La chute de Laurent Gbagbo vue d’Afrique


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L’arrestation de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, lundi lors d’une offensive mené par les forces pro-Ouattara appuyée par les forces françaises et celles de l’ONU, est très commentée par la presse africaine. Morceaux choisis.

« La course est finie », titrait mardi le quotidien malien Le Républicain. Il soulignait le « regard bas » de Laurent Gbagbo et la déclaration de Guillaume Soro, le Premier ministre d’Alassane Ouattara : « le cauchemar est terminé ». « Les Abidjanais en particulier et les Ivoiriens voudraient tant le croire! Eux qui ne voulaient, ces jours-ci, qu’un peu d’eau, d’attieké, ou de médicaments. Ils n’osaient plus mettre le nez dehors », écrit Le Républicain.

Le site Guinée Conakry.info, qui titre « Laurent Gbagbo ou la rançon de l’obstination », relève aussi qu’en « quelques minutes, l’image d’un Laurent Gbagbo, au regard hagard, débraillé, anxieux, a fait le tour du monde. Cette fois, ce n’est pas de la manipulation, c’est bien l’humiliation! Laurent Gbagbo vraiment entre les mains de son adversaire Alassane Ouattara ». Sur son site internet, le quotidien algérien El Watan évoque, lui, la « fin de règne pour Laurent Gabgbo ».

Pour le quotidien en ligne La république du Togo « la chute de Laurent Gbagbo » est « un soulagement » pour « ses propres partisans », « pour tous les Ivoiriens », « pour tous les Africains », « pour toute la communauté internationale » et « pour tous les Togolais aussi » car « la prolongation du conflit en Côte d’ivoire avait de nombreuses répercussions sur le Togo ». Le quotidien a aussi salué « la contribution apportée par l’armée togolaise aux Forces des Nations Unies ». « Il va falloir, à présent, rétablir l’autorité de l’Etat en Côte d’Ivoire, veiller à la réconciliation nationale et reconstruire l’économie et exercer la justice avec sérénité. C’est une lourde tache qui attend le nouveau Président et son gouvernement », conclu-t-il.

La question de l’intervention étrangère

L’intervention française n’est pas laissée en reste, notamment dans la presse burkinabè. Pour Le Pays, « les forces impartiales ont dû se rendre à l’évidence que Gbagbo est un fou à lier et que par conséquent, il fallait le traiter comme tel. Elles ont rendu ainsi un grand service à la démocratie africaine et par ricochet à l’humanité tout entière en mettant hors-jeu un homme qui, tel un crustacé, était enfermé dans sa carapace et qui n’avait d’interlocuteur que sa propre obstination ». Le quotidien, qui ne mâche pas ses mots à l’égard de l’ancien président, qualifie sa défaite de « Chute du Néron de la lagune Ebrié ». Il souligne également que « l’histoire retiendra donc finalement que Laurent Gbagbo, délogé dans son four, aura fait pire que Hitler ».

L’Observateur Paalga de mardi évoque l’intervention étrangère avec un titre révélateur : « Gbagbo arrêté, peu importe par qui ». Pour le quotidien, malgré la polémique qui grandit sur le rôle que la France a joué dans la crise ivoirienne, le plus important est que Laurent Gbagbo a été arrêté. « Sur fond de polémique et de petite susceptibilité nationale à ménager, dans la mesure où le haut fait d’armes a été mis sur le compte des soldats tricolores avant que Guillaume Soro revendique la paternité de l’arrestation au nom des Forces républicaines de Côte d’Ivoire ». « Retenons simplement que les bunkérisés de Cocody ont été alpagués. Qu’importe par qui », ajoute-t-il. « Avec le soutien non négligeable de la Licorne, de casques bleus et de militaires de la sous-région. Pourquoi s’en cacher ? », questionne-t-il, ajoutant qu’il « fallait en vérité trouver une issue, d’une façon ou d’une autre, à cette situation intenable, ne serait-ce que pour abréger les souffrances des populations ».

