« La Conquête » présidentielle de Sarkozy


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L’expérience cinématographique n’a jamais été réalisée jusqu’ici en France. Un président en exercice est l’objet d’une fiction. Xavier Durringer et Denis Podalydès donnent corps à Nicolas Sarkozy et racontent son ascension présidentielle qui a failli se faire sans celle qui fut non seulement sa compagne, mais aussi sa conseillère politique : Cecilia.

Trois questions à l’équipe du filmAfrik.com : La conquête dont il est question est-elle présentée du point de vue de Nicolas Sarkozy ou par un œil extérieur ?

Xavier Durringer (réalisateur) : C’est la conquête vue de l’extérieur. On a toujours cette distance entre la vie et la représentation (…) mais on est à l’intérieur du staff de Nicolas Sarkozy, d’une équipe qui en train de travailler.

Afrik.com : Vous avez eu l’occasion d’interpréter des leaders, comme récemment au théâtre. Si vous deviez comparer Nicolas Sarkozy aux autres personnages de cette envergure que vous avez incarnés, quelle serait sa particularité ?

Denis Podalydès : Ce qui m’a plu, c’est sa capacité de transgression des codes. Cette façon de passer d’un registre très officiel à un registre trivial, voire grossier la seconde d’après ; de passer d’une extrême cruauté à une malice d’enfant…. C’est un poisson qui s’échappe en permanence. C’est cette vitesse, cette énergie, ce tissu de qualités ou de défauts contradictoires…

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Afrik.com : On a l’impression de voir une revue de presse sur Nicolas Sarkozy quand on regarde La Conquête et qu’on suit l’actualité politique. L’ancien journaliste de France 2 Mickael Darmon est par exemple cité au générique du film comme conseiller. Comment vous êtes-vous documenté pour écrire le scénario de ce long métrage ?

Patrick Rotman : J’ai travaillé pour l’écriture du scénario avec de multiples sources : les journaux, les livres, les images d’archives que j’ai visionnées, les centaines de photos que j’ai regardées et évidemment les sources directes, des témoins de ces scènes. Notamment les journalistes embarqués en permanence par Nicolas Sarkozy dans tous ces déplacements. Celui dont vous parlez a été officiellement consultant sur ce film mais j’ai eu d’autres sources. Pratiquement, chaque scène de ce film repose sur une demi-douzaine de sources vérifiées et croisées. L’immense majorité des scènes de ce film se sont déroulées. Prenons l’exemple du karaoké de La Baule où le président chante avec des journalistes autour de lui. Cette scène est tout à fait réelle et exacte. J’ai eu trois témoignages directs. En réalité, cette scène a duré à peu près trois heures : presque tout le répertoire y est passé (…). Regardez ce qui se passe au JT le soir quand un journaliste rend compte d’une réunion politique qui s’est tenue pendant deux heures : vous avez 40 secondes au journal. Ce choix du journaliste, l’extrait qu’on passe, le cadrage, est-ce que c’est le reflet exact de ce qui s’est passé dans la journée ? C’est tout le travail de compression et de réduction. Nous avons fait le même : toutes les scènes que l’on voit dans ce film reposent sur de l’information et après il y a tout le travail (nécessaire) pour en faire du cinéma.

La Conquête de Xavier Durringer a été présenté ce mercredi hors compétition au Festival de Cannes. Il était attendu sur la Croisette pour son caractère inédit : c’est la première fois dans l’Hexagone que la vie de personnages politiques de premier plan est portée à l’écran alors qu’ils sont encore en exercice (Nicolas Sarkozy), vivant (Jacques Chirac) ou en activité (Dominique de Villepin). Premier plan de La Conquête : Nicolas Sarkozy, alias Denis Podalydès, triture une alliance, semble-t-il plus obsédé par ce qu’elle représente que par ce que signifie cette journée du 6 mai 2007 qui démarre. Dans quelques heures, il saura s’il est devenu le nouveau président de la République française. Xavier Durringer a choisi cette image comme point de départ de cette fiction émaillée de flashbacks qui se revendique comme « l’histoire vraie de Nicolas Sarkozy » racontée au cinéma, selon le co-producteur du film Eric Altmeyer. Le film, qui se situe entre 2002 et 2007, est construit autour des antagonismes entre Jacques Chirac, dont il sera deux fois le ministre de l’Intérieur, et un chiraquien : Dominique de Villepin. Mais c’est en réalité son histoire d’amour tourmentée avec Cecilia, incarnée par Florence Pernel, qui est au cœur de cette conquête présidentielle.

Plongée « factuelle» dans la sphère Sarkozy

Les images vues à la télévision, les confrontations racontées ou révélées par la presse prennent dans La Conquête une coloration plus profonde, comme si le téléspectateur pénétrait l’envers du décor de la carrière politique de Nicolas Sarkozy. Tout en ayant l’impression qu’il n’apprend rien de nouveau, entre autres, sur l’abattement qui gagne Nicolas Sarkozy quand sa femme le quitte alors qu’il est à quelques mois de s’emparer du fauteuil présidentiel. Ses déboires sentimentaux n’entament pas vraiment son acharnement pour se faire élire des Français. Une qualité dont il avait déjà fait montre par le passé quand Jacques Chirac lui refuse la primature, tout comme la présidence de l’UMP, la majorité présidentielle, que Nicolas Sarkozy s’arroge contre l’avis de celui qui est alors président de la République, l’affaire Cleastream et les rapports particuliers que le président Sarkozy entretient avec la presse sont revisités par La Conquête, « un film à 99% politiquement juste », selon le co-scénariste du long métrage, Patrick Rotman à qui l’on doit des documentaires sur Jacques Chirac et François Mitterrand.

La vraisemblance du scénario prend chair avec Denis Podalydès, sociétaire de la Comédie française, plus vrai que nature dans le costume de celui que lui-même a appréhendé comme « un personnage de fiction ». Bernard Le Coq qui donne vie à Jacques Chirac n’est pas en reste. Les dialogues, quant à eux, sont truffés de phrases assassines, servis par un langage châtié, que se jettent à la figure sans sourciller les protagonistes. Dans cette conquête filmée par Xavier Durringer, le point de vue de Nicolas Sarkozy prime car la fiction se concentre sur la perception qu’il a de ses interlocuteurs. C’est la principale faiblesse d’une œuvre qui ne se voulait pas partisane, selon ses auteurs. Car la fiction de Xavier Durringer est d’un point de vue cinématographique, un projet abouti : l’histoire et le casting sont à la hauteur de l’intrigue, tout comme la mise en scène bien qu’elle donne l’impression de faits mis bout à bout pour reconstituer un ensemble cohérent.

La Conquête de Xavier Durringer avec Denis Podalydès, Florence Pernel, Bernard Le Coq, Samuel Labarthe et Hippolyte Girardot

Sortie française : 18 mai

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