien, les films montrés à Cannes étaient quant à eux des documentaires : comme le rappelle le réalisateur Amine Chiboube, « tout le monde filmait, et certains cinéastes parce qu’ils ressentaient le besoin de garder des traces pour l’histoire. Personne ne voulait rater ce qui se passait. » Certains ne filmaient pas mais militaient, manifestaient et faisaient circuler l’information, par internet notamment, quand partager une vidéo sur Facebook était encore passible de prison. Outre Ni Allah ni maitre, présenté au marché du film et produit par des Français de K’ien, Plus jamais peur du tunisien Mourad Ben Cheikh, produit par Habib Attia avait les honneurs de la sélection officielle (en séance spéciale). Plus jamais peur, c’est un slogan qui a fleuri sur les murs de Tunis pendant la révolution, mais aussi le mot d’ordre des personnages que suit le réalisateur, dont l’avocate (réputée pour son travail contre la torture) Radhia Nasraoui, ou la blogueuse Lina Ben Mhenni.

Des images innombrables

Ces deux révolutions ont en commun d’avoir finalement été très courtes (du moins des manifestations aux départs de Ben Ali et Hosni Moubarak), mais pourtant très filmées : téléphones portables, petites caméras, la masse d’images qui commence seulement à être rassemblée est inquantifiable. La productrice et réalisatrice égyptienne Hala Galal rappelle que « les gens sont politisés, ils ont maintenant un contact différent avec l’image, ils en ont moins peur. C’est aussi pour cela que notre paysage cinématographique et audiovisuel va et doit changer ». Dans les deux pays, il s’agit maintenant de se réapproprier outils professionnels et liberté d’expression… Tous les cinéastes appellent à l’union, même si des dissensions existent encore, bien évidemment. Selon l’AFP, deux des réalisateurs des dix courts métrages égyptiens présentés à Cannes auraient collaboré avec le régime d’Hosni Moubarak en réalisant des campagnes pour son parti en 2005 : une pétition circule, un autre réalisateur a refusé de se rendre sur la Croisette pour accompagner son court métrage… Après les moments d’exaltation et de mobilisation, chacun est devant ses nouvelles responsabilités : faire que la culture en général et le cinéma en particulier existent en dehors du pouvoir. Enfin, un blog est né pour échanger des points de vue et enrichir des propositions d’actions : accompagne la volonté commune de préparer les Etats généraux des cinémas du Maghreb.

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