Le quotidien s’interroge également sur ce qu’il adviendra de Laurent Gbagbo : « L’arrestation du gourou va-t-elle ipso facto entraîner la fin des hostilités ? Autrement dit, les combattants qui lui sont restés fidèles vont-ils déposer les armes ou continuer de harceler les positions ennemies dans une guérilla qui, même résiduelle, peut donner du fil à retordre ? »

La France critiquée

Mais dans l’édition du mercredi l’Observateur Paalga change complètement de registre en soulevant des interrogations sur l’intervention militaire de la France : «L’autre visage de la Françafrique», titre-t-il. «En attendant les images de l’opération, promises par le ministre français de la Défense et des Anciens Combattants, Gérard Longuet, pour, peut-être, se fixer définitivement sur l’identité des vaillants terminators, l’on ne peut s’empêcher de s’interroger sur la frénésie avec laquelle Paris dément toute implication dans l’arrestation de Gbagbo», écrit le quotidien. «Serait-ce la peur d’être accusée d’interventionnisme, ce qui, en l’espèce, rappelle cette période glauque des relations entre la France et ses ex-colonies d’Afrique noire?», questionne-t-il. Avant d’ajouter que «quelles que soient les motivations réelles et cachées de cette interventions française sur les bords de la lagune Ebrié, dans sa finalité, elle ne différera en rien de la Françafrique originelle, c’est-à-dire celle conçue par le général De Gaule et mise en œuvre par son bras séculier, Jacques Foccart ». Et le journal brukinabè de conclure que «le prix à payer par Alassane Ouattara, mais installé par la force Licorne sera le même que celui réglé par les nombreux dictateur portés au pouvoir par le mercenaire Bob Denard : servir d’abord les intérêts français, qu’incarnent les multinationales comme Total, Bouygues, Bolloré et nous en passons. La Françafrique reste la Françafrique : la France-à-fric».

Le quotidien algérien, La Tribune, qui titre «Qui fournit les armes aux Ivoiriens pour qu’ils s’entretuent?», analyse le rôle que la France a joué dans le pays depuis l’éclatement de la guerre civile en 2002. Il relève notamment l’importance de ses réseaux d’influences dans ses anciennes colonies. Selon le quotidien, la vente d’arme et de munitions aux belligérants « via les réseaux de la Françafrique» donne à penser qu’«il est probable que l’Elysée a laissé faire ou favorisé la perspective d’un changement de pouvoir à Abidjan».

L’UA pointée du doigt

Son concurrent algérien, El Watan, est, lui, très critique à l’égard de l’Union africaine (l’UA) qui avait pour mission de sortir le pays de la crise mais s’est finalement éclipsée peu à peu, laissant la France et l’ONU conduire les opérations. « Les sociétés africaines, qui aspirent toujours aux ouvertures démocratiques et culturelles, sont piégées par des pouvoirs militaires et para-civils, archaïques, paranoïaques et indigents. Des tares qui réduisent l’UA à un ensemble vide qui avale les dollars sans aucune contrepartie. En Côte d’Ivoire, qui a souffert pendant quatre mois du refus de Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir après dix ans de règne, l’UA a laissé l’initiative à l’ONU et à la France », écrit le quotidien qui estime que «la diplomatie française n’existe pas».

Et maintenant ?

La presse africaine s’est également interrogée sur la suite de l’histoire après quatre mois de crise. « Côte d’ivoire: Et maintenant ? », questionne le quotidien en ligne, Le Journal du Cameroun, soulignant que « Ouattara hérite d’un pays à genoux à l’économie en panne et à la population divisée. Sur le plan économique, l’encéphalogramme est à plat. Le bâtiment ne construit plus, les grands groupes étrangers se sont repliés à l’étranger, et les PME sont à court de trésorerie ». « L’exportation de cacao, dont la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial, est stoppée depuis fin janvier à cause de l’interdiction faite aux bateaux européens de relâcher dans les ports ivoiriens », poursuit le quotidien en ligne.

« Après l’arrestation de Laurent Gbagbo : quel lendemain pour la crise ivoirienne ? », s’interroge également le quotidien sénégalais Le Soleil. Le quotidien camerounais Mutations fait de même en mettant l’accent sur les défis qui attendent Alassane Ouattara. « Il va falloir tourner la page », note-t-il. Selon lui, « le premier défi du chef de l’Etat élu de Côte d’Ivoire est celui de la fusion, de la recomposition d’un pays divisé et très clanifié par le pouvoir sortant dont le courant religieux aura également été pour beaucoup ». Et « sans état de grâce, sans véritable vent dans les voiles, poursuit le quotidien, le président Ouattara, que d’aucuns voient déjà dans la ligne de mire de Guillaume Soro, devra faire jouer son charisme, son sens du management et du consensus. » Une perspective que la presse africaine se chargera de suivre avec une attention on ne peut plus critique.

